La Tunisie, petit pays Méditerranéen à la pointe nord de l’Afrique, est traversée par une surenchère raciste et nationaliste. La haine et la violence se déchaînent contre les noirs vivant en Tunisie, attisées par un pouvoir autoritaire. Explications.

Un pouvoir aux abois
Kaïs Saïed est l’actuel président de la Tunisie. Il arrive au pouvoir en 2019 avec 72% des suffrages, sur une ligne qu’on qualifierait en Europe de «populiste», avec des promesses de réduction du chômage et de la pauvreté. Son programme est un échec complet, la pauvreté a augmenté et l’économie est en crise. La Tunisie est lourdement endettée et mise sous pression par le FMI – le Fond Monétaire International.
En juillet 2021 Kaïs Saïed dissout le Parlement et instaure des mesures d’exception pour concentrer ses pouvoirs. La décision est contestée, des manifestations ont lieu, des boycotts de scrutins sont organisés. Il y a trois semaines, les dernières élections législatives ont été marquées par 90% d’abstention. Autant dire que la Tunisie post-révolutionnaire est en plein désenchantement.
Pour compléter ce tableau, le pouvoir arrête des dizaines d’opposant-es, notamment au sein de la coalition hostile au président, et s’en prend à des syndicalistes tunisiens mais aussi étrangers de passage dans le pays.
Racisme décomplexé
Pouvoir affaibli, autoritaire, crise économique… Cela ne vous rappelle rien ? Comme en Europe, la crise sociale et politique engendre le fascisme.
Le 21 février 2023, le président ouvre les vannes d’un racisme décomplexé, sur le modèle des discours d’extrême droite européens. Kaïs Saïed dénonce les «hordes» de personnes exilées clandestines lors d’un Conseil de sécurité nationale. L’arrivée d’immigrants subsahariens serait une «entreprise criminelle», les exilé-es seraient responsables de toutes les «violences». Pire, le président estime que l’arrivée de noirs en Tunisie serait un complot «visant à changer la composition démographique de la Tunisie» pour en faire un pays «africain seulement» afin de dénaturer son fond identitaire «arabo-musulman». C’est littéralement la version maghrébine du «grand remplacement» de Zemmour et autres fascistes français. Il semble que le président soit désormais sous influence du Parti nationaliste tunisien, parti d’extrême droite montant et de plus en plus médiatisé.
Depuis ce discours, c’est le déchaînement. Les violences, expulsions, expéditions punitives se multiplient. Une femme noire d’origine camerounaise a été lacérée au couteau à la poitrine lundi denier. Des subsaharien-nes sont chassé-es de leurs logements par les bailleurs. Des tags appelant à «tuer des noirs» sont inscrits sur les murs. Dans la ville de Sfax «des jeunes ont attaqué un immeuble où vivaient des Subsahariens, et tout le monde a été mis dehors» explique un exilé à la presse. Des logements ont été incendiés, dévalisés, des antifascistes tunisiens évoquent même des viols, braquages, coups de couteau contre des personnes noires.
Les subsaharien-nes vivent terrorisé-es en Tunisie, certain-es ont été rapatrié-es vers leurs pays d’origine en Afrique de l’Ouest, d’autres dorment devant leur ambassade sans manger ni boire après avoir été virés ou volés, et espèrent rentrer chez eux. Les étudiant-es noir-es ne vont plus en cours. Et devinez quoi ? L’extrême droite blanche européenne se réjouit sur internet de ce déchaînement de racisme tunisien.
Pour les noirs, le Maghreb est un parcours semé d’embûches. Dans la Libye post-Kadhafi, les pratiques d’esclavage et de sévices sont courantes, les subsaharien-nes subissent des violences et du racisme au Maroc, comme en Tunisie ou en Algérie. Et quand ces personnes tentent de traverser la Méditerranée, c’est au péril de leur vie.
Généalogie négrophobe
Ce racisme négrophobe n’est pas nouveau. Dans l’usage courant, la langue arabe désigne la personne blanche par un terme qui signifie «libre» alors qu’une personne noire est désignée par les termes «abid» ou «oussif» qui signifient «esclave». Les siècles de commerce esclavagiste interne à l’Afrique laissent des traces. Le colonialisme, qui utilisait des troupes noires pour maintenir l’ordre au Maghreb, aussi.
En 2016, trois hommes noirs sont attaqués à Tunis pour des raisons racistes : deux ont eu la gorge tranchée et le troisième est poignardé. En 2021, des dizaines d’étudiants noirs avaient été molestés dans plusieurs villes après l’élimination de la Tunisie de la Coupe d’Afrique des nations.
Au Maroc, trois migrants ont été tués en 2014 à Tanger pour des raisons racistes. «Dans la rue, certains nous appellent Ebola», raconte un Camerounais au journal Le Monde. Chaque Coupe d’Afrique des Nations provoque une déferlante de commentaires violemment négrophobes sur les réseaux sociaux, qui s’accompagnent parfois d’actes.
Contestations et résistances
La Tunisie compterait entre 10 à 15% de Tunisien-nes noir-es, parmi lesquels des descendant-es d’esclaves. Les pays d’Afrique du Nord n’ont jamais été homogènes sur le plan ethnique, quoiqu’en disent les nationalistes obsédés par les critères ethniques ou religieux. En Tunisie, des organisations militantes ou humanitaires tentent de faire face ces derniers jours à l’afflux d’appels de détresse et de personnes victimes de racisme. Les propagateurs de haine n’ont pas brisé toutes les solidarités.
En parallèle, le 5 mars, une grande manifestation a eu lieu à Tunis à l’appel de la centrale syndicale UGTT : une marche pour les libertés et la solidarité avec les migrant-es. Lors d’un discours, le porte-parole du syndicat a dénoncé l’autoritarisme du président et défendu «les droits des migrants» en insistant : «la Tunisie est un pays de tolérance, non au racisme».
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