Chronique lecture : «Malika, généalogie d’un crime policier»

La couverture du livre présentant le portrait de Malika

Cette semaine sort en librairie « Malika, généalogie d’une crime policier » de Jennifer Yezid aux éditions Hors d’atteinte. Malika Yezid c’est cette petite fille qui a été tuée en 1973 par un gendarme, chez elle, dans la Cité des Groux à Fresnes, alors qu’elle n’avait que huit ans. Ce 24 juin 1973, jour où Malika a été frappée à mort par un gendarme, est le point de départ d’une tragédie qui va dévaster toute sa famille. Ce livre raconte leur histoire, celle qui l’écrit en est la seule survivante : la nièce de Malika.

Il y a d’abord les faits, indubitables. Ce jour-là, Malika joue dehors avec ses amies lorsque deux gendarmes arrivent et interrogent les habitants du quartier. Ils recherchent un jeune homme accusé de vol, Malika entend qu’il s’agit de son grand frère. Alors qu’elle décide de rentrer chez elle, les gendarmes la suivent, menaçants. Elle parvient à prévenir son grand frère qui s’enfuit aussitôt. Les gendarmes tentent de le rattraper, sans succès, et vont même jusqu’à ouvrir le feu. Il n’est heureusement pas touché.

C’est alors furieux et armés que les gendarmes pénètrent de force dans l’appartement de la famille impuissante et leur assènent des propos racistes. L’un des deux gendarmes s’enferme avec Malika dans une des chambres au prétexte de l’interroger. Il la frappe, des pleurs et des cris résonnent, Malika appelle à l’aide. Quand le gendarme ressort, Malika s’effondre. Tandis que les policiers repartent après avoir saccagé l’appartement, la petite fille gît sur le sol inconsciente. Elle est transportée à l’hôpital, dans le coma, et décède quatre jours plus tard des suites d’un traumatisme crânien. Les rapports des neurochirurgiens sont formels. Pourtant, ce meurtre aboutira à un non-lieu.

Comment un crime aussi violent a-t-il pu rester impuni ? Chaque crime policier est une histoire terrible au sein de laquelle l’État et la justice mettent en place des mécanismes qui favorisent l’impunité. Dans la droite lignée de la colonisation de l’Algérie, la France et sa police raciste sème la terreur auprès des habitant-es algérien-nes. L’ombre asphyxiante d’octobre 1961 est encore présente, les ratonnades sont régulières et l’année 1973 est particulièrement meurtrière.

Immédiatement, les habitant-es du quartier et la famille endeuillée mettent en place un comité de soutien et créent une association. Les parents, Saïd et Fatima Yezid, portent plainte : une enquête est ouverte. Les médias diffusent l’information, des artistes apportent leur soutien, une manifestation est organisée et l’avocat demande une autopsie pour apporter la preuve du crime policier. Mais rien de tout ça ne va permettre d’obtenir justice. L’expertise judiciaire tombe comme un coup fatal : les causes de la mort de Malika sont inconnues. Comment est-ce possible ?

Entre temps, le rouleau compresseur de l’État et de la justice s’est mis en place. Les gendarmes inventent un scénario : c’est le père qui aurait giflé sa fille. La préfecture reprend cette version et va jusqu’à convoquer les parents à la préfecture de police pour un interrogatoire de plusieurs heures. Il y a aussi le harcèlement téléphonique et les démarches administratives anormalement longues qui visent à empêcher une contre expertise. Saïd Yezid retrouve les pneus de sa voiture crevés, le frère jumeau de Malika se fait frapper et insulter par les gendarmes alors qu’il rentre du centre de loisirs.

C’est une famille meurtrie dans sa chair qui doit se battre et qui bientôt s’effondre. Le père est gravement malade, à bout de force il décède moins d’un an après sa fille. La mère, avec très peu de moyens, se retrouve seule à élever des enfants traumatisés par le meurtre de leur sœur. Pauvreté, racisme, violences policières et injustice ne constituent pas un terreau fertile pour grandir et s’élever. L’horizon s’est réduit brutalement. « La violence est quotidienne, l’agressivité banalisée, l’impunité omniprésente ».

Les enfants vont être dévastés par des problèmes psychologiques et par la drogue. Les drames vont se succéder.

C’est de cette histoire familiale douloureuse que Jennifer Yezid hérite. Elle ne connaîtra jamais sa maman Fazia (la grande sœur de Malika) puisqu’elle est placée en famille d’accueil peu après sa naissance en 1992. Elle rencontre néanmoins sa grand-mère lorsqu’elle a 10 ans et toutes les deux deviennent très proches tandis que les fantômes apparaissent peu à peu. Avec une écriture à vif, droite et digne, Jennifer Yezid reprend là où tout semble s’être désagrégé, en 1973. Elle retisse les liens qui se sont décomposés.

Ce qui pourrait ressembler à une malédiction n’est rien d’autre qu’un crime policier, raciste, impuni, qui fracasse une famille et qui traverse les générations. Jennifer Yezid partage le récit de cette injustice, « pour vous dire qu’ils ont existé, qu’ils ont souffert et qu’ils sont tous morts. Mais que je suis vivante et que je veux croire qu’on peut dénouer un peu la menace de l’hérédité, espérer ne plus être si seule, rêver malgré tout de justice, imaginer se sentir comprise, sans fausse pitié ni vraie condescendance ».

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