Le taux d’enfermement au plus haut et des peines de plus en plus lourdes alors que le nombre d’homicides baisse : le mensonge de la “justice laxiste”

La France sur le podium de la surpopulation carcérale aux côtés de Chypre et de la Roumanie
C’est un triste record qui a été battu : celui du nombre de personnes détenues en France. Au 1er février 2025, il était de 81.599. Le seuil des 80.000 a été franchi pour la première fois en novembre 2024, et ce nombre ne fait que grossir : dans un communiqué du 4 avril 2024, on apprend que ces derniers mois le nombre d’incarcérations avait fortement augmenté avec 4.000 personnes sur un an. 21.631personnes enfermées ne sont que des prévenu·es, c’est-à-dire des personnes en attente de leur jugement. À cela s’ajoutent 17.181 personnes qui sont sous bracelet électronique ou placement à l’extérieur.
Des conditions de détention inhumaines
Le chiffre des 81.599 détenu·es doit être mis en parallèle avec la capacité d’accueil des établissements pénitentiaires : il y a à l’heure actuelle 62.363 «places opérationnelles». Le calcul est vite fait : on est à 130,8% de taux d’occupation. Ce taux grimpe même à 200% dans certains établissements, où près de 4.500 personnes se retrouvent à dormir sur le sol. Un scandale.
Cette surpopulation carcérale place la France au troisième rang des plus mauvais élèves d’Europe, juste après Chypre et la Roumanie selon une étude du conseil de l’Europe. Ajoutées à la violence quotidienne, à l’arbitraire et à l’insalubrité, ces conditions d’incarcération inhumaines ont des conséquences dramatiques sur la santé physique et mentale des personnes incarcérées, qui ont peu de moyens pour faire entendre leur voix.
Le 28 septembre 2024, à la maison d’arrêt de Nîmes, les détenus avaient refusé de retourner dans leur cellule pendant plusieurs heures pour protester contre le taux d’occupation à 267%, dans cette prison infestée de rongeurs et de punaises de lit. Au même moment à Mayotte, à la prison de Majicavo, une mutinerie éclate dans ce centre au taux d’occupation équivalent.
Chaque année, plusieurs dizaines de personnes détenues se suicident derrière les barreaux – 149 en 2023. Le taux de suicide est 6 fois plus élevé chez les personnes enfermées qu’à l’extérieur, et la France compte l’un des taux les plus élevés d’Europe. Mais au lieu de parler du scandale de ces chiffres, les gouvernements successifs préfèrent se lancer dans une surenchère sécuritaire, et les médias relaient un double mensonge : les séjours en prison seraient des «Club Med’» et la justice serait «laxiste».
Fin janvier 2025, le garde des sceaux et délinquant sexuel Gérald Darmanin annonçait par exemple la création d’une «super prison» pour «super délinquants», où seraient parqués les «100 plus gros narcotrafiquants». Riche idée à 4 millions d’euros, à rebours total de toutes les études qui ont démontré l’inefficacité de ces enfermements.
Darmanin a également annoncé la création d’une police pénitentiaire. Justin Maridonneau, avocