Rafale d’attaques contre la presse


Antiterrorisme contre une reporter, journalistes convoqués, loi européenne pour surveiller la presse… La liberté de la presse est attaquée de toutes parts ces derniers jours par le gouvernement et ses forces de répression. Un recul massif et rapide, dans une indifférence quasiment générale. On fait le point.


L’antiterrorisme enquête contre une journaliste d’investigation

6h du matin, ce mardi 19 septembre. Le domicile de la journaliste Ariane Lavrilleux est perquisitionné de fond en comble avec du matériel ultra sophistiqué par la Direction générale de la sécurité intérieure – DGSI –, la police politique du gouvernement, et emmenée en garde à vue dans leurs locaux. Cette interpellation a lieu sur fond d’enquête pour «compromission du secret de la défense nationale et révélation d’information pouvant conduire à identifier un agent protégé». Les services veulent trouver les sources de la journaliste qui a enquêté pour le média Disclose et France 2 sur une opération militaire française en Égypte, baptisée Sirli. Elle révélait que le renseignement français avait été utilisé par le dictateur militaire égyptien pour traquer et assassiner des civils.

Les 9 agents chargés de l’antiterrorisme l’enferment pendant deux jours pour lui faire subir des interrogatoires. L’affaire fait scandale : c’est une atteinte inédite contre la liberté de la presse et le secret des sources.

On pouvait imaginer que tout s’arrêterait là, mais les autorités s’acharnent. Ariane Lavrilleux est présentée devant un juge des libertés et de la détention. Notes manuscrites, mails, documents de travail… La quasi-totalité des documents saisis au domicile de la journaliste sont versés à la procédure. Après la police, la justice autorise une atteinte sans précédent à la protection des sources.

Un militaire soupçonné d’avoir renseigné la journaliste est également arrêté et placé sous contrôle judiciaire. Il risque jusqu’à sept ans d’emprisonnement et un million d’euros d’amende. C’est une étape franchie : à présent, les révélations concernant l’armée française pourront conduire à ce genre de répression contre la presse. En 2019, Disclose avait déjà été inquiété pour avoir démontré que les ventes d’armes à l’Arabie Saoudite et au Yémen étaient utilisées pour massacrer la population civile.

Convoqués pour des articles sur un crime policier

Dès le 21 septembre, juste après la perquisition d’Ariane Lavrilleux, trois journalistes de Libération, Ismaël Halissat, Fabien Leboucq et Antoine Schirer, sont «convoqués pour être entendus en tant que suspects» par la brigade criminelle de la police judiciaire de Lille.
Cette fois-ci, il ne s’agit même pas de protéger un prétendu «secret défense». Ils ont publié une série d’articles sur la mort d’Amine Leknoun, tué par un policier de la BAC dans le Nord. Enquêter sur un crime policier expose désormais à la répression !

La police évoque comme motif une «violation du secret de l’instruction», «recel de violation du secret de l’instruction» et «diffamation publique à raison de la fonction ou de la qualité de dépositaire de l’autorité publique». Les journalistes de Libération avaient souligné les failles de l’enquête de l’IGPN et de la justice dans leurs investigations concernant la mort du jeune homme.

S’il ne s’agit pas de garde à vue ni de l’usage de moyens antiterroristes, l’évènement est gravissime. Des journalistes de la presse mainstream menacés par les autorités pour avoir travaillé sur une affaire de violences policières. Alors même que ces violences font l’objet d’une impunité systématique, les rares journalistes à simplement mettre en lumière ce phénomène sont inquiétés. Ce sont des méthodes de dictature, il n’y a pas d’autre mot.

La police ferroviaire s’y met

Trois jours plus tard, le 24 septembre. Une panne électrique géante paralyse la gare Montparnasse à Paris. Des trains sont annulés, le service public du rail montre une nouvelle fois sa défaillance. Des journalistes sont envoyés dans la gare pour couvrir l’événement. Mais les autorités ont déployé des agents de la police ferroviaire pour «empêcher [les journalistes] de filmer». De quel droit ? La gare est un lieu public. Le journaliste de France 2 Julien Cholin explique que deux amendes de 200 euros leur ont été infligées «pour prise de vue non autorisée». La SNCF prétend qu’«une gare est un lieu public soumis à un règlement» et que la prise de vue ne doit «entraîner aucune gêne pour les voyageurs ou pour le bon fonctionnement du service».

Une justification très étonnante, puisqu’à chaque grève, une nuée de journalistes se précipite sur chaque passager en retard pour lui faire dire du mal des mouvements sociaux. Encore une fois, c’est une entrave à la liberté de la presse. Même si l’enjeu est moindre, cette affaire révèle le recul généralisé du droit à l’information. La volonté de contrôle des médias s’immisce partout.

La France organise le recul à l’échelle européenne

Pour couronner le tout, le Parlement européen étudie actuellement une mesure baptisée «Media Freedom Act». À la base, il s’agit d’un règlement qui vise à lutter contre la concentration des médias dans l’espace communautaire et protéger leur indépendance. Une intention louable. Mais dans une époque de règne de la perversité généralisée, c’est l’inverse qui risque de se produire : le «Media Freedom Act» pourrait permettre de surveiller les journalistes. En effet, le texte a été largement réécrit par la France, qui s’est montrée très insistante auprès du Conseil de l’Union Européenne pour ajouter des exceptions : la possibilité pour les États, au nom de la sécurité nationale, de surveiller les journalistes afin d’identifier leurs sources.

Tout cela fait suite à des années de répression, souvent brutale, des petits médias indépendants. Tout est fait pour mettre au pas la presse, surtout si elle ne sert pas la soupe du pouvoir. S’il reste un peu de sentiment de fierté au sein de la profession journalistique, il est plus que temps que les salarié-es des médias dénoncent ces attaques et le régime autoritaire qui s’installe inexorablement en France.

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