CHU de Nantes : 92 heures d’attente pour des patient·es de plus de 80 ans


L’enfer des urgences dans l’un des pays les plus riches du monde.


Une poche de perfusion come on peut en trouver au CHU de Nantes.

Le système de santé français a longtemps été considéré comme l’un des meilleurs au monde. 20 années de néolibéralisme et deux mandats de Macron sont en train de l’achever.

Le plan blanc a été déclenché lundi 6 janvier au CHU de Nantes pour faire face à l’afflux massif de patients et patientes alors que l’épidémie de grippe, pourtant saisonnière donc prévisible à cette époque de l’année, frappe la Loire-Atlantique. Les syndicats hospitaliers ont déposé pour la troisième fois en un an un signal pour «danger grave et imminent.» Des alertes rouges, jamais écoutées.

Dans un hôpital déjà fragilisé par un manque de moyens criminel et contre lequel les soignant-es ne cessent de se mobiliser, le moindre choc peut vite le faire basculer dans la crise mortelle. Ainsi le délégué CGT CHU Olivier Terrien déclarait « On sait qu’il y a des personnes âgées de plus de 80 ans qui ont attendu plus de 92 heures avant de pouvoir rejoindre un service d’hospitalisation parce qu’il n’y avait pas de lit ». Ces fameux lits d’hôpitaux qu’on ne cesse de supprimer. Et deux patients seraient décédés en attendant d’être pris en charge, sans que cela fasse la «une» de l’actualité nationale.

Le plan blanc, ça veut également dire déprogrammer des opérations prévues, avec des risques de complications pour les patient-es non pris-es en charge. Ce sont des soignant-es à qui on demande de venir travailler pendant leurs jours de congés, ou leurs heures de repos. « On met la population en danger, notamment les plus précaires » continuait Olivier Terrien.

Même situation à Laval : « Les années se suivent et se ressemblent. Les Mayennais ne sont pas plus malades que les hivers précédents, ils ne viennent pas plus souvent à l’hôpital qu’avant, simplement, on manque toujours de médecins et de soignants pour pouvoir bien soigner tout le monde » déplorait le syndicat FO. Idem à Cholet, où l’hôpital n’était plus en mesure que « d’accueillir les urgences vitales ». On le sait, c’est l’ensemble de l’hôpital public qui est en état de mort cérébrale. On se souvient du « mur de la honte » aux urgences de Brest cet été, où était affiché l’âge et la durée d’attente de patient-es aux urgences, jusqu’à 31h pour une femme de 91 ans.

Pourtant, il y a des moyens pour la communication. En janvier 2024, on apprenait que le nouveau logo du CHU de Nantes, par ailleurs laid et banal, avait coûté 185.000€. Une dépense qui laisse un goût amer : « avec cette somme, on aurait pu financer une quarantaine de mensualités d’aides-soignants ou 34 d’infirmières. On aurait pu aussi acheter du matériel informatique » expliquait Dominique Delahaye, de la CFDT-CHU. Rappelons que 100 lits avaient été fermés au CHU en 2022, et que le futur CHU, largement rejeté par les soignant-es, aura une capacité d’accueil encore moindre.

Il est aujourd’hui communément admis que le manque de moyens de l’hôpital public a conduit à la mort de personnes qui auraient pu et dû être prises en charge et sauvées. À force de convoiter le système médical américain pourtant catastrophique et de gérer les malades comme des flux tendus, à la manière des marchandises, nous y voilà. Il y a encore quelques années, absolument personne n’aurait envisagé qu’en France on puisse attendre 92 heures – presque quatre jours – dans un couloir avant d’être soigné. C’est aujourd’hui en passe de se normaliser.

Une étude de l’évolution du taux de décès hospitalier en France des personnes âgées réalisée par Sorbonne Universités et l’institut du Cerveaux et publiée dans le Journal of epidemiology and public health en 2024 montre que ce taux a augmenté de manière significative depuis 2018. La conclusion laisse peu de place au doute : « On peut craindre que l’augmentation de la mortalité hospitalière des patients âgés soit le reflet de la désorganisation profonde de notre système de santé et des carences multiples de prise en charge avec notamment difficultés d’accès aux soins ».

La sacro-sainte logique néolibérale appliquée à l’hôpital est dangereuse pour notre santé à toutes et tous. L’hôpital est devenu une entreprise comme les autres, avec des logiques de rentabilité. Les soignant-es ne sont plus des soignantes mais des « managers ». On ne leur demande plus de guérir des patient-es mais de traiter des client-es rapidement, créant un mal-être immense dans la profession. Favoriser l’ambulatoire : tu rentres le matin, tu sors le soir, merci au revoir. La start-up nation grande fossoyeuse.

Macron n’est pas le seul responsable, il n’a enfoncé que les derniers clous du cercueil. Les réformes ultra libérales successives de ces 40 dernières années ont donné le La. Par exemple : en 1996 la création des ARS (agences régionales de santé) privait peu à peu les hôpitaux de leurs marges de manœuvres et espaces de dialogue démocratiques en favorisant la mainmise de l’État – dont l’objectif était, déjà, de diminuer le budget de la sécurité sociale.

En 2009, la loi Bachelot faisait du directeur d’établissement un chef d’entreprise avec un salaire variable selon les résultats de gestion et supprimaient les conseils d’administration. En 2016 la réforme Touraine incitait à la mutualisation des équipes médicales, et amenait à la fusion de plusieurs hôpitaux. Enfin la mise en place de la tarification à l’activité qui instaurait un prix au séjour en 2004 signifiait la loi du profit appliquée à l’hôpital public. Résultat, il devenait plus « rentable » pour un hôpital de privilégier certaines spécialités ne nécessitant pas d’hospitalisation, afin de réaliser des marges et de pouvoir investir.

Ainsi, le libéralisme nous conduit droit dans le mur aussi et surtout dans le domaine de la santé. Il est bon de rappeler que la soi-disant pénurie de médecins est également liée à ce système.
À travers le numerus clausus, c’est-à-dire la limitation du nombre de diplômes de médecine attribués chaque année, l’Ordre des médecins et le gouvernement ont délibérément organisé la pénurie. L’objectif ? Se préserver de la concurrence afin de bénéficier de tarifs élevés et d’un «prestige de la rareté». Autrement dit la bourgeoisie libérale sensée nous soigner est prête à sacrifier notre santé pour conserver ses privilèges. L’Ordre des médecins, dont l’adhésion est obligatoire, est une instance réactionnaire, fondée sous Vichy, que l’on pourrait facilement qualifier de criminelle.

Résultat aujourd’hui, 92h d’attente aux urgences. Et des vies volées, comme cette jeune fille de 20 ans morte aux urgences de Longjumeau dans l’Essonne, faute de prise en charge.

Jeudi 16 janvier, le personnel du CHU de Nantes sera mobilisé pour réclamer de véritables moyens. Un rassemblement est prévu à 18H devant l’établissement, à Hôtel Dieu.


En ce jour pluvieux, nous vous proposons de voir (ou revoir) ce petit documentaire pour comprendre la crise prévisible actuelle :


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