Un CRS mutile à vie un père de famille avec une grenade lancée illégalement : acquitté par la justice


La nausée. C’est le seul sentiment possible après le procès qui a eu lieu pendant trois jours au tribunal de Paris. Une nausée qui ne passe pas.


Tout commence le 15 septembre 2016. Laurent, père de famille, est sur la Place de la République, à Paris, à la fin d’une manifestation. Il ne se passe strictement rien. Tout est calme. Les gens partent. Il a les mains dans les poches. Une énorme explosion à ses pieds, et l’éclat d’une grenade de désencerclement, officiellement classée comme «arme de guerre», le frappe en plein visage. Son œil droit explose sur le coup. Les os de son visage sont brisés. Il s’effondre couvert de sang. Sa vie ne sera plus jamais la même.

Des vidéos montrent précisément ce qu’il s’est passé. Sans aucune contestation possible. On voit des CRS, lourdement armés et protégés, charger dans le vide, au milieu d’une foule passive. Ils sont venus amener la violence au cœur d’une manif qui se disperse. Lors de la charge, une grenade est lancée en l’air, elle explose sur Laurent. Deux vidéos, deux angles, qui prouvent l’inacceptable. L’indéfendable. Un enfant serait capable, en les regardant, de dire qui sont les agresseurs et qui est la victime d’une agression gratuite.

Ce n’est pas tout. Le policier qui a jeté la grenade l’a fait en totale illégalité. L’enquête révélera qu’après 20 ans dans la BAC, il venait de devenir CRS. Pendant la manif, il avait gardé, en cachette, une grenade récupérée dans un camion de ravitaillement, sans en avoir le droit ni l’habilitation. Il l’avait immédiatement dégoupillée et lancée, sans raison, en l’air. Pour se faire un manifestant ? Pour se défouler ? Pour s’amuser ? Lui affirme qu’il a «entendu un bruit de verre» près de lui. Un bruit. De verre. Une grenade explosive. Une arme de guerre. Il appelle ça de la légitime défense. Tout est accablant dans cette affaire. Et pourtant.

À 20h ce mercredi 14 décembre, la Cour d’Assises de Paris a acquitté Alexandre Mathieu. Selon la Cour, il a bien lancé cette grenade de façon irrégulière, mais en «légitime défense», ce qui l’exonère.

Alors que s’est-il passé entre l’exposé des faits et cet acquittement ? Trois jours de lavage de cerveau. Trois jours d’intoxication intensive, d’endoctrinement, conçus pour inverser la réalité. S’il fallait faire un guide de manipulation judiciaire, on pourrait prendre ce procès.

Pendant des heures et des heures et des heures, la présidente du tribunal, celle qui anime le procès, Catherine Sultan, et l’avocat du policier, Maître Liénard, ont imposé une autre vérité, écrit une fiction. Ensemble, ils ont mis en place un dispositif implacable. En trois longues journées, Laurent et tous ses témoins n’ont pu parler que moins d’une heure, en étant interrompus et sans pouvoir finir leurs intervention. À l’inverse, une dizaine d’heures d’affilée ont été consacrées à la parole de CRS, tous collègues du tireur, répétant encore et encore et encore les mêmes mensonges après s’être concertés. C’est simple, il a bien plus été question de cocktails Molotov que de grenades dans ce procès qui… devait concerner une grenade ! À l’école on appelle ça un hors-sujet, dans la police c’est un mode de défense.

Il s’agit d’une opération de conditionnement. Même avec toute la bonne volonté du monde, même après avoir vu les images, lorsque des agents assermentés vous répètent pendant des heures et des heures, sans contradiction ni interruption, qu’ils ont reçu «une pluie de cocktails Molotov», qu’ils ont cru «mourir», que les groupes «hostiles» voulaient les tuer, il est difficile de ne pas céder. Lorsque des figures d’autorité, les magistrats en robe qui animent le procès depuis leur pupitre, valident les mensonges les plus irréalistes par leur silence et vont jusqu’à montrer des photos de manifestants portant un simple sweat noir pendant que l’avocat prétend que ce sont des black blocs voulant assassiner des CRS, il devient impossible de savoir ce qui est vrai ou faux. La confusion est totale. L’objet du procès paraît lointain. D’ailleurs on n’en parle quasiment pas. La “peur” du CRS tireur et ses regrets ont pris plus de place que la vie brisée de celui qu’il a blessé. Et les témoignages qui vont dans le sens de la personne mutilée ont été coupés et congédiés en quelques minutes, en début de procès. La stratégie de saturation fonctionne.

Mercredi soir, des jurés manipulés et déboussolés ont donc acquitté un éborgneur. Des professionnels de la justice ont organisé un procès intégralement à décharge. C’est un cas éclairant de la manière dont la justice fonctionne pour protéger la police. Malgré une affaire indéfendable, un crime entièrement filmé, un tir totalement illégal, la manière dont les débats a été orienté aura inversé la situation. L’institution a imposé une vérité alternative.

Au-delà de l’horreur de ce verdict, cet acquittement pour la mutilation d’un père de famille paisible, syndicaliste, à visage découvert, sans casier va créer une jurisprudence. Avec cet acquittement, c’est la porte ouverte aux plus terribles répressions : si même avec de tels éléments, le tireur est acquitté, les policiers savent qu’ils peuvent faire absolument tout ce qu’ils souhaitent. Nos pensées vont aujourd’hui vers Laurent et toutes les victimes de la police qui se battent pour obtenir justice.

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