Soudan, Ukraine, Syrie, Palestine : le viol comme arme de guerre


“Il est probablement plus dangereux d’être une femme qu’un soldat dans un conflit armé”


SOUDAN, UKRAINE, SYRIE, PALESTINE : LE VIOL COMME ARME DE GUERRE

Un suicide collectif de femmes violées, ou craignant de l’être. C’est la nouvelle épouvantable venue du Soudan, où les femmes victimes d’agressions sexuelles commises par des paramilitaires – mais aussi certaines ayant peur d’être violées – se donnent la mort, selon des organisations de défense des droits humains. Cette tragédie, méconnue en occident, s’inscrit dans le cadre d’une guerre civile qui déchire le pays et a contraint plus de 5 millions de personnes à être déplacées depuis un an.

Le 29 octobre 2024, un rapport de l’ONU de 80 pages documentait les viols de guerre commis au Soudan. Le pays est frappé depuis avril 2023 par un conflit opposant le richissime chef de milice Mohamed Hamdan Dagalo, à la tête des FSR – Forces de soutien rapide, financées par les Émirats Arabes Unis et commettant des crimes de masse contre les civils – et Abdel Fattah al-Burhan dirigeant officiel du pays et à la tête de l’armée régulière. Dans cette guerre, les viols sont employés de manière systématique.

Selon le rapport, les victimes sont âgées de 8 à 75 ans. Certaines femmes sont également enlevées afin de les soumettre à l’esclavage sexuel. Mohamed Chande Othman, le président de la mission d’établissement des faits sur le Soudan déclare «l’ampleur des violences sexuelles que nous avons constatées au Soudan est stupéfiante».

Détruire et terroriser à travers le corps des femmes

«Il est probablement plus dangereux d’être une femme qu’un soldat dans un conflit armé». Cette citation de Patrick Cammaert, ancien commandant de la mission des nations unies en République Démocratique du Congo, illustre bien la double peine à laquelle sont soumises les femmes vivant sur un territoire en guerre.

Même si ce n’est qu’assez récemment que le viol a été reconnu comme arme de guerre, il est utilisé par les soldats depuis que les guerres existent. Les viols de guerre les plus connus du siècle dernier sont certainement ceux commis par les soldats de l’armée russe, mais aussi française et américaine même si ces derniers ont eu largement moins d’écho, lors de la guerre contre l’Allemagne nazie. On estime que près de 2 millions d’Allemandes ont été violées. Près de 90% des berlinoises l’ont été à de multiples reprises.

Il faut attendre la fin du 20e siècle, et notamment les guerres en ex-Yougoslavie et au Rwanda dans les années 90, pour que le caractère d’arme de guerre soit mis en lumière. En Bosnie, des camps de viol sont créés, comme l’explique Céline Bardet, juriste et fondatrice de l’ONG «We are not weapons of War», afin de «purifier» le sang des femmes bosniaques musulmanes avec du sang serbe. Au Rwanda, le caractère systématique du viol – entre 250 000 et 500 000 femmes ont été violées lors de ce massacre – a été reconnu comme constitutif de génocide, crime de guerre et crime contre l’humanité. Depuis 2002, la Cour Pénale Internationale peut ainsi statuer sur ces sujets.

Tout comme la culture du viol est un système dans les pays qui ne connaissent pas de conflit sur leur sol à l’heure actuelle, il est important de ne pas considérer les viols de guerre comme des épiphénomènes isolés ne concernant qu’une poignée d’individus. Les viols sont une politique délibérée orchestrée par les gouvernants ou le commandement des armées. Il s’agit bien d’une arme de guerre.

L’âge des victimes (parfois de très jeunes enfants, ou des femmes âgées), n’est pas pris en considération, et parfois même pas leur sexe (les viols et humiliations sexuelles de soldats sur des hommes et des jeunes garçons sont aujourd’hui largement documentés, même si moins fréquents). Le viol est souvent répété dès qu’une armée ou l’autre passe sur le territoire, certaines femmes sont violées des dizaines et des dizaines de fois, ou prises comme esclaves sexuelles sur plusieurs années.

Le viol de guerre poursuit différents objectifs, qui peuvent différer selon les guerres : instaurer la terreur au sein des populations visées, asseoir la mainmise sur les territoires contrôlés, «purifier» une race considérée comme inférieure, humilier les populations. En violant une femme, c’est toute sa nation qu’on veut soumettre et humilier, et enfin détruire la société.

