Drame national dans les médias

Depuis octobre, nous avons connu l’instrumentalisation de l’antisémitisme pour faire taire les soutiens à la Palestine. C’était indigne. Puis cette instrumentalisation a servi à faire taire la gauche, et à soutenir les pétainistes du Rassemblement National. C’est devenu glauque et malsain. À présent, nous avons basculé dans le bizarre, le n’importe quoi et le grotesque.
L’offensive a été lancée le 10 juillet par des personnalités pro-israéliennes, comme l’ancien socialiste désormais éditorialiste chez Cnews, Julien Dray. Des élèves d’un lycée privé juif parisien auraient eu des «notes anormalement basses» aux épreuves du grand oral du Bac, les enseignants les auraient volontairement discriminé. Le Crif – Conseil représentatif des institutions juives de France – alerte immédiatement le ministère de l’Éducation Nationale
Un compte Twitter pro-Israël influent, qui a passé ces derniers mois à répandre des fake news sur Gaza, écrit que ces bacheliers viennent d’un «lycée juif d’excellence, taux de réussite de 100% et 92% de mentions en 2023» mais qu’ils auraient été examinés dans la circonscription du député insoumis Aymeric Caron – le 18ème arrondissement – et que, par conséquent, ils auraient obtenu «entre 3 et 8/20, soit 9 points en moyenne inférieures». Il évoque aussi une prétendue «agressivité et de commentaires déplacés du jury» et conclut : «Pour nous, parents juifs, cette affaire est un véritable tremblement de terre». Ce post est massivement partagé.
Selon cette fiction, dans une zone dirigée par un élu de gauche, donc forcément antisémite, des profs, forcément islamo-gauchistes, auraient volontairement baissé les notes d’élèves aux noms juifs. Un récit complotiste, diffusé sans aucune preuve, qui provoque pourtant instantanément une polémique nationale. Toute la presse et les plateaux télé se ruent dessus.
La présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse, s’exclame toujours sans preuve : «De l’antisémitisme au Bac ? du jamais vu ! Si faits sont avérés, ils sont très graves. Aucun élève ne doit être discriminé par ses professeurs en raison de sa religion. J’ai saisi le rectorat de Paris pour faire toute la lumière sur cette affaire».
La ministre de l’Éducation annonce une enquête en écrivant sur Twitter : «Vous avez été nombreux à m’alerter sur cette situation. Dès connaissance des faits, j’ai demandé à mes services de lancer une enquête approfondie. Si les faits étaient avérés, ils seraient intolérables dans notre École. Et je ne laisserai rien passer». Cela amplifie encore la médiatisation.
La députée macroniste Caroline Yadan est invitée sur BFM. Le chroniqueur Christophe Barbier lui demande : «Aux oraux du bac des élèves juifs auraient été notés plus sévèrement. Que savez vous de cette affaire ?» L’élue répond : «Je n’en sais pas plus que vous. (…) Mais je crois que cette affaire, si elle est révélée vraie (sic), et ce que je pense, enfin de ce que j’ai vu il n’y a pas de raison que ce ne soit pas le cas, est très très grave et elle dit quelque chose et elle dit en réalité ce qu’a créé LFI. [LFI] a créé la possibilité d’une discrimination totale envers les juifs dans ce pays».
Sur un média communautaire, la même Carolien Yadan va encore plus loin : «Il y a une gangrène antisémite dans l’Éducation nationale». Elle diffame ainsi des dizaines de milliers d’enseignants.
Mais la baudruche se dégonfle immédiatement. Des sources qui avaient pourtant allumé l’incendie sur Twitter reviennent sur leurs propos : «Il s’agit de 14 élèves parmi lesquels seulement 3 avaient eu une moyenne supérieure à 13/20 au cours de l’année. Qui sont passés devant 3 jurys différents. Qui ont attribué des notes allant jusqu’à 18 à des élèves du même établissement».
L’hebdomadaire Marianne commence à rétablir la vérité le 11 juillet au soir : selon un responsable du ministère de l’Éducation nationale, en réalité, une partie de ces élèves du lycée Yabné auraient, « certes, été sous-notés par les deux jurys composés de deux enseignants. Mais ces deux jurys auraient également sous-notés d’autres lycéens, ces derniers émanant de plusieurs lycées parisiens », « il ne s’agissait pas d’une discrimination envers des élèves juifs mais d’enseignants qui notaient sec ».
