Chronique lecture sur la vie de larbin


«À votre service. Les travailleurs essentiels qu’on ne voit pas» de Racha Belmehdi, aux Éditions Favre, paru en 2024.


Pour celles et ceux qui ont déjà expérimenté les emplois de service, sous-payés, méprisés… pour celles et ceux qui se reconnaîtront face au harcèlement et aux humiliations répétitives de leurs supérieurs hiérarchiques ou encore de leur clientèle infecte, parfois insultante, méprisante, ce livre a un réel effet cathartique ! Et pour celles et ceux qui ignorent les conditions de travail de ces invisibles alors la lecture de ce livre est d’une extrême urgence.

Complètement ignoré-es par les grands médias et les politiques, les employé-es au service du public, pourtant essentiel-les, subissent la violence du capitalisme, du racisme et du sexisme en pleine face, et dans le plus grand des silences. Mépris de classe, humiliation, harcèlement, agression au travail, infantilisation… l’autrice Racha Belmehdi, ayant elle-même expérimenté la violence de ces conditions de travail, partage également à travers cet ouvrage différents témoignages dans le monde du service, que ce soit dans la vente, l’assistance à la personne, la restauration, l’accueil… Elle met en parallèle les recherches et analyses statistiques qui permettent de dresser un constat accablant et loin d’être anecdotique : «Travailler dans le service est devenu ma vision personnelle de l’enfer».

Grand-es oublié-es des questionnements sur le bien-être au travail, les employé-es du service constituent ainsi «la nouvelle classe ouvrière». Car c’est bien une lutte de classes qui s’inscrit dans la souffrance de tou-tes ces travailleur-ses violenté-es, humilié-es, méprisé-es. L’autrice en vient même a se demander si «le harcèlement est inhérent aux métiers du service parce qu’on en considère le personnel… inférieur».

La question du racisme et du sexisme est également au cœur de cette lutte. La sociologue Alizée Delpierre, dans son ouvrage «Servir les riches, les domestiques chez les grandes fortunes», note en effet que la moitié des «domestiques qu’elle a rencontré sont des femmes» et qu’une grande partie de celles-ci sont des personnes racisées.

Le service, ce sont aussi des pratiques managériales infantilisantes et humiliantes, par exemple le fait d’imposer à ses employé-es qu’illes demandent l’autorisation pour aller aux toilettes. Un phénomène loin d’être anecdotique, comme l’a révélé le scandale du «pause pipi gate», où des employé-es d’Amazon se voyaient contraint-es d’uriner dans des bouteilles faute de pouvoir quitter leur poste de travail.

L’ONG britannique Oxfam avait ainsi révélé en 2016 que des employé-es du secteur volailler aux États-Unis n’avaient d’autres choix que de porter des couches au travail. Des humiliations insoutenables, qui s’ajoutent à un système de surveillance généralisée : «jamais à court de bonnes idées, le capitalisme est à l’affût de la moindre technologie permettant de fliquer les salariés jusqu’à l’absurde»… et parfois même jusqu’à la privation de toute dignité humaine.

Les métiers du service sont aussi ceux qui exposent ces travailleur-ses à la violence physique de la clientèle, aux injures racistes, à l’humiliation publique… On se souvient des insultes racistes et sexistes qu’a subi Nafissatou Diallo, employée du Sofitel, qui avait eu le courage de dénoncer l’agression sexuelle commise par Dominique Strauss Kahn à son encontre. Les femmes étrangères et racisées sont en première ligne face à ces violences au sein d’un milieu professionnel qui ferme les yeux sur les rapports de domination. Combien de fois a t-on d’ailleurs pu entendre dans la bouche de nos patrons comme de certain-es client-es que «le client est roi».


Mais n’oublions pas : «Lorsqu’un commerçant affirme que le client est roi, méfions-nous de la guillotine» disait Robert Sabatier.


«À votre service» dénonce aussi le phénomène d’ubérisation de la société et interpelle toutes ces personnes de classes moyennes et bourgeoises qui participent à maintenir un tel système de domination par le besoin continuel de se faire servir pour se sentir exister.

Soi-disant non qualifiés, ces métiers demandent en réalité des compétences précises et variées : dextérité, force, mémoire, endurance, qualités relationnelles… et un courage absolu d’affronter chaque jour un tel mépris.

Exclu-es de la possibilité du télétravail, ce sont aussi ces invisibles qui subissent l’inflation de plein fouet : l’explosion du prix du carburant, des abonnements de transports en commun, du prix de la nourriture préparée à emporter…

Ce sont aussi des métiers où les maladies professionnelles sont monnaie courante : tendinites, mal de dos, troubles du sommeil, en plus du stress généré par la maltraitance au travail et aux horaires décalés. Les employé-es du service sont bien souvent dans l’obligation de consulter des médecins pour soigner les troubles musculo-squelettiques, mais les prescriptions d’anxiolytiques et d’antidépresseurs explosent aussi. 68% de ces travailleur-ses développent ainsi des troubles anxieux liés aux «incivilités ordinaires», qui créent un sentiment d’humiliation bien réel et particulièrement destructeur. À force d’être “au service de”, on s’oublie soi-même.

Sans oublier un sujet plus caché que l’autrice n’aborde pas, et qui concerne particulièrement les métiers de la restauration, l’usage croissant de substances psychoactives stimulantes, à l’instar de l’alcool ou de la cocaïne, afin de pouvoir supporter des conditions de travail bien souvent inhumaines.

Les réflexions sur le travail qui ont émergé au moment de la pandémie de Covid 19 ont lancé une immense vague de démissions, reflet de la colère des salarié-es à se voir exploité-es et humilieé-es. Dans le domaine de la restauration, ce sont 10% des travailleur-ses qui ont fuit. 520.000 personnes auraient ainsi quitté leur emploi chaque trimestre entre 2021 et 2022. Et les raisons sont par trop évidentes.

L’autrice aborde pour finir des pistes essentielles pour mettre fin à ce système d’oppression et de domination à grande échelle dans le monde du travail. L’amélioration de ces postes de travail ne repose en effet pas que sur une question de salaire. Il est ici d’avantage question de conditions de travail et de respect de la dignité humaine. Mais cela s’inscrit nécessairement dans une réflexion plus globale sur le système de domination capitaliste, néolibéral, patriarcal et néocolonial, qui doit prendre prendre fin nécessairement.


Mais en attendant de brûler (très prochainement on l’espère) le capitalisme, Racha Belmehdi conclut son brillant ouvrage en rappelant une évidence qu’il n’est jamais inutile de rappeler à celles et ceux qui profitent de ces services : «commencer à considérer les employées de service comme des humains».


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