Des preuves de ces viols de guerre dans la plupart des conflits actuels

En Ukraine, les enquêtes d’ONG sur place ont pu mettre en lumière le caractère systématique de ces viols commis par l’armée russe et certaines milices, comme la très connue milice Wagner. Ils ont démarré au Donbass dès 2014. Certains soldats russes ont déclaré qu’il s’agissait “d’empêcher les femmes d’avoir des enfants ukrainiens”. Le but poursuivi est donc politique et inscrit dans la logique d’un ethnocide.

En Palestine, les soldats de Tsahal se livrent à des actes de torture sexuelle sur les femmes, mais aussi sur les hommes. On pense notamment aux viols et humiliations sexuelles commis par les soldats israéliens dans leur geôle sur les prisonniers palestiniens. L’un d’eux a témoigné : «Un détenu est mort après qu’ils ont mis un bâton électrique dans son anus». Des femmes témoignent également de viols, que ce soit dans les territoires occupés ou dans les prisons israéliennes. On a également pu voir des soldats israéliens se baladant avec des sous-vêtements de femmes palestiniennes. À cause du massacre des journalistes sur place, ces crimes sont encore peu documentés.

En Syrie, dès 2011 et le début du printemps arabe, le régime de Bachar El Assad a utilisé le viol contre les opposantes au régime : les forces de répression ont violé des filles devant leur père, des femmes devant leur mari, des manifestantes dans les prisons… Une fois libérées, certaines se sont donné la mort, d’autres ont été répudiées ou menacées par leur famille, subissant la double peine d’avoir été détruites physiquement puis d’être considérées comme «impures» par leur entourage.

Des conséquences sur plusieurs générations

Les conséquences sur les femmes – lorsqu’elles survivent aux sévices – sont bien évidemment dévastatrices, d’autant plus que ces viols sont commis comme des actes de torture avec énormément de violence : blessures physiques pouvant entraîner la mort, grossesses non désirées, maladies sexuellement transmissibles, traumatismes psychologiques pouvant conduire à des dépressions et suicides.

On peut en effet observer des vagues de suicides de masse chez les femmes dans les pays en guerre. En Allemagne nazie par exemple, la peur des viols par l’armée rouge conduit à des suicides massifs de femmes – même si, selon les chercheurs Christian Ingrao, Johann Chapoutot et Nicolas Patin, certains de ces suicides seraient en fait des féminicides déguisés : les hommes auraient préféré tuer leur femme/fille plutôt que de les voir soumises aux soldats de l’armée rouge, ou bien les aurait assassiner ensuite pour laver l’injure. Aujourd’hui au Soudan, comme nous l’expliquions en introduction, de nombreux cas de suicide sont également rapportés dans le centre du pays, à Gezira, selon la BBC et SIHA – l’initiative stratégique pour les femmes dans la Corne de l’Afrique.

Le traitement de ces viols après le conflit constitue également une grande violence. En effet, dans nos sociétés patriarcales, on continue systématiquement de remettre la faute sur les femmes. Ainsi, elles sont très souvent mises au ban de leur famille et de la société, quand elles ne sont pas purement et simplement assassinées par leur père, frère ou mari. Lorsque les hommes retournent dans leur foyer après la guerre, ils gardent une fâcheuse tendance à se méfier de leurs femmes : «n’y as-tu pas pris du plaisir ?» les soupçonne-t-on.

Le docteur Philippe Kuwert a longuement étudié le traumatisme sur le temps long des victimes allemandes. Il pointe que «l’absence de reconnaissance par la société du dommage subi est l’une des composantes majeures du traumatisme». Un traumatisme qui frappe les victimes mais aussi leur famille, et ce parfois sur plusieurs générations.


Dans le chaos militariste et impérialiste, ce sont les femmes qui paient le plus lourd tribu. Il reste difficile d’estimer l’ampleur de ces crimes, notamment lorsque les conflits sont encore en cours, puisqu’il s’agit d’un sujet encore tabou. Sur ce sujet comme tant d’autres, la parole des femmes est loin de s’être libérée.


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2 réflexions au sujet de « Soudan, Ukraine, Syrie, Palestine : le viol comme arme de guerre »

  1. Et pendant ce temps, en France, on glorifie les violeurs (depardieu (le préféré de manu), polanski, darmanin, guerriau, ppda, hulot, woddy allen, besson, duhamel, lasalle, … liste non-exhaustive)

  2. Des lois sont établies contre les crimes de guerre..Il y a donc des lois internationales pour autoriser la boucherie des États bourgeois et d’autres pour interdire certaines forment de crimes perpétués par lles horreurs de la guerre. Mais où s’arrêtent réellement les limites de la connerie du pouvoir de la bourgeoisie ?…Le philosophe Cisteron declarait en son temps : »les lois se taisent dans le fracas des armes ». Un poème de Jacques Preverts portait le titre : « Oh Barbara quelle connerie la guerre » .

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