Toutes les deux semaines, Contre Attaque ouvre ses colonnes aux camarades internationalistes de Ronahî, Centre de Jeunesse pour les Relations Publiques, qui travaille à «promouvoir les échanges entre les mouvements de jeunesse au Kurdistan et les mouvements de jeunesse démocratiques, anticapitalistes, féministes et écologiques dans le monde entier», pour nous éclairer sur la situation au Kurdistan.
Depuis maintenant près d’un an, l’attention internationale est braquée sur le Proche-Orient : guerre génocidaire d’Israël contre le peuple Palestinien, début d’une guerre totale contre le Liban, hypocrisie des jeux diplomatiques, rôle des États-Unis et de l’OTAN… L’intérêt médiatique étant inégale on en vient souvent à oublier un autre conflit dans la région, à seulement quelques centaines de kilomètres au nord de Gaza et de Beyrouth: la guerre en cours au Kurdistan. La particularité de cette guerre est qu’elle est menée directement contre un projet révolutionnaire et dans l’objectif d’annihiler tout un mouvement de libération.
Kurdistan ?
Le Kurdistan est un territoire du Moyen-Orient découpé entre 4 états-nation : l’Iran, l’Irak, la Syrie et la Turquie, sur lequel vit historiquement le peuple Kurde aux côtés de nombreux autres peuples. Décidé par les puissances européennes coloniales en 1923, c’est le traité de Lausanne qui a défini ces nouvelles frontières artificielles pour tout le Moyen-Orient. Se retrouvant sous la domination de 4 États simultanément, avec chacun ses propres mécanismes d’assimilation nationaliste et d’extermination, le peuple Kurde a développé une longue résistance tout au long du 20ème siècle.
En 1978, dans le Kurdistan du Nord occupé par la Turquie, est fondé le PKK, le Parti des Travailleurs du Kurdistan, sous l’initiative d’Abdullah Öcalan. D’inspiration marxiste léniniste, le PKK débutera quelques années plus tard un mouvement de guérilla ayant pour but la défaite militaire de l’État Turc dans les territoires kurdes, puis la création d’un État kurde indépendant.
À partir des années 90, prenant conscience des contradictions et impasses idéologiques qui ont conduit à l’effondrement de l’URSS en 1991, de nombreuses discussions se développent au sein du mouvement de libération du Kurdistan. En 1999 un complot international impliquant des dizaines d’États différents aboutit à l’enlèvement d’Öcalan au Kenya par les services secrets Américains et Israéliens. Depuis l’île-prison d’Imrali en Turquie, où il est fait unique prisonnier, il rédige de nombreux livres qui viendront donner une forme concrète à ce renouveau idéologique débuté quelques années auparavant. En 2005, le mouvement Kurde adopte officiellement l’idée de “confédéralisme démocratique” comme nouveau paradigme.
Critiquant l’industrialisme, le patriarcat et l’État, Öcalan se base sur l’écologie sociale, la lutte de libération des femmes et la démocratie radicale comme piliers sur lesquels poursuivre le combat et bâtir un nouveau système de vie. Plutôt que le grand soir, la révolution est vue comme la construction progressive de l’autonomie et du pouvoir populaire en-dehors des structures étatiques.
Sans attendre, les peuples du Kurdistan commencent à bâtir cette autonomie à travers des centaines de contre-institutions, d’organisations de la société civile, de comités et d’assemblées communales. C’est au Bakur (Kurdistan du nord) que la dynamique est la plus forte : dans certaines villes, pourtant très similaires à nos métropoles européennes, l’emprise de l’État central Turc s’affaiblit jour après jour. Des écoles alternatives sont créées et avec le développement des comités de justice populaire les commissariats et les tribunaux sont désertés.
Pourtant c’est souvent du Rojava qu’on entend le plus parler. En juillet 2012, profitant de l’instabilité du régime de Bashar al-Assad suite à la révolution Syrienne débutée en 2011, le peuple Kurde déclare l’autonomie du Nord-Est de la Syrie, rendant officielles des structures d’auto-organisation jusqu’alors clandestines. Au même moment, supporté directement par la Turquie, l’État Islamique se développe et envahis de nombreuses villes et villages.
À partir de Kobané en 2014 une vaste campagne de libération débutera, impliquant tous les peuples de la région qui s’organisent alors en forces armée d’auto-défense, à l’image des YPG/YPJ kurdes, sous la structure parapluie des FDS (Forces Démocratiques Syriennes, force multi-ethnique et multi-confessionnelle). Une fois libérées, les villes et villages décident progressivement d’intégrer le nouveau système en construction, basé sur les principes du confédéralisme démocratique. Ce territoire autonome est souvent connus sous le nom de Rojava («ouest» en Kurde) mais il s’étend très largement au-delà des zones de populations kurdes, intégrant des communautés arabes, turkmènes, assyriennes, syriaques, chrétiennes, arméniennes, musulmanes et yézidis.
En parallèle, l’autonomie démocratique continue d’être développée au Kurdistan du Nord (Bakur), occupé par la Turquie. En 2013 un nouveau processus de paix débute entre le PKK et l’État Turc, pour deux ans la guerre s’arrête en partie. Depuis l’île-prison d’Imrali, Öcalan joue un rôle central dans le dialogue en cours. Dans cette parenthèse la société peut souffler et continue de renforcer son système d’auto-administration. Des combattant-es de la guérilla descendent des montagnes pour se rendre en ville et sont accueilli-es par des foules en liesse. L’espoir est immense que cette fois sera la bonne. Les développements au Rojava renforcent cette détermination.
