Histoire : le leader socialiste sera vengé par des anarchistes
«Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage» déclarait Jean Jaurès. Jusqu’à sa mort, cette figure du socialisme s’est battue contre le nationalisme et le militarisme qui montait en Europe. Alors que la guerre s’apprêtait à exploser, il était en 1914 l’une des seules personnalités influentes en capacité de s’opposer, en France, à l’engrenage mortel. Pendant des années, la presse d’extrême droite l’avait diffamé, sali, avait appelé à l’éliminer.
L’assassinat
Nous sommes le 31 juillet 1914 au soir. Il y a 110 ans, au café du Croissant, à Paris. Les locaux du journal L’Humanité, fondé par Jaurès, sont situés juste à côté. Vers 21h, le socialiste s’y installe avec des proches. Il fait chaud, la fenêtre du café est ouverte. À 21h40, un militant d’extrême droite sort un revolver et tire deux balles vers la table. Jaurès s’effondre. Le tueur est arrêté, il porte bien son nom : Raoul Villain.
Début de la Première Guerre Mondiale
Le lendemain, l’Allemagne déclare la guerre à la Russie. La France décrète la mobilisation générale. Le 3 août, la France et l’Allemagne entrent en conflit. La mort de Jaurès a précipité la montée en guerre. La gauche française organise la plus grande trahison de toute son histoire – elle en a pourtant commises beaucoup d’autres –. La CGT avait promis une «grève générale» contre la guerre. La gauche devait s’opposer au nationalisme et au conflit «entre travailleurs» allemands et français, refuser la mobilisation. Mais immédiatement après la mort de Jaurès, tout ce petit monde rentre dans «l’Union Sacrée» : un gouvernement d’Union nationale favorable à la guerre. C’est la sidération.
Des millions de personnes sont précipitées dans l’horreur. Dès les premiers mois, les soldats français subissent une hécatombe, à cause d’un état major criminel et débile. Les «chefs de guerre» français sont des dangers publics, hier comme aujourd’hui. C’est la première boucherie industrielle mondialisée de l’histoire, après les grands massacres coloniaux. 4 années de conflit. 10 millions de morts. 40 millions de blessés et d’innombrables mutilations. Des hommes défigurés, invalides, traumatisés. 11 départements dévastés. 1 milliard d’obus tirés. Les premiers gaz militaires et les premiers avions de guerre sont testés. Des généraux français avides de sang : Pétain, Joffre ou Nivelle, qui envoient des jeunes hommes se faire massacrer par centaines de milliers en quelques jours, pour un morceau de terrain. La vie humaine n’a aucune valeur. Ceux qui refusent sont fusillés pour l’exemple. La guerre des tranchées, ce sont aussi plusieurs centaines de milliers de civils hommes, femmes et enfants qui meurent de famine à l’arrière, alors que les gouvernements dépensent des sommes astronomiques en armement. Une génération entière de jeunes européens et de colonisés est décimée.
Cette guerre sera la mère des suivantes, car les totalitarismes vont naître dans cette Europe meurtrie, militarisée, brutalisée. Hitler et Mussolini sont les purs produits des tranchées. Et la folie meurtrière embrase à nouveau l’Europe et le monde, 20 ans seulement plus tard.
Quand la justice n’est que violence…
Que devient le tueur de Jean Jaurès ? Alors qu’il a revendiqué son acte, Raoul Villain est acquitté juste après la fin du conflit ! La France est en pleine ferveur nationaliste, après sa «victoire» contre l’Allemagne. La veuve de Jaurès est même condamnée à payer les frais de justice ! Une décision scandaleuse, l’assassin ressort libre, comme remercié symboliquement pour sa contribution à l’engrenage militaire.
…La violence n’est que justice
Fanatique religieux, instable, Villain s’installe en 1932 sur l’île d’Ibiza au large de l’Espagne, sous pseudonyme. En 1936, les militaires de l’île espagnole se rallient au Général Franco, qui organise un coup d’État fasciste. Les républicains antifascistes de Barcelone débarquent pour reprendre l’île. Une colonne anarchiste baptisée «Cultura y Acción» combat et remporte la victoire. Dans une certaine confusion, Raoul Villain aurait été reconnu par les anarchistes. Il est exécuté en septembre 1936. Jaurès le socialiste est vengé à titre posthume par les forces révolutionnaires les plus avancées.
Une vengeance complétée par une autre anarchiste, Germaine Berton. Dans les années 1920, cette ouvrière dans la métallurgie, écrit dans un journal libertaire, «Le réveil», et s’oppose au militarisme. Elle veut venger la mort de Jaurès et toutes les autres personnes tuées et blessées par les coups des «Camelot du Roi», cette milice violente de l’Action Française. Le 22 janvier 1923 Germaine, à peine âgée de 20 ans, rentre dans les locaux du journal de l’Action Française et abat de quatre coups de pistolet Marius Plateau, le chef des Camelots du Roi. Quand la justice n’est que violence, la violence n’est que justice.
110 ans plus tard
110 ans ont passé depuis l’assassinat de Jaurès. Les nuages du militarisme et de la guerre planent de nouveau sur Europe et sur le monde. Les héritiers de Raoul Villain sont à l’Assemblée Nationale.
Quant aux forces politiques héritières de Jaurès, elles sont traitées de «séparatistes», d’ultra-gauche et «d’anti-républicaines» par le clan au pouvoir et, comme jadis, attaquées par les fascistes. Aujourd’hui, c’est une autre figure socialiste, Mélenchon qui subit des menaces de mort, des projets d’attentats et des opérations diffamatoires. Sinistre répétition.
Une réflexion au sujet de « Le 31 juillet 1914 : Jaurès assassiné par l’extrême droite »
Comme disait Manau, “l’avenir est un long passé”…