8 mai 1945 : le massacre de Sétif, Guelma et Kherrata en Algérie


Devoir de mémoire


8 mai 1945 : le massacre de Sétif, Guelma et Kherrata en Algérie

Ce mercredi 8 mai, nous avons commémoré une date historique importante : la capitulation du Régime nazi et fin de la Seconde Guerre Mondiale en 1945. C’est aussi la date, beaucoup moins connue, de l’un des plus grands massacres colonial jamais commis par la France. Le jour même de cette journée de joie en France métropolitaine, marquée par l’arrêt de la guerre sur le sol européen, des dizaines de milliers d’Algériens sont tués par l’armée et la police française, dans les villes de Sétif, Guelma, Kherrata. Après cette journée fatidique, l’amorce de la Guerre d’Algérie a déjà commencé.

Ce jour là, au petit matin, près de 10.000 personnes se rassemblent à Sétif, ville du nord-est de l’Algérie, et manifestent, profitant de la victoire sur le nazisme pour réclamer leur propre libération. Un défilé pacifique, sans arme, aux cris de «Indépendance» ou encore «Libérez Messali Hadj», un leader algérien emprisonné, «L’Algérie est à nous». Pour la première fois, le drapeau algérien est brandi dans la rue : l’étendard vert et blanc.

Les policiers attaquent alors la foule pour arracher le drapeau. Un inspecteur tire et abat le porteur : un jeune scout de 22 ans. C’est la panique. Un car de gendarme fauche d’autres manifestant-es. Des colons ouvrent le feu sur la foule. Une milice d’européens est armée, des forces policières sont déployées. La manifestation se transforme en émeute. 23 Européens et 35 Algériens sont tués. Le couvre-feu est instauré pour les musulmans et le commissaire de la ville décrète que chaque mouvement jugé suspect peut provoquer un tir. La presse française qualifie les algériens de «terroristes».

L’armée reprend le contrôle à Sétif, mais la colère gronde dans les villages de Kabylie, puis à Guelma et Kherata. À Guelma, des pancartes célèbrent la victoire des alliés ainsi que leurs drapeaux entourant un drapeau algérien, et le cortège se dirige vers le monument aux morts. Le sous-préfet, qui sera plus tard à la tête du groupe armée d’extrême droite OAS, sort une arme et tire. Plusieurs morts, suivies d’arrestations et d’exactions.

À Kherrata, les colons européens prennent peur et s’arment jusqu’aux dents, alors qu’aucune manifestation n’est encore organisée. Un couvre-feu est annoncé, ce qui provoque une mobilisation à l’aube du 9 mai. Des fusillades ont lieu. En riposte, des militaires sont attaqués. Les automitrailleuses de l’armée française se mettent à tirer sur la population, des bombardements tombent sur les montagnes. Au même moment, des navires tirent 8800 obus depuis la mer sur la région de Sétif. Il y a des arrestations de masse, des exécutions sommaires, des prisonniers jetés d’une falaise. Des villages kabyles sont incendiés et rasés. La torture se généralise. L’armée organise des cérémonies de soumission où tous les hommes doivent se prosterner devant le drapeau français.

La répression, justifiée par la mort d’Européens, parfois dans des conditions atroces, est encore plus terrible. La presse française parle de «terrorisme» algérien. Le quotidien du PCF L’Humanité assure même que les émeutiers sont des sympathisants nazis. L’armée française se déchaîne sur les populations de la région et tue sans distinction. Les violences durent tout le mois de mai, dans tout le pays, et font des dizaines de milliers de victimes. Rappelons que dans le gouvernement français se trouvent, aux côtés de De Gaulle, les socialistes et le PCF. Au total, 102 Européens ou militaires auraient été tués. Du côté algérien, tant de corps ont disparu qu’un décompte est impossible. Les morts sont estimés entre 10.000 et 45.000.

L’écrivain Kateb Yacine racontera : «J’avais vingt ans. Le choc que je ressentis devant l’impitoyable boucherie qui provoqua la mort de plusieurs milliers de musulmans, je ne l’ai jamais oublié. Là se cimente mon nationalisme […] En organisant une manifestation qui se voulait pacifique, on a été pris par surprise. Les dirigeants n’avaient pas prévu de réactions. Cela s’est terminé par des dizaines de milliers de victimes. À Guelma, ma mère a perdu la mémoire…»

Albert Camus, écrivain et fils de petits colons, est la première personnalité européenne d’Algérie à décrire les massacres dans la presse française. Il n’est pas entendu. Plus tard, empêtré dans des contradictions politiques et personnelles, il se perdra dans des positions ambiguës, refusant de défendre le mouvement de libération algérien.

Le 8 mai 1945, l’Empire français a organisé une répression préventive, avec une infinie violence, pour briser toute résistance en Algérie dans des rivières de sang. Cela n’a pas fonctionné, 17 ans plus tard, l’Algérie arrachait son indépendance.


Le 8 mai 2024, dans un pays racorni autour de débats xénophobes et d’un roman national frelaté, il reste difficile de parler des crimes commis par l’État français dans ses colonies. Et le gouvernement français soutient «inconditionnellement» d’autres massacres coloniaux, en Palestine cette fois-ci, tout en réprimant implacablement les voix anticoloniales sur son sol.


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