17 Janvier 1961 : l’assassinat de Patrice Lumumba au Congo


Histoire anticolonialiste


Portrait de Patrice Lumumba, leader de l'indépendance du Congo assassiné le 17 janvier 1961.

Le Congo est un immense pays d’Afrique centrale aux ressources gigantesques. Il s’étend aujourd’hui sur un territoire qui fait 80 fois la Belgique et 4 fois la France, et il est peuplé de 100 millions d’habitant-es.

Il est considéré comme l’un des pays les plus riches du monde, puisque son sol regorge de minerais tels que le cobalt, le coltan, l’étain, le cuivre ou encore l’uranium. Ses gisements bruts inexploités sont estimés à 24.000 milliards de dollars. Le Congo possède aussi l’une des plus grandes forêts tropicales du monde. Cette richesse est également une malédiction, puisque le pays reste aujourd’hui l’objet de guerres, de pillage et d’esclavage. Dans son histoire, certains Hommes ont tenté de s’y opposer.

Le 17 janvier est un jour de deuil pour le Congo : c’est la date de l’assassinat, en 1961, de Patrice Lumumba, indépendantiste et premier dirigeant du Congo libre. Un crime dont les conséquences influencent toujours l’Afrique centrale et l’équilibre mondial.

À la fin du 19ème siècle, les puissances européennes se partagent le monde, et s’accaparent des empires coloniaux. En 1885, le Roi des Belges, Léopold II, parvient à annexer le Congo comme étant sa propriété personnelle. Il transforme le pays en vaste camp de torture, de famine et d’esclavage. Les populations sont mises au travail forcé pour récolter le caoutchouc, dont la demande explose.

Parmi les sévices du colonisateur : lorsque les villages ne donnaient pas suffisamment de caoutchouc, tous les hommes avaient la main coupée. Des dizaines de villages sont rasés. Entre 1885 et 1908, le Congo perd entre 1,5 et 13 millions d’habitant-es. Par la suite, le Congo est administré par l’État belge, et non plus par son seul roi.

En 1925 nait Patrice Lumumba, dans le centre du Congo. Élève brillant, il est employé de bureau dans une société minière jusqu’en 1945, où il se rend compte que les matières premières prélevées dans son pays sont essentielles à l’économie mondiale et ne bénéficient pas aux indigènes. Il est ensuite journaliste dans la capitale et forme la toute petite élite intellectuelle locale que le colonisateur a laissé exister.

Lumumba commence par militer pour un Congo uni, qui ne serait pas divisé en fonction d’ethnies. En 1955, il crée l’association «APIC» – Association du personnel indigène de la colonie – qui vise une évolution modérée du système colonial, mais pas encore l’indépendance.

À cette époque, le vent des décolonisations souffle sur le monde , et le gouvernement belge lâche du lest, en autorisant des syndicats et partis politiques.

En 1958, Lumumba se rapproche de cercles anticolonialistes. Il s’engage dans le Mouvement national congolais – MNC – et fait la rencontre du penseur anticolonialiste antillais Frantz Fanon. Son objectif est désormais «la liquidation du régime colonialiste et de l’exploitation de l’homme par l’homme».

L’année suivante, la gendarmerie coloniale tire sur un congrès indépendantiste à Kisangani, tuant 30 personnes, blessant des centaines d’autres. Lumumba est emprisonné. Cette répression provoque des émeutes.

Lors d’une conférence à Bruxelles, le roi des belges, Baudouin, prend les devants, et accorde précipitamment l’indépendance au Congo, qui est fixée au 30 juin 1960. Il faut dire qu’au même moment, la guerre d’Algérie montre l’enlisement du colonialisme français dans un conflit atroce et sans issue. La Belgique préfère accorder l’indépendance pour éviter une rupture franche avec son ancienne colonie, tout en continuant à maintenir son emprise sur le pays.

Les premières élections du Congo ont lieu en mai 1960, et sont remportées par le parti de Lumumba qui devient Premier Ministre. Le 30 juin, une cérémonie d’indépendance a lieu en présence du roi des Belges et de représentants de l’ancienne métropole. Ils prononcent des discours paternalistes sur la grandeur de l’œuvre civilisatrice des Belges au Congo. La plupart des représentants congolais jouent le jeu, tout est sensé se dérouler en douceur, comme s’il n’y avait jamais eu d’oppression ni de crimes pendant l’occupation belge et qu’il s’agissait d’un partenariat.

Lumumba brise ce consensus et prononce un discours offensif, contre la politique coloniale belge. Il rappelle que l’indépendance n’est pas un cadeau du colonisateur, mais le fruit de la lutte du peuple congolais. Il ignore la présence du Roi des Belges et adresse ses salutation «aux combattants de l’indépendance.» Sans le savoir, il signe alors probablement son arrêt de mort.

Car les belges n’ont aucune intention d’abandonner leurs intérêts au Congo. Ils favorisent une guerre de sécession dans le Katanga, une grande province, très riche, située au sud du pays. La manœuvre est simple : les Belges veulent créer un micro-État fantoche à leur service dans la zone la plus riche du Congo. Lumumba voit clair, il ne s’agit pas de fédéralisme mais d’une manœuvre néocolonialiste.

