Chronique lecture : « En attendant qu’on se libère », de Mariame Kaba aux éditions hors d’atteinte


«Alors comme ça, vous songez à devenir abolitionniste»


En attendant qu’on se libère est un ouvrage qui présente plusieurs textes écrit par l’autrice et militante des États-Unis Mariame Kaba : des entretiens ainsi qu’une nouvelle se déroulant dans un monde où la police et la justice pénale n’ont jamais existé. Ce livre explique simplement, avec des exemples concrets, ce qu’est l’abolitionnisme. Elle y aborde différents crimes policiers, des condamnations injustes, le racisme, le sexisme, l’histoire des prisons aux États-Unis… C’est un condensé d’informations qui peut se lire aussi bien d’une traite que petit à petit, au fil de sa propre réflexion.

Être pour l’abolition de la police, de la prison et de la surveillance amène Mariame Kaba à questionner toutes les institutions qui nous entourent : l’école, la justice, l’espace public, nos relations interpersonnelles, le fait d’être à la fois victime et auteur-ices de préjudices, la binarité de l’institution judiciaire qui nous enferme dans une position de victime ou d’auteur de violence pour toujours et nous dépossède de notre agentivité, c’est-à-dire de notre puissance d’agir.

Au fil des différents textes, on comprend l’étendue des changements que la pratique quotidienne de l’abolitionnisme pourrait avoir sur nos vies. L’abolitionnisme est un rapport au monde, c’est l’apprentissage de sa propre responsabilité envers les autres, de notre interdépendance. C’est à contre-temps de l’entreprise néolibérale qui nous entoure. Et l’autrice nous l’explique très bien, en abordant à la fois les questions rationnelles et sensibles que pose la recherche de justice pour soi et pour les autres.

Elle aborde l’abolitionnisme en adoptant le point de vue des victimes, mais également des auteur-ices de préjudices, y compris dans le cas de violences policières et de violences sexuelles. C’est en prenant en compte le contexte social, politique et économique qui a rendu possible les violences que l’on pourra endiguer ces violences systémiques, à l’instar de la justice traditionnelle qui cultive l’idée d’une «exceptionnalité» de ces actes, de «brebis galeuses». Une inculpation particulière ou une condamnation d’un policier ou d’un violeur ne remet pas en cause l’ensemble du système qui a permis que ces violences se produisent.

Mariame Kaba explique ce qu’est la justice transformatrice et ce qu’elle n’est pas. C’est une alternative qui prend en compte le contexte systémique et qui cherche à le changer, mais c’est un processus qui peut être envisagé à condition de ne pas chercher à se venger ou à humilier l’auteur-ices de préjudices. C’est un processus douloureux, qui peut échouer mais qui, quand il réussit, permet d’obtenir des changements sincères et de reconstruire.

L’autrice évoque des sujets trop souvent tus, comme la satisfaction que l’on peut ressentir en souhaitant la prison à perpétuité ou la mort de certains auteurs de préjudices, et rappelle que : «L’abolition n’a rien à voir avec vos émotions. Il ne s’agit pas d’obtenir une satisfaction émotionnelle. Il s’agit de transformer les conditions dans lesquelles nous vivons, travaillons et nous distrayons». L’abolitionnisme n’est pas une réponse émotionnelle, c’est une philosophie, une discipline qui se pratique.

Cette pratique est essentielle pour Mariame Kaba, c’est par celle-ci que nous pouvons espérer sortir de la justice carcérale et trouver «comment répondre à la violence et aux préjudices sans provoquer encore plus de violence et de dommages».


En attendant qu’on se libère, Vers une justice sans police ni prison, de Mariame Kaba est disponible aux éditions hors d’atteinte. 23€ pour 380 pages.

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