Une fiction bien trop réelle, une justice bien trop cruelle
Le film, qui sortira le 15 novembre prochain, raconte l’histoire de la famille de Karim, un jeune de cité comme tant d’autres. Un gamin lambda “issu de l’immigration” avec ses bons côtés et ses travers. Arrêté par la police, il ne sortira pas vivant du commissariat : le film peut commencer, ce sera à la famille de découvrir la vérité sur sa mort, avant que les flammes qui embrasent le quartier ne s’éteignent.
Le réalisateur Mehdi Fikri a visiblement bien travaillé son sujet : bien que ce soit une fiction on y retrouve de nombreux éléments d’histoires d’assassinats policiers bien réels. On songe à la mort d’Adama Traoré, de Wissam El Yamni, d’Amine Bentounsi ou encore de Nahel Merzouk…
S’il y a parfois quelques longueur au début, c’est pour montrer à quel point Malika, l’héroïne jouée par Camélia Jordana, est déboussolée par la mort de son frère, qu’elle patauge dans son deuil impossible à faire, et qu’elle ne sait par quel bout commencer à combattre l’ordre social qui a assassiné son frère. Les institutions policière et judiciaire semblent inébranlables, implacables.
Un avocat qui sort d’on ne sait où, froid et inhumain, conseille la docilité à la famille : il ne faut pas faire de vagues pour obtenir justice. Le conseil, stupide et dangereux, fait pourtant effet. Il faudra qu’un militant associatif alerte la famille pour que celle-ci puisse relever la tête : “Ce qui fait la différence entre les morts dont on parle et ceux dont on parle pas c’est la rapidité des familles”. Dès lors, l’histoire commence réellement.
Le début du film semble ainsi volontairement hésitant, les membres de la famille se disputent sur la marche à suivre, subissent la pression de la police et de journalistes pour “appeler au calme”. Le film montre alors bien la difficulté à mobiliser sur les violences policières, d’autant que les familles bouleversées ont souvent besoin de calme et de paix pour affronter le deuil, ce qui profite au maintien de l’ordre.
Si l’histoire est celle d’un drame familial, celui-ci est intimement lié au climat social de notre temps. Le racisme, jamais mentionné, est pourtant omniprésent. Le quartier est un territoire sous occupation policière, avec des check-points, des contrôles au faciès, des chasses à l’homme. La douleur de la famille et la colère du quartier se mélangent, l’État cherche par tous les moyens à leur faire intégrer leur subordination, à leur apprendre l’obéissance. Une entreprise de dressage.
Mais le film est aussi une histoire de fierté, de combat : il montre la force d’une famille, de deux sœurs et un frère – interprété par le rappeur Sofiane Zermani – qui exprimeront leur colère alors que tout le monde veut leur interdire ou leur confisquer. Peu à peu, les trois personnages vont développer leur capacité à communiquer, à mobiliser, à se démener dans les procédures judiciaires.
Le film ne tait rien des difficultés des proches de Karim, des conséquences à long terme sur la vie de la famille : disputes, conduites à risques, dépression, séparation, perte d’emploi… Se battre contre l’injustice n’est pas la voie facile. Il ne tait rien non plus des responsables de ces souffrances : les flics qui mettent la pression et vont jusqu’à emprisonner Driss, le frère de Karim, les mensonges et trahisons des journalistes, les récupérations des politiques.
C’est aussi un film sur la puissance du collectif et de la solidarité, la force d’une famille qui parvient à se battre contre une institution certaine de son impunité. Une force résumée dans une seule citation de Nour, la plus jeune sœur de Karim interprétée par Sonia Faidi : “Nous voulons la justice, et si on ne nous la donne pas, on viendra la prendre”.
Mention spéciale à Mehdi Fikri pour son choix graphique de l’agression de Karim par les flics qui restitue la violence sans tomber dans le sensationnalisme ni le voyeurisme.
Finalement, “Avant que les flammes ne s’éteignent” n’est pas seulement un film sur les violences policières, mais aussi sur la condition des quartiers, la difficulté à s’y construire une identité valorisée, les séquelles de la déchirure migratoire et de l’absence de racines. Ou plutôt sur la présence de racines encombrantes, emmêlées et constamment piétinées. Piétinées par les bottes de la police et de la justice.
2 réflexions au sujet de « À voir : «Avant que les flammes ne s’éteignent», de Mehdi Fikri »
Très bon film,
Autant sur la condition des descendantEs de travailleurs immigrés, sur les joies et les dégâts individuels de l’engagement aujourd’hui que sur la police et sa brutalité, son rôle destructeur.
Mais si le système judiciaire et en particulier les avocats et la presse sont bien présents, je n’ai pas vu le thème de la récupération politique ( la question du combat politique ou pas est centrale, mais pas vu la récupération)
Merci pour votre boulot
Un lecteur régulier.
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