Logique néocoloniale et incompétence crasse

Le cyclone qui vient de frapper Mayotte est le plus dévastateur depuis 90 ans. Il s’agit d’une catastrophe climatique, dopée par la hausse des températures de l’Océan Indien, qui ont atteint jusqu’à 30°C ces derniers jours. Lorsque la mer est en surchauffe, que l’atmosphère est instable et les vents homogènes, tous les ingrédients sont réunis pour créer un tourbillon de masses d’air qui balaie tout sur son passage. Il est établi que le dérèglement climatique rend d’ors et déjà les cyclones plus violents, et que le réchauffement de l’atmosphère augmente les précipitions et les phénomènes météorologiques violents.
À la catastrophe climatique s’ajoute le désastre politique et social. À Mayotte, cette île coincée entre Madagascar et les côtes d’Afrique de l’Est, colonisée dès 1843, comme sur l’ensemble des anciennes colonies françaises, la Constitution de la Cinquième République permet des dérogations qui instituent une différenciation entre les citoyen-nes mahorais-es et les métropolitain-es. Il n’y a ainsi ni salaire minimum, ni aide au logement, ni aide médicale d’urgence. Dans ce département le plus pauvre de France, 3 Mahorais.es sur 4 vivent sous le seuil de pauvreté, 40% des habitations sont faites de tôle.
On y trouve l’agglomération de Kawéni, qui était le plus grand bidonville de France. Il n’en reste qu’un immense amas de taule, elle a été balayée par l’ouragan, et on estime à l’heure actuelle que seul-es 5.000 de ses 20.000 habitant-es ont pu rejoindre les abris. Le bilan humain définitif n’a toujours pas été établi mais il s’annonce terrible. Les risques sanitaires sont énormes pour les survivant-es : manque d’eau potable, de nourriture, pas d’accès aux soins puisque le seul hôpital de l’île a été touché, risque d’épidémies… On serait donc en droit d’espérer un élan de solidarité d’ampleur, ainsi qu’une remise en question totale des défaillances de l’État qui ont conduit à cette catastrophe.
Mais c’était sans compter sur notre classe dirigeante politique et médiatique qui combine une logique néocoloniale rance, des propos racistes et une incompétence crasse. Rappelons que depuis des années déjà, les habitant-es de Mayotte subissent des coupures d’eau potable et d’électricité, alors que le territoire est administré par la France, l’un des pays les plus riches du monde. Pourtant, depuis deux ans, nos dirigeants ont préféré dépenser des dizaines de millions d’euros dans une opération «Wuambushu» – «reconquête» en français – qui consiste à envoyer à l’autre bout du monde des centaines de policiers et des militaires pour expulser et détruire des logements, plutôt que de répondre aux besoins vitaux des mahorais-es. Nous y reviendrons.
Le Premier Ministre préfère se rendre à Pau en jet privé plutôt qu’à Mayotte
On savait François Bayrou nul, dinosaure d’une politique qu’une majorité de français a appris à haïr. Mais il a quand même réussi à atteindre des niveaux de bêtise rarement égalés. Lundi 16 décembre, deux jours après le passage du cyclone, le nouveau Premier Ministre a en effet estimé qu’il était plus important de se rendre… au conseil municipal de Pau, dont il est toujours le maire, qu’à Mayotte.
“Qu’est-ce que vous faites là ?” lui a demandé Tuncay Cilgi, conseiller municipal de la petite ville du Béarn. On se posait la même question. Lors de ce conseil, Bayrou a en outre estimé que l’urgence à traiter en priorité était le cumul des mandats. En effet, ce dernier a décidé qui fallait l’autoriser à rester à la fois maire et chef du gouvernement. Une manœuvre politicienne afin d’assurer ses arrières, car il devra marcher sur des œufs pour éviter la censure.
Le vote du budget ? Superflu. La constitution d’un gouvernement ? Secondaire. Les potentiels milliers de morts à Mayotte ? Accessoire. La déconnexion, l’absence totale d’empathie, l’incompétence sont ahurissantes. Mais ce n’est pas tout. Pour justifier son absence à Mayotte, il a expliqué qu’il n’était “pas d’usage que le 1er ministre et le président de la République quittent en même temps le territoire national”. Sauf que, cela ne vous aura pas échappé, l’île est un département français.
Enfin, comme on pouvait s’en douter, le grand Homme qu’il croit être avait besoin d’un moyen de transport à sa mesure pour se rendre à ce conseil municipal si vital. Il s’y est donc rendu en utilisant l’un des 7 Falcon à disposition du président et du premier ministre. Mais il affirmait ensuite avec aplomb : “je n’abuse jamais des moyens de l’État”. C’est l’évidence même : montant de la facture : 18 000 euros. Durée du vol : 52mn. Quantité de CO2 émise : 1,5 tonne.
Bayrou a rêvé toute sa vie d’arriver au sommet de l’État, c’était son obsession. Il n’y est que depuis 5 jours, et il multiplie déjà les gaffes.
Racisme d’État
Dans la collection de réactions abjectes, il y a évidemment Bruno Retailleau, qui a réussi un tour de force inouï : faire peser la responsabilité de ces milliers de morts potentielles sur… l’immigration. “On ne pourra pas reconstruire Mayotte sans traiter, avec la plus grande détermination, la question migratoire” a-t-il tweeté de retour en métropole. Alors que le bilan humain définitif n’est pas encore connu, l’indécence du ministre de l’intérieur démissionnaire fait froid dans le dos. Instrumentaliser un tel événement afin de continuer ses appels du pied à l’extrême droite, il fallait oser. Il a également décidé l’instauration d’un couvre-feu de 22h à 4h du matin. Une idée géniale : obliger les survivant-es à rester «chez eux» en n’ayant plus de toit sur la tête. Encore une fois, le plus important n’est pas de sauver la vie de ces populations, mais de garantir l’ordre colonial à tout prix. Car la bourgeoisie sait ce dont est capable un peuple qui n’a plus rien à perdre et qui décide de se soulever.