L’enquête du Ministère de l’Éducation tombe peu après et confirme : «Il n’y a pas eu de discrimination à l’égard de 15 élèves du lycée. L’analyse de l’examen des notes ne révèle aucune distorsion de notation», graphiques des notes à l’appui.
Le ministère rappelle que seuls 5 élèves de Yabné avaient eu moins de 10/20 l’an dernier lors de cet oral de physique-chimie. Ils sont 22 sur 139 élèves cette année.
« 6 élèves de Yabné ont effectivement obtenu entre 7 et 9. Mais 16 autres élèves du lycée juif ont obtenu entre 10 et 18. L’élève qui a obtenu la note la plus médiocre, un 2, n’est par ailleurs pas de Yabné. »
Sur Cnews, le président du Consistoire central Israélite de France Elie Korchia estime, malgré ces preuves, que «si ça avait été le cas, ce serait très grave» et que c’est la faute d’une «mélenchonisation des esprits» ! Du délire : il n’y a pas d’affaire, mais Mélenchon est quand même coupable !
Julien Dray, par qui la polémique est arrivée, s’exclame sur Twitter : «L’Éducation nationale se moque du monde. En 24h elle nous dit : on a vérifié, tout est normal ?! C’est une honte digne des grandes lâchetés administratives de ce pays… une longue histoire !» Complotisme total.
Résultat : une dizaine de députés mobilisés, une ministre, un rectorat, et un emballement médiatique pour un mensonge inventé par des jeunes qui n’avaient pas révisé et qui sont tombés sur un jury sévère. Personne n’a attendu l’enquête avant de réagir. Et même après le démontage de cette intox, certains fanatiques continuent de mentir et de diffamer les enseignants et la gauche. Dans un contexte de grande souffrance au sein de l’Éducation Nationale.
Le collectif d’enseignants Stylos rouges réagit : «Nous attendons des excuses publiques, une commission d’enquête parlementaire contre Caroline Yadan pour avoir insulté le monde enseignant».
Tout cela aurait pu rester un gag, une histoire insolite digne de l’élève Ducobu. Sauf qu’il n’y a rien de drôle, dans la période, à instrumentaliser ainsi l’antisémitisme et à diffamer les dernières forces qui barrent la route au fascisme et les profs.
Ces derniers mois, des étoiles de David bleue inscrites pour «soutenir Israël» selon leur auteur ont été qualifié d’antisémites. Caroline Yadan, déjà elle, avait estimé qu’un tag mentionnant «fuck antisémitisme» était antisémite. Des mains rouges brandies par des étudiants pour dénoncer le génocide à Gaza ont été qualifiées d’antisémites, de même que le mot «porc» adressé à Meyer Habib, le mot «camper» utilisé par Mélenchon. Les soutiens d’Israël on aussi qualifié d’antisémite l’ONU, le Pape, la Cour de Justice Internationale… et maintenant les enseignants.
Ce n’est pas juste indécent. Cette destruction des mots et cette banalisation de l’antisémitisme est un jeu extrêmement dangereux, perdant pour tout le monde, et en particulier pour nos ami.e.s, camarades et proches de confession juive.
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3 réflexions au sujet de « Insolite : des élèves ratent leur bac, les parents accusent les profs d’antisémitisme »
Mais..mais..mais…je ne comprends pas ou je suis à côté de la plaque !!
Les corrections d’examen sont ANONYME et le correcteur ne connait pas le nom (juif ou pas, comment fait t’on pour le savoir? on se croirait sous l’occupation avec l’exposition « le juif et la France » !!). Les copies sont numérotés avec un bandeau arrachable sur pointillés, comprenant le nom (et le numéro) et suite à la correction on remet en place tout ça (sur ordinateur je suppose) et Hop! on a la note ET le nom (juif ?? c’est quoi un nom juif ?? un Juif américain à donc un nom juif quand il se nomme Smith ?? alors que c’est d’abord une religion ??)
Alors, dites moi si je me trompe pour les copies (ça fait longtemps que je n’ai passé d’examen scolaire)
Il s’agit de l’épreuve de grand oral, les candidats ne sont donc pas anonymes et le jury sait de quel lycée ils proviennent.
Merci de l’article et du boulot,
Le Ministère aurait plusieurs plaintes a déposer….
Il y reste des gens honnêtes dans les services et il n’est pas encore devenu tout a fait le ministère de la vérité sauce Orwell.
A défaut, a défaut car…..un ou des syndicats, plainte en diffamation à l’encontre des personnels qu’ils représentent