Au printemps 2014 la victoire du mouvement kurde aux élections municipales est écrasante, puis en juin 2015 le parti légal kurde, le HDP, rentre pour la première fois au Parlement turc avec 80 sièges. L’État Turc comprend que le rapport de force n’est plus dans son camp, et que si le processus de paix continue la conclusion ne se fera pas en ses termes. Quelques jours après les élections, le 20 juin, un attentat fait 33 morts et une centaine de blessé-es dans la petite ville kurde de Suruç, à la frontière entre la Turquie et la Syrie.
La bombe a explosé au milieu d’un groupe de 300 jeunes socialistes, venus participer à la reconstruction de Kobanê nouvellement libérée. L’attaque est attribuée à l’État islamique, mais la collaboration active entre les services secrets turcs et les combattants de Daesh est bien connue de la population. Dans les semaines qui suivent, des vagues massives d’arrestations ont lieu, ciblant notamment des militant-es lié-es au PKK. Les bombardements contre les montagnes de la guérilla reprennent. L’État envoie un message clair : le processus de paix n’aboutira pas. À nouveau, la guerre redémarre.
La solution du dialogue n’ayant pas fonctionné, une vingtaine de villes du Kurdistan du Nord (Sud-est de la Turquie actuelle) proclament unilatéralement leur autonomie. Sur tout le territoire l’armée turque est déployée pour écraser cette prise d’indépendance. Des milliers de jeunes, aidés par des combattant-es de la guérilla venu-es des montagnes, s’organisent en unités d’auto-défense civiles, les YPS. Dans certaines villes la résistance tiendra plus de 3 mois, malgré la grande disproportion des forces en jeu.
La brutalité de l’État ultra-nationaliste Turc est absolue. À Cizre 178 civils ayant trouvé refuge dans les caves d’un immeuble seront incendiés vivants par l’armée. Des quartiers entiers sont rasés, des centaines de milliers de civils sont déplacés. Au total, parmi les 2000 personnes qui perdront leur vies pendant les 6 mois d’affrontements, 1200 sont civiles ou combattantes et 800 sont des soldats ou policiers.
Cette guerre continue jusqu’à aujourd’hui. En janvier 2018, après le feu vert des États-Unis, la Turquie attaque l’Administration autonome du nord-est de la Syrie (AANES) et envahit militairement Afrin, puis Serêkaniyê et Girê Spî. Faisant officiellement partie du territoire de l’État Syrien, mais ayant acquis leur autonomie au cours de la révolution du Rojava, ces villes sont aujourd’hui sous occupation turque. Ces offensives font partis d’un plan plus large : la reconstruction de l’Empire Ottoman.
Au cours des derniers mois les attaques de la Turquie ont continué contre le Rojava et ont redoublé contre les positions de la guérilla, au Kurdistan du Sud (nord de l’Irak). Il y a quelques jours, dans différentes parties du monde, était commémorés les 2 ans du soulèvement ‘Jin Jiyan Azadî’ (Femme Vie Liberté en kurde) débuté en septembre 2022 au Rojhilat, Kurdistan de l’est sous occupation Iranienne.
Dans cette rubrique d’articles nous voulons suivre en détail l’évolution de la situation et apporter des réponses : au-delà du Rojava, quelle est la situation actuelle dans les 4 parties du Kurdistan ? Quels sont les acteurs en jeu ? Faces aux attaques, comment les peuples de la région restent unis dans la défense et le développement de la révolution ? Quel rôle joue la jeunesse dans ce processus ? Comment les forces de guérilla du PKK ont su se réinventer afin de tenir tête à la 2ème plus grande armée de l’OTAN ? Quelles sont les idées défendues par ces peuples en résistance ? Que pouvons-nous apprendre de leur proposition pour la résolution des crises au Moyen-Orient et au-delà ?
Toutes les 2 semaines nous proposerons un nouvel article afin de suivre le développement du contexte au Kurdistan et d’approfondir certains sujets. Bonne lecture !
Ronahî – Centre de Jeunesse pour les Relations Publiques.
Nous sommes un collectif de jeunes du Kurdistan, du Moyen-Orient et d’Europe et nous souhaitons renforcer les liens entre les mouvements de jeunesses au Kurdistan et les mouvements anti-capitalistes, féministes, écologistes partout autour du monde. Pour cela nous nous concentrons sur 3 aires d’activités : travail d’information, formation politique, création de réseaux. Pour en savoir plus, n’hésitez pas à nous contacter !
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2 réflexions au sujet de « Des nouvelles du Kurdistan et de la révolution en cours – #01 »
Ces territoires ne sont en rien homogènes , le Mackrech a toujours été un confin déchiré entre Perses , Ottomans , Califes , colons et autres : pas facile de faire nation dans ces conditions. Demandez un peu aux Afghans…
Ils peuvent essayer de cumuler autonomie et fédéralisme : sur un malentendu ça passe.
Ça sera bien sûr l’objet d’un article ultérieur, mais la question de l’hétérogénéité du territoire est en effet épineuse… mais pas insoluble.