Ou comment le Trésor Public fait un (gros) cadeau aux investisseurs capitalistes et augmente le poids de la dette publique

Le 18 août dernier, l’Agence France Trésor, qui gère la dette de l’État français en empruntant de l’argent, émettait des obligations indexées sur l’inflation : cette décision publique devrait faire scandale, elle passe pourtant inaperçu. À côté d’un emprunt de 6 milliards d’euros d’OAT – Obligation À Terme – à moins de 1% d’intérêt sur les marchés financiers, on trouve une émission d’OATi – Obligations indexées sur l’inflation – et OAT€i – obligations indexées sur l’inflation dans la zone euro – pour 1 milliard à des taux défiant toute concurrence : jusqu’à 3,85% !
Le sujet est technique, mais il est révélateur de la façon dont le gouvernement prépare le pays : en hypothéquant son avenir, exactement le même procédé utilisé par le capitalisme qui vit aux dépens de la planète de demain, en épuisant ses ressources aujourd’hui. On va essayer de faire simple pour expliquer tout ça :
L’inflation nuit au capital
L’inflation correspond, par définition, à une augmentation du niveau général des prix. De tous les prix, y compris le prix du travail, c’est-à-dire le salaire. Dans le cas où vous êtes un salarié, une inflation à 10% ne change en théorie rien pour vous, si votre salaire augmente aussi de 10%. Bien sûr il s’agit d’une moyenne, il y a toujours des gagnants et perdants, mais à l’échelle d’une économie ce processus a tendance à s’équilibrer : la population n’y perd pas en général. Ceux qui y perdent, ce sont les personnes qui possèdent des économies : si vous aviez 1000€ de côté, après un an d’inflation à 10% vous pourrez vous acheter avec vos 1000 balles ce qui valait 909€ auparavant !
En gros, plus vous êtes riche et plus votre argent perd de sa valeur. C’est pour cela que les capitalistes cherchent à investir dans des biens durables, qui gardent leur valeur quelque soit l’inflation. Ces biens durables sont notamment l’immobilier et les moyens de production (investir dans la pierre ou les entreprises). Ces investissements ont en plus l’avantage d’apporter des revenus (loyers ou dividendes) qui pourront ensuite être réinvestis : les riches deviennent ainsi de plus en plus riches, sans travailler, mais juste parce qu’ils possèdent un capital. En bref : ce sont des nuisibles, des parasites vivant à nos dépens.
Mais un capitaliste, ça aime l’argent frais, la monnaie bien liquide, disponible quand on veut pour acheter un méga-yacht dernier cri plus gros que celui de son voisin. C’est là qu’intervient l’État, dont l’objectif sera de limiter l’inflation. En Europe, c’est même le seul et unique objectif de la Banque Centrale Européenne : l’inflation doit rester aux alentours de 2%, quels que soient les autres indicateurs économiques.
Oui, la seule raison d’être de la BCE est de garantir la valeur de la monnaie aux plus riches qui défoncent notre planète et laissent sans vergogne des gens vivre à la rue. C’était d’ailleurs la principale raison de la crise grecque au début des années 2010 : la BCE aurait pu faciliter le paiement de la dette grecque, mais l’inflation que cela aurait provoqué aurait nui aux intérêts des plus riches (notamment l’industrie allemande). Aujourd’hui la population grecque est à terre, le taux de suicide est aussi élevé que celui du chômage, l’État a dû vendre une grande partie de son patrimoine à des entreprises privées (notamment les aéroports et le port du Pirée). Tout cela aurait pu être évité.
À l’heure actuelle, l’inflation nuit aux plus pauvres
Malgré une BCE dont le rôle est de garantir la stabilité de la monnaie, donc les intérêts de la bourgeoisie, il arrive que les prix augmentent plus que les 2% souhaités. Actuellement l’inflation française est proche d’une tendance à 7% par an depuis la guerre en Ukraine, qui vient amplifier la hausse des prix liée à la reprise économique après les grands confinements de la pandémie. La France s’en sort pourtant plutôt bien, car l’inflation moyenne dans la zone euro est encore plus importante, oscillant ces derniers mois entre 8 et 10%.
Bonne nouvelle pour les plus pauvres ? Pas du tout. Non seulement les salaires ne sont pas indexés sur l’inflation, ils stagnent alors que les prix augmentent, ce qui veut dire que la population s’appauvrit à toute vitesse, mais en plus le capitalisme a trouvé la parade…
Premièrement, les plus fortes hausses ont lieu sur les produits alimentaires et l’énergie, deux catégories dont on peut difficilement se passer et qui impactent en premier lieu le budget des catégories populaires. En effet, si le budget bouffe prend une grande partie d’un SMIC (environ 25%), il prend beaucoup moins à un député touchant 5700€ net par mois, même s’il se gave de homards… Une fois nourri, il restera toujours beaucoup plus au député pour mettre de côté et investir dans un petit loft à louer sur AirBnB.