La même rengaine nauséabonde est entendue sur les médias mainstream. Le décompte des morts serait rendu “difficile” du fait de la tradition musulmane d’enterrer les morts rapidement. Ainsi donc, ce n’est pas à cause des défaillances de l’État voyez vous. Encore une fois, les obsessions islamophobes rendent les musulmans coupables de tous les maux. On a également entendu la chroniqueuse d’extrême droite Barbara Lefevre sur RMC s’indigner avec sa voix stridente : « la moitié de la population de Mayotte c’est des clandestins et il faudrait qu’on fasse une minute de silence ? ». Et puis quoi encore ! Une hiérarchisation de la vie humaine sans aucun complexe, à l’antenne d’un grand média français. Le sous-titre est clair : le fait de ne pas avoir de papiers, pour cette dame, mérite la mort. Cette déclaration révèle une méconnaissance totale des réalités historiques.
Rappels historiques
L’archipel des Comores comprend quatre îles dont Mayotte. L’ONU a affirmé par une résolution de 1974 «le droit inaliénable du peuple de l’archipel des Comores à l’autodétermination et à l’indépendance (ainsi que) l’unité et l’intégrité territoriale de l’archipel des Comores». L’archipel proclame son indépendance le 6 juillet 1975… mais c’était sans compter l’obsession néocoloniale de la France qui, refusant de se voir perdre un territoire placé stratégiquement dans l’Océan Indien, a tout mis en œuvre pour un vote en faveur du maintien de Mayotte sous autorité française. Un référendum sera organisé sous Giscard en 1976, alors que 80% des Mahorais étaient analphabètes ou ne parlaient pas français. Sans surprise, la majorité des votes s’est exprimé en faveur du maintien de Mayotte en tant que collectivité française.
En parallèle, la France envoie un mercenaire de la Françarique, le célèbre criminel Bob Dénard, qui organise un coup d’État au Comores, où il renverse un régime marxiste et règne comme chef d’État sans la moindre légitimité. Pendant des années, ce français utilise l’archipel pour ses trafics d’armes, pour mener des opérations militaires pour le compte de la France mais aussi pour assurer un soutien logistique au régime raciste Sud-Africain. Le mercenaire y sera finalement arrêté en 1995, après deux décennies à y avoir vécu comme un seigneur de guerre.
Concernant Mayotte, c’est en 2009, sous Sarkozy, dans un relatif silence médiatique, que le statut de collectivité est modifié pour celui de département, rendu définitif en 2011. Et c’est pourquoi aujourd’hui les liens entre Mayotte et les autres îles des Comores restent si forts. Et que la misère et la longue histoire de déstabilisation de cette zone par la France est à l’origine de mouvements migratoires entre des îles qui appartenaient jadis au même ensemble, mais qui sont aujourd’hui réprimés.
Darmanin s’est quant à lui payé le luxe de demander à Bayrou de “répondre aux urgences”. “Mayotte pleure ses morts” a-t-il osé. Rappelons que c’est ce Monsieur Darmanin, alors ministre de l’intérieur, qui a lancé l’opération Wambushu en 2023. L’objectif de l’opération : mettre à la rue des milliers de personnes sans papiers en rasant au bulldozer des centaines de logements illégaux. Une opération menée avec une brutalité extrême : unité du RAID, gendarmes, drones, blindés et équipage de CRS 8 particulièrement violent. Des tirs à balles réelles avaient même été réalisés.
Mayotte, comme les autres territoires colonisés par la France, est un laboratoire. Là-bas, il n’y a presque aucun moyen de vérifier les blessures, l’usage des armes, les exactions de l’État. Rappelons aussi que plus de 2000 enfants ont déjà été enfermés au Centre de Rétention de Mayotte en 2020, et plus de 3000 en 2019. Pour mettre en place cette offensive coloniale militarisée, la France avait débloqué des millions d’euros. Des millions qui auraient pu être utilisés pour, au hasard, construire des habitations en dur plus résistantes aux cyclones, construire des infrastructures sanitaires.
Enfin, dans la même logique ignominieuse, alors que dans les 24 heures suivant l’incendie de Notre Dame de Paris 843 millions d’euros étaient récoltés, la campagne de dons lancée hier lors de la soirée “Unis pour Mayotte” en a récolté 5 millions. Où sont “nos” riches ? Où sont les Bernard Arnault, François Pinot, Patrick Pouyanné, qui levaient des centaines de millions pour accourir au secours d’une vieille église ? C’est simple : la vie de ces gens ne les intéresse pas.
L’ordre économique occidental a eu besoin de l’esclavage des personnes noires pour permettre l’accumulation des capitaux aux mains de quelques uns. Les logiques racistes toujours à l’œuvre aujourd’hui en sont le résultat. La petite île de Mayotte subit simultanément ce poids de l’histoire, la violence du changement climatique et la gestion néocoloniale.
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Une réflexion au sujet de « Mayotte : catastrophe climatique, désastre politique »
Les nazis employaient le même vocabulaire (« traiter ») concernant les Juifs…