Classées sans suite : chronique lecture


«Classées sans suite, les femmes victimes de violences face à la justice»
Violaine De Filippis-Abate, éditions Payot


Couverture du livre "Classées sans suite" comportant le dessin d'une femme dont la bouche est recouverte par un marteau de magistrat

L’autrice et avocate militante Violaine de Filippis-Abate dans son ouvrage nommé «Classées sans suite» revient sur un constat accablant : «L’écrasante majorité des violences faites aux femmes reste impunie et ignorée».

Les chiffres sont vertigineux : «80% des plaintes pour viols sont classées sans suite et moins de 1% d’entre elles aboutissent à une condamnation». Et les plaintes auprès des services de police sont loin d’être systématiques. C’est dire l’impunité dont bénéficient les violences masculines.

L’autrice aborde notamment une décision récurrente à laquelle les personnes sexisées se confrontent majoritairement lorsqu’elles arrivent à déposer plainte : le “Classement sans suite. Motif 21. Infraction insuffisamment caractérisée”. Une expression que nous sommes nombreuses à avoir découvert, abasourdies. Une décision du ministère public d’enterrer votre plainte, refuser de reconnaître l’infraction et le préjudice dont vous avez été victime. Une décision si commune en matière de violences sexistes et sexuelles que l’autrice en fait le titre de son ouvrage, comme une représentation caractéristique du déni systémique des violences sexistes et sexuelles. «Les rouages de notre justice sont toujours infectés par un sexisme délétère» constate t-elle.

Dans une première partie de son ouvrage, l’avocate décrit ainsi minutieusement la réalité de la procédure judiciaire, en s’appuyant sur les précieux témoignages de personnes confrontées à ces injustices ordinaires, avec son regard de professionnelle mais aussi de femme, confrontée comme toutes à la violence masculine.

L’autrice aborde le parcours de la combattante lors du dépôt de plainte : le mépris, les insultes, la culpabilisation, les tentatives de dissuasion ou encore la minimisation de la gravité des faits… et puis, ensuite, l’interminable attente ; les éventuels confrontations avec l’auteur, les expertises médicales dénuées de toute humanité… des expériences malheureusement si communes. Pas d’enquête, pas d’audition, pas de témoins, pas de garde à vue… là où tant d’autres, manifestant-es, voleurs à la sauvette, dealers de shit et autres délinquants inoffensifs, ont eu tant de fois à faire les frais de la répression, l’expérimentation de la privation de liberté et bien souvent la privation de sa propre dignité humaine. Mais les priorités des politiques pénales sont évidentes. Citant l’un de ses confrères, l’autrice évoque ainsi la différence de traitement judiciaire selon les infractions, prenant l’exemple de la répression démesurée de l’usage de stupéfiants comparée à celle des violences conjugales, largement ignorées ou impunies.

Pour autant, Violaine de Filippis-Abate ne s’inscrit pas dans une démarche de découragement ou d’encouragement à déposer plainte. Face à une société qui fait peser tant d’injonctions aux personnes sexisées, elle rappelle l’importance de la liberté de choix. Déposer plainte est un droit, une décision individuelle qui ne concerne que soi.

Son livre permet ainsi de donner les informations juridiques nécessaires à cette prise de décision personnelle, mais a aussi l’intérêt, quelque soit la décision de déposer plainte ou non, de se préparer à faire face aux violences d’une institution policière et judiciaire profondément sexiste et misogyne.

Dans une seconde partie de son ouvrage, l’autrice revient alors sur la genèse de cette justice patriarcale. Une histoire longue du sexisme qui s’est immiscée au plus profond de nos institutions, et de nos représentations sociales de manière générale. C’est cette culture du viol également que Violaine de Fillipis-Abate dénonce ardemment. L’ensemble de ses biais sexistes, dans toutes les sphères de nos vies, qui font des violences sexuelles et sexistes des violences systémiques et non pas individuelles. Des biais sexistes qui interviennent nécessairement dans le traitement judiciaire des violences sexistes.

Enfin, dans une troisième partie, l’autrice partage ses réflexions sur les moyens de «changer le système» et propose différents «axes d’amélioration» pour un meilleur «sort judiciaire des victimes». Parmi ces pistes de réflexions : la nécessité d’informer et de connaître ses droits face à la police qui les bafoue quotidiennement ; imposer un minimum d’actes d’enquêtes avant de recourir à un classement sans suite ; ou encore mettre fin à l’impunité policière face au refus d’appliquer la loi, ou encore face aux traitements et propos dégradants.

Un livre nécessaire à lire, et à faire lire également à celleux qui prétendent honteusement que la justice prend désormais la mesure des violences sexuelles et sexistes. Rien n’est plus faux. Le combat doit continuer, contre cette justice patriarcale et sa police violente, et plus largement contre le sexisme ordinaire qui continue d’infuser dans toutes les sphères de nos vies.

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