C’était il y a 233 ans exactement.
Dans la nuit du 4 au 5 août 1789, la France connaissait un basculement inédit.
C’est la fameuse nuit de «l’abolition des privilèges».
Un peu d’histoire :
Juste avant l’abolition des privilèges, la France est entrée dans un processus révolutionnaire depuis plusieurs mois. Des émeutes et des révoltes ont lieu en divers endroits, par exemple à Rennes, Grenoble, ou dans les campagnes contre les seigneurs locaux. Des revendications remontent de partout sous forme de «cahiers de doléances».
Le Roi a convoqué des représentants des trois «ordres» – le clergé, la noblesse et le Tiers-État à Versailles. Ces États généraux se sont transformés en Assemblée constituante. Le 14 juillet, le peuple parisien prend les armes et attaque la Bastille, symbole de la répression royale. L’été s’annonce bouillant. Mais ce n’est pas la prise de la Bastille qui bouleverse vraiment la situation, c’est le soulèvement des paysans.
À cette époque la France est un pays rural. L’immense majorité de la population est à la campagne et cultive la terre. La paysannerie se soulève régulièrement depuis plusieurs décennies et subit à chaque fois une répression atroce. Mais cet été 1789, ces émeutes paysannes, appelées «jacqueries» vont prendre une ampleur inédite.
Dans les villages, des rumeurs se répandent. Des troupes de «brigands» ou de mercenaires envoyés par les nobles voudraient voler ou détruire les récoltes pour affamer le peuple. Des armées étrangères poussées par la noblesse chercheraient à envahir la France. Bref, des craintes légitimes pour le petit peuple, qui crie famine et pour qui les récoltes sont vitales. Aujourd’hui, les médias parleraient de «fake news». Cet épisode de panique et de colère collectives est appelé «la grande peur».
Un peu partout des communautés s’organisent. Les paysans s’arment, quelques émeutes éclatent. Une fois rassemblés dans les campagnes, les paysans se rendent compte qu’il n’y a pas de brigands ni d’invasion. Mais la foule trouve des réflexes appropriés : attaquer les châteaux des nobles les plus proches. Les paysans récupèrent les documents où sont rédigés les «droits» des seigneurs à opprimer leurs sujets – ces documents sont appelés «terriers» – et les brûlent. Parfois, ce sont les châteaux qui sont pillés et incendiés. On récupère le grain pour faire du pain, on s’autorise à chasser sur les terres du seigneur pour se nourrir. Parfois, le noble du coin est violenté ou humilié. On se marre. Ces événements insurrectionnels ont lieu simultanément et spontanément aux quatre coins du pays, à une époque où les informations circulent beaucoup plus lentement. Le message est très clair : en brûlant les châteaux et en détruisant les terriers, les paysans expriment partout le souhait de supprimer la féodalité. Les nobles sont terrorisés, certains fuient le pays. La peur change de camp. Ça devient sérieux.
Les nouvelles remontent à Paris. À l’Assemblée, les députés commencent à flipper sévère. Ils imaginent les campagnes à feu et à sang. Que faire pour stopper cet incendie incontrôlable ? Quelques nobles prennent la parole : la seule solution pour calmer la plèbe enragée est de renoncer collectivement aux privilèges. Pendant toute la nuit, les aristocrates défilent à la tribune et déclarent qu’ils renoncent à leurs droits féodaux. Impôts, droits de chasse, pensions militaires ou ecclésiastiques… tout y passe. Imaginons une assemblée de patrons et de députés terrorisés qui demanderait le retour de l’ISF et renoncerait aux parachutes dorés. Drôle de nuit. Symboliquement, c’est la fin de l’Ancien Régime et de la société d’ordres.
Après coup, les députés se rendent compte qu’ils se sont un peu emballés. Dans les textes, ils vont bien veiller à protéger le droit de propriété et vont permettre de racheter les droits féodaux. Ce qui, en pratique, conduit à leur maintien, puisque les paysans n’ont pas les moyens de racheter ces droits aux nobles qui les possèdent. La déception sera grande. Les droits féodaux ne seront réellement abolis qu’en 1792, avec la chute de la monarchie.
Le bilan de cette histoire ? Lorsque la peur change de camp, tout est possible. Les nobles n’ont pas renoncé spontanément à leurs privilèges, ils l’ont fait parce que la situation devenait totalement incontrôlable et qu’ils avaient peur du peuple. Un peu comme lors des premiers actes des Gilets Jaunes, quand les actions étaient innombrables et que Macron craignait pour son intégrité. Ceci étant dit, cette nuit décisive ne signifie pas pour autant l’abolition réelle de l’Ancien Régime, qui ne s’effondrera que de haute lutte.