En 1910 déjà, la retraite à 64 ans dénoncée comme une hypocrisie de la bourgeoisie
Ce dessin sur les retraites a été publié en 1910. Et pourtant, il n’a pas pris une ride et pourrait être réalisé en 2023. Nous le devons à un artiste nantais : Jules Grandjouan.
Regardons la composition. En haut, le «festin» des retraites. Celui réservé aux «fonctions bourgeoises». On y trouve, autour d’une table bien remplie, des privilégiés ventrus qui se gavent : des «officiers de terre et de mer», «préfets», «commissaires de police et flic» avec leur chien. Rien n’a changé. Dans son projet, Macron veut sabrer les retraites des pauvres mais conserve tous les avantages pour les militaires, les flics, les hauts fonctionnaires…
En bas, le monde ouvrier. Les prolétaires montent avec une extrême difficulté l’escalier du temps passé au travail. 61, 63, 63 ans… À 64 ans, ils sont déjà tous morts ou éreintés. Les bourgeois leur tendent un os : le reste de leur festin. Et disent à un pauvre vieil homme «T’arrives trop tard, t’as pas pris la bonne route». Le balcon est orné du symbole de la République Française.
Alors que Macron décale l’âge de la retraite au-delà de 64 ans et organise une baisse générale des pensions de retraites, ce dessin est d’une actualité criante. L’espérance de vie des ouvriers est toujours plus faible que celle des professions confortables. Encore aujourd’hui, parmi les plus pauvres, 3 hommes sur 10 sont déjà morts à 64 ans, alors que les cadres sont en bonne santé. L’artiste dénonce l’hypocrisie d’une retraite «pour les morts». Et un texte de la CGT qui accompagnait ce dessin dénonçait l’abandon des femmes, grandes oubliées des retraites à l’époque. Aujourd’hui encore, avec leurs carrières hachées et les temps partiels subis, les femmes seront les plus pénalisées par le recul de l’âge de la retraite. Macron, c’est le retour au 19ème siècle !
Certains objecteront que l’espérance de vie a augmenté depuis 1910. C’est vrai, mais c’est justement parce que nous travaillons moins longtemps ! Aux Etats-Unis, l’espérance de vie est déjà en train de baisser, ce qui risque aussi de se produire dans de nombreux pays occidentaux où les gouvernements détruisent le système de santé public et le code du travail.
Qui est Jules Grandjouan ? Un personnage dont la ville de Nantes peut être fière. Artiste prolifique, il part en reportage au sein du monde ouvrier pour la presse du début du 20ème siècle. Il montre des professions dont on ne parle pas : maçon, boucher, mineur… Il les dessine sur le vif : des croquis sociaux, à une époque où la photo est encore peu utilisée. Grandjouan est anarchiste, il travaille pour la presse libertaire, «Le Libertaire», «La Guerre Sociale» ou encore «L’assiette au beurre»… Il multiplie les caricatures féroces contre l’armée, la religion, la police ou le capitalisme. Il est aussi l’un des premiers à dénoncer le colonialisme et ses crimes.
Après la révolution russe, Grandjouan met sa plume au service de la cause communiste. Il dessine pour le Parti Communiste naissant, sur une ligne beaucoup plus radicale qu’aujourd’hui, et pour la CGT, anticapitaliste et révolutionnaire à l’époque. Jules Grandjouan est aussi un amoureux de Nantes, ville qu’il a beaucoup dessinée et dont il déplorait les modifications urbaines désastreuses. L’artiste est décédé en 1968, après avoir ouvert un restaurant pour les déshérités en plein centre-ville. L’année de sa mort, Nantes est à nouveau en ébullition, avec un épisode de Mai 68 puissant qui verra les ouvriers s’emparer de la préfecture et de la mairie !
Ce dessin rappelle que l’un des grands combats du mouvement social, c’est le recul du travail salarié dans nos vies. Moins d’heures de labeur par jour, plus de retraites, de meilleures paies. Du temps libéré pour le loisir, la créativité, l’amour, le repos, le sport. L’inverse du projet néolibéral, qui considère le travail comme une «valeur» sacrée, et valorise le salarié dérégulé, qui s’exploite sans limite.