Décryptage du discours dominant : un grand pouvoir n’implique aucune responsabilité


Un fidèle lecteur, qui décrypte les mots du pouvoir et qui avait publié précédemment une analyse acérée de la langue de bois macroniste, nous envoie son point de vue sur le mot « responsabilité » : un terme en vogue dans la classe politique. Une formule vide qui permet aux décideurs de réaliser toutes les veuleries.


Les trois derniers présidents : Sarkozy, Hollande et Macron. Leur responsabilité dans le délitement de la démocratie n'est pas à démontrer.

Engager sa responsabilité

C’est officiel, le gouvernement Barnier est tombé – certes pas de très haut. La petite chanson que l’on entendait depuis des jours, celle de l’appel à la «responsabilité» des uns et des autres, va maintenant se muer en condamnations sur le même thème. Il y a quelques jours, un éditorial du Monde s’intitulait : «Le pari de Michel Barnier a été de miser sur la responsabilité des partis, […] l’échec est patent». Pourtant, la gauche a déposé sa motion avec «gravité et responsabilité», dans la continuité d’un péché originel (ce fameux 49.3) engageant explicitement la «responsabilité du gouvernement» – c’est la constitution qui le dit.

Macron lui-même, dans son allocution du 5 décembre, n’a tenu qu’une petite minute avant de lâcher le mot. «Cette décision [de dissoudre l’assemblée], beaucoup me l’ont reprochée et je sais, beaucoup continuent de me le reprocher. C’est un fait et c’est ma responsabilité» a-t-il d’abord dit. Puis : «Je n’assumerai jamais l’irresponsabilité des autres, et notamment des parlementaires qui ont choisi en conscience de faire tomber le budget et le gouvernement de la France à quelques jours des fêtes de Noël». Responsable des causes, oui, mais pas des conséquences. Limpide.

Le mot étant malmené à longueur de matinale et de part et d’autre de l’hémicycle, l’auditeur se retrouve plongé dans une soupe sémantique vide de sens et où chacun semble pouvoir tirer la couverture à soi sans guère de contradiction. On ne s’y retrouve plus. En désespoir de cause mais aussi dans un geste citoyen, il ne reste plus qu’à réhabiliter le terme en commençant par la seule autorité susceptible de mettre tout le monde d’accord : Robert, virgule, le Petit.

Responsables mais pas coupables

Le Petit Robert nous renseigne ainsi sur une des causes de la confusion (l’autre, principale, étant l’utilisation malveillante de la langue française par la classe politique) : l’ambigüité intrinsèque du terme. Voyez plutôt :

  • DROIT : Obligation, pour un gouvernement, de quitter le pouvoir lorsque le corps législatif lui retire sa confiance.
  • DROIT : Obligation de réparer le dommage que l’on a causé par sa faute, dans certains cas déterminés par la loi.
  • Fait d’être responsable. Nécessité morale de remplir un devoir, un engagement.

Trois définitions qui ne sont pas exactement interchangeables, et dont la proximité peut s’avérer trompeuse. La première – la moins intuitive – est celle évoquée dans la constitution : le gouvernement engage sa responsabilité mais se voit aussitôt censuré, il remet donc sa démission et repart la queue entre les jambes. Bravo Michel, tu as été très responsable (de la débâcle), on te félicite.

La seconde est plus intéressante, car c’est à son niveau qu’opère ce qui est peut-être la plus grande supercherie de la vie politique française. Est «responsable» celui qui, aux yeux de la loi, a commis un tort et se trouve ainsi sommé de le redresser. Sénateurs et députés adorent se déclarer responsables de tout et son contraire, alors qu’ils possèdent l’immunité parlementaire. Par définition, ils ne pourront jamais être reconnus coupables de quoi que ce soit le temps de leur mandat, et n’auront donc jamais rien à réparer.

Macron déclarant "Le responsable vous l'avez devant vous, qu'ils viennent le chercher". Les Gilets Jaunes ont essayé.

Clamer sa responsabilité, c’est mâtiner sa conviction d’une dose de virilité à peu de frais, voire faire montre de virilité faute de conviction tout court. «Qu’ils viennent [me] chercher» fanfaronnait Macron au sujet de l’affaire Benalla, sachant trop bien que statutairement, nul ne le pouvait, et que les Gilets Jaunes allaient devoir se confronter à une armée de flics pour mettre ses paroles à exécution.

Édouard Philippe avait la même manie «d’assumer» (implicitement : la responsabilité de ses décisions, voir le Robert encore) sans cesse. La limitation de vitesse à 80km/h, il assume. Un vol en A340 à 350.000€ pour aller à Tokyo, il assume. Pourquoi se priver ? La vérité est qu’Édouard Philippe, Macron et tous les autres n’assument que dalle. Ensemble pour la République pourrait voter demain l’interdiction des antibiotiques et des détecteurs de fumée… des dizaines milliers de morts plus tard, pas un seul d’entre eux ne verrait les colonnes d’un tribunal.

Un personnage politique qui «prend ses responsabilités» adresse le plus diplomatique des bras d’honneurs à ses administré-es. Oui, il vient de déclencher une levée de boucliers, mais s’en remet à la justice pour satisfaire les mécontent-es. Celle-ci se révèle incompétente. Échec et mat.

Panique morale

Reste la dernière définition, floue, morale. C’est celle par laquelle tout devient permis : dans le monde politique où tout est conflit de valeurs, se positionner d’un côté ou de l’autre passera toujours pour de l’engagement. Faire tomber le gouvernement, c’est être responsable du chaos, responsable d’avoir épargné les services publics d’une nouvelle saignée, responsable de ternir l’image du pays sur la scène internationale, responsable de représenter les électeurs majoritairement hostiles au président.

À l’exclusion d’éventuels cas pathologiques, les membres de la classe politique agissent toujours de manière motivée. Ils ont une raison, qu’on leur fera l’honneur de croire sincère. Si demain il fallait fermer tous les hôpitaux de France et de Navarre, ce serait pour dissuader Standard and Poor’s de dégrader la dette souveraine. La mort dans l’âme et la main sur le cœur, le choix serait d’autant plus responsable qu’il est douloureux (pour les autres).

Le problème lorsqu’on place le débat à ce niveau, c’est qu’on le rend de fait insoluble. Un conflit de valeurs ne se résout pas : il s’arbitre. Lorsqu’un camp appelle les autres à se montrer responsables, il les enjoint d’adopter sa position : ma valeur vaut plus que la tienne. En lieu et place d’argument, on entérine les clivages existants. Tout le monde patine.

C’est peut-être au regard de cette définition qu’il faut considérer la notion de responsabilité : l’augmentation brutale de sa prévalence dans la parole publique date la mort du débat comme le carbone 14 date le sénateur. Ornière, mur, impasse. Macron dans sa tour d’ivoire doit résoudre la quadrature du cercle et pas un chef de parti ne dispose d’un embryon de solution.


Pour continuer d’exister, ne reste plus qu’à agiter les bras.


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Une réflexion au sujet de « Décryptage du discours dominant : un grand pouvoir n’implique aucune responsabilité »

  1. Alleluia!! Sarkozy définitivement condanné ce jour….il a dit qu’il prendra ses responsabilités (si, si) et que c’était une injustice (parce que il n’ira pas en taule mais portera un bracelet.. sans une montre qui donne l’heure en plus, quelle indignité !!).
    Ca fait jamais que 12 ans que ça dure….étonnant non ?

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