La culture subventionnée ne fait plus recette, leur vieux monde est fatigué : le cas d’école nantais
Ouest France titre aujourd’hui sur les installation du Voyage à Nantes qui “ne soulèvent pas les foules”. Cette année le cap est impossible à maintenir : les œuvres de l’espace public font un flop, l’exposition au Château des ducs de Bretagne connaît une grosse baisse de fréquentation, la HAB Galerie peine à rester ouverte à cause de la canicule et l’Éléphant se met à l’arrêt. Passage à vide ou début de la fin ?
Le Voyage à Nantes est une société publique locale, subventionnée par Nantes Métropole à hauteur d’environ 17 millions d’euros, qui a pour but de rendre la ville plus attractive pour les touristes et d’inciter les jeunes cadres à s’y installer. Avec toutes les conséquences que l’on connaît : urbanisation croissante, hausse des loyers, gentrification, etc. Johanna Rolland l’avait dit : objectif 1 million d’habitants pour 2030. Et pas n’importe quels habitants : la mairie veut attirer du pouvoir d’achat.
Le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, c’était aussi pour ça. D’ailleurs c’est Jean-Marc Ayrault, grand copain de Jean Blaise (directeur du Voyage à Nantes), qui avait ressorti ce dossier. Heureusement il y a eu la ZAD, et pas d’aéroport. Car “le Voyage” est aussi un instrument politique aux mains d’une baronnie socialiste installée depuis des décennies à Nantes. Dès son mandat de maire de Saint-Herblain, Jean-Marc Ayrault s’était entouré de Jean Blaise et avait fait de la culture un pilier essentiel de sa politique.
Rien de révolutionnaire, au contraire : véritable pompe à subventions, le Voyage à Nantes s’accapare tout ce qui ressemble à de la culture au détriment d’artistes réellement indépendants. Se parant parfois d’habits contestataires, l’événement est pourtant bien inoffensif. On se souvient du drapeau noir mécanique brandit sur la scène du théâtre Graslin après la répression terrible subie par les mouvements sociaux dans la ville en 2017, ou encore de la Villa Occupada. En effet, en 2015 le Voyage à Nantes avait ouvert un faux squat investi par des graffeurs subventionnés, alors même qu’un «vrai» squat hébergeant des familles sans logement était expulsé par la police. Ce lieu, baptisé «villa occupada» en référence aux mouvements sociaux espagnols, accueillait des touristes qui pouvaient y contempler des fresque reprenant les codes des luttes, notamment des références au mouvement anti-aéroport ou au zapatisme.
La société du Voyage à Nantes fonctionne dans une grande opacité, difficile de savoir comment est réparti l’argent et comment sont prises les décisions d’aménagement de l’espace public. Toujours est-il que les partenariats public / privé avec les promoteurs et les banques ne manquent pas. Une banque peut par exemple solliciter le Voyage à Nantes pour concevoir une œuvre sur sa façade afin d’y attirer plus de clients. On est loin d’une mission de service public au profit des habitant-es. Jean Blaise annonçait la mort des musées au profit de l’art dans l’espace public. Il n’était finalement pas si visionnaire qu’il voudrait le faire croire. La faiblesse du programme cette année le confirme, et la retraite que Jean Blaise est sensé prendre depuis plusieurs années est peut-être désormais nécessaire.
Ce sont pas moins de 300 salarié-es qui travaillent au Voyage à Nantes. Et de ce côté là aussi, ça va mal. La SPL fait face à de nombreux départs et les arrêts maladies se multiplient. En cause : les conditions de travail. Bosser les week-end, vacances et jours fériés, cadences éprouvantes, contrats à temps partiels, bas salaires, etc. Le Voyage à Nantes a en plus la réputation de très mal payer ses salarié-es. Les travailleuses et travailleurs saisonniers embauchés l’été repartent dépités. La CGT du Voyage à Nantes nous explique que la convention collective est calquée sur les parcs d’attraction.
Même si ce n’est pas comme travailler chez Eurodisney, les avancées sociales sont obtenues grâce à un rapport de force permanent et éprouvant. Mais il y a encore plus problématique : Les Machines de l’île. Véritable pompe à fric du Voyage à Nantes, symbole de l’attractivité touristique de la ville, c’est aussi une véritable machine à broyer : les salarié-es s’en vont les un-es après les autres tant les conditions de travail y sont pénibles. Une grève avait déjà eu lieu en 2018.
Mais surtout, Le Voyage à Nantes fait l’objet d’une enquête judiciaire qui met en cause la gestion du projet du Carrousel des mondes marins (un projet à 10 millions d’euros). En 2021, les bureaux du Voyage à Nantes sont perquisitionnés et Jean Blaise est interrogé par la police judiciaire. Il y a de quoi douter sérieusement du projet de l’Arbre aux hérons, dont la facture s’élève désormais à 52 millions d’euros et n’en finit pas de grimper ! Heureusement ce projet contesté ne verra sûrement pas le jour, alors que Pierre Orefice, le directeur, peine à rassembler l’argent pour son nouveau jouet.
Alors quel avenir pour le Voyage à Nantes ? Certainement aucun. En septembre 2021, le Voyage à Nantes organisait un grand colloque international sur le tourisme du futur. Tout un programme pour réfléchir au tourisme en pleine pandémie. À l’heure des rapports du GIEC et des catastrophes climatiques qui s’enchaînent, on pouvait naturellement penser que les questions tourneraient autour des déplacements aériens, des conséquences écologiques, de l’accès à la culture. Pas du tout. Le colloque n’était qu’une vaste campagne d’autopromotion, pour conclure : ce que fait Le Voyage à Nantes est génial, il faut continuer et étendre davantage le tourisme. Ces postures annoncent la fin.
Avec le bide de cette année, le mécontentement des salarié-es, les grèves successives dans les compagnies aériennes, la sécheresse et les incendies qui en découlent, qui peut vraiment croire que tout peut continuer ainsi ? Contre la culture subventionnée qui transforme nos villes en parcs d’attractions, creuse la misère et exploite les précaires, débarrassons-nous une fois pour toutes du Voyage à Nantes. Réapproprions-nous la ville : elle est à nous plus qu’à la mairie et ses barons !