Le financement par obligations
La deuxième parade de la bourgeoisie est le cœur de notre sujet : les obligations d’État. Car l’État a besoin de monnaie pour financer sa sécurité, déversant des milliards dans sa police, dans les cabinets de conseil des copains et dans la surveillance des mouvements de gauche. Au lieu de taxer les super-profits des multinationales de l’énergie comme une bonne partie des pays occidentaux, la macronie préfère émettre de la dette. Dette à court terme avec des bons du trésor, mais aussi dette à long terme avec des obligations d’État.
Ces obligations, ou OAT pour Obligation À Terme, ce sont de bons refuges pour les sociétés financières : un État comme la France a très peu de chances de faire faillite, ça permet donc de mettre à l’abri la monnaie qu’il serait risqué d’investir en cas de crise. Mais cette sécurité a habituellement un (faible) prix à payer pour les capitalistes : l’inflation. L’État, en empruntant sur les marchés à taux très bas, s’assure un financement important pour ses dépenses et verra sa dette s’amoindrir au fur et à mesure de la hausse des prix (puisque hausse des prix = hausse des taxes, ce sera plus facile de rembourser plus tard).
Les OATi et OAT€i : l’arnaque du siècle
Mais, de plus en plus, l’État émet des obligations indexées sur l’inflation : les OATi. Son seul avantage du financement par la dette disparaît : plus les prix augmentent, plus la charge de la dette augmente. Il n’y a ainsi plus aucun avantage pour la puissance publique à émettre de tels titres de dette, par contre pour les fonds d’investissement qui se jettent sur ces OATi c’est double bonus : on protège ses finances et, en plus, on a des revenus garantis quelle que soit la situation économique.
Pire : il existe même des OAT€i, des obligations indexées sur l’inflation dans la zone euro. En gros, les obligations émises jeudi dernier vont probablement voir leur prix augmenter plus vite que les revenus de l’État, et ce pendant 10 ans. Ce sont 250 millions d’euros empruntés jeudi qui pourraient être remboursés jusqu’à 143% de leur valeur. À votre avis, qui va payer la différence durant les 10 prochaines années ? Et dans la poche de qui va tomber le pactole ? L’État français est bradé par une clique de banquiers à des fonds d’investissements qui organisent la misère. Ce n’est pas un financement public : c’est un hold-up en bande organisée.
Ce que ça nous dit de l’avenir
À force de dépenser de l’argent pour des choses inutiles voire nuisibles comme la police, les subventions à l’industrie ou à la presse gouvernementale, les caisses de l’État sont vides. Sans compter les cadeaux fiscaux qui n’en permettent plus un financement public.
Il va donc falloir trouver de l’argent quelque part pour rembourser, la France ne pourra pas tenir ce rythme indéfiniment, même en étant la sixième puissance économique mondiale. Il y a bien sûr la possibilité de vendre une partie du patrimoine de l’État (13.000 milliards d’euros environ) comme l’a fait la Grèce, mais cette solution a déjà été partiellement mise en place avec la privatisation des autoroutes, des aéroports, de l’énergie ou encore de la recherche). Reste un magot énorme auquel l’État a partiellement accès : la Sécu. Le gouvernement fait donc en sorte que la dette soit impossible à rembourser pour ensuite casser les conquêtes sociales au nom, justement, du niveau de la dette. Machiavélique.
La Sécurité Sociale est en effet une institution tripartite : elle est gérée à la fois par des syndicats « représentatifs », par le patronat et par l’État. En cas de désaccord entre les deux premiers acteurs, c’est l’État qui tranche : autant dire que c’est lui qui pilote la plupart du temps, à l’inverse de ce qu’aurait souhaité son fondateur Ambroise Croizat.
Le gouvernement de Macron, en imposant une réforme des retraites qui a déjà été refusée par la rue, cherche à privatiser l’argent qui est à l’heure actuelle socialisé. Les caisses de retraite complémentaire permettaient déjà de financer des multinationales écocidaires, comme le révèle le journal Libération, mais ici le gouvernement vise le gros du pactole social. Et l’argument pour faire passer la réforme en force sera toujours le même : l’urgence budgétaire et la charge de la dette… que le gouvernement aura lui-même créé.
Quand on veut tuer son chien, on l’accuse de la rage.
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