En parallèle, puisque l’indépendance s’est faite dans la précipitation, et après des décennies de privation de droit et d’éducation pour les locaux, il y a peu de fonctionnaires congolais en capacité d’administrer le nouvel État. Ce sont donc des fonctionnaires et des officiers belges qui vont continuer de gérer l’administration et l’armée. La tension monte, des émeutes visent les entreprises tenues par des européens, des familles belges s’enfuient.

La Belgique instrumentalise ces violences pour envoyer immédiatement des milliers de soldats au Congo, notamment des para-commandos. La Belgique est un petit pays mais bénéficie du soutien de l’OTAN et d’un armement de pointe, qui lui permettent de réagir fortement et rapidement. C’est le début d’une guerre coloniale.

Lumumba se tourne vers l’ONU pour que la communauté internationale réaffirme la souveraineté du Congo indépendant et demande le retrait des troupes belges. Sans succès. En parallèle, il commence à recevoir du soutien de la part du bloc de l’Est. Nous sommes en pleine guerre froide et, pour l’Occident, il n’est pas question d’abandonner le Congo et ses ressources stratégiques aux communistes. Pour l’anecdote : les deux bombes nucléaires larguées sur le Japon en 1945 contenaient de l’uranium extrait au Congo. Tout un symbole. Les USA ne comptent pas laisser de tels gisements leur échapper.

Tout s’accélère : le 12 août, la Belgique signe un accord reconnaissant l’indépendance du Katanga, morcelant de facto le Congo. Le directeur de la CIA demande à ses agents en Afrique centrale de liquider Lumumba comme objectif prioritaire.

En septembre, un coup d’État militaire soutenu par les USA et la Belgique a lieu à Léopoldville, la capitale, aujourd’hui Kinshasa. À sa tête, un colonel congolais nommé Mobutu, ancien proche de Lumumba, désormais téléguidé par l’Occident. Avant l’indépendance, Mobutu avait été journaliste dans la presse congolaise pro-coloniale. Celui-ci fait arrêter Lumumba et l’assigne à résidence.

Ce dernier s’échappe en novembre, avant d’être rattrapé. Emprisonné avec deux de ses compagnons, torturé, humilié, il est emmené dans un avion américain vers le Katanga, pour être livré aux autorités sécessionnistes qui voulaient sa tête et sont chargées de faire le sale boulot : éliminer ce leader gênant et trop indépendant.

Le 17 janvier, Patrice Lumumba est exécuté dans un lieu isolé avec deux camarades, après avoir subit d’horribles tortures. Il avait 35 ans, cinq enfants, et aurait pu changer l’histoire du pays.

Mais l’horreur ne s’arrête pas là : le lendemain, son corps est déterré, démembré et dissout dans de l’acide, sur ordre de Mobutu et avec l’aide d’agents belges, pour qu’il ne reste aucune trace du leader indépendantiste et que personne ne puisse se recueillir sur sa sépulture. Plusieurs partisans de Lumumba sont exécutés dans les jours qui suivent, avec la participation de militaires ou mercenaires belge. L’ordre néocolonial règne.

Comble du cynisme, des années plus tard, Lumumba sera honoré comme une personnalité nationale par ceux qui l’ont assassiné, et un représentant des USA ira même rendre hommage devant sa statue. 60 ans plus tard, il existe au Congo un culte pour ce dirigeant assassiné.

En 2016, une enquête est ouverte après qu’un policier belge, présent lors de l’assassinat de Lumumba, se soit vanté dans un documentaire d’avoir arraché une dent sur le cadavre du défunt. La dent en or sera restituée officiellement par la Belgique au Congo en 2022, ce qui fera l’objet de cérémonies nationales.

Dans une dernière lettre de Patrice Lumumba à sa femme avant de mourir, il écrivait : «Ce que nous voulions pour notre pays, son droit à une vie honorable, à une dignité sans tache, à une indépendance sans restrictions […] mort, vivant, libre ou en prison sur ordre des colonialistes, ce n’est pas ma personne qui compte. C’est le Congo, c’est notre pauvre peuple dont on a transformé l’indépendance en une cage […] À mes enfants que je laisse, et que peut-être je ne reverrai plus, je veux qu’on dise que l’avenir du Congo est beau. […] L’Afrique écrira sa propre histoire et elle sera au nord et au sud du Sahara une histoire de gloire et de dignité».

En 1965, le Che Guevara se déplacera à Kinshasa avec des soldats cubains pour tenter de soutenir la rébellion pro-Lumumba et lutter contre l’impérialisme en apportant les méthodes de la guerre révolutionnaire au Congo. Sans succès.

Aujourd’hui, la République Démocratique du Congo continue de souffrir. Après avoir subi la dictature de Mobutu jusqu’en 1997, le pays est le théâtre depuis 30 ans de guerres atroces, ayant toujours pour enjeu le contrôle de territoires riches en minerais. Les entreprises néocoloniales et les seigneurs de guerre continuent de piller le pays, au prix de centaines de milliers de morts et de millions de déplacés.

En 1987, à quelques milliers de kilomètres au Nord-Ouest, un autre leader indépendantiste intègre sera assassiné. Avec la complicité de la France cette fois : Thomas Sankara, président panafricain et révolutionnaire du Burkina Faso, ancienne colonie française.

Depuis la fin des colonies, les anciens empires ont éliminé les grandes figures indépendantistes capables de tracer une voix digne et juste, et ont encouragé les dictateurs mafieux et les criminels à leur solde. Que serait le Congo si Lumumba avait vécu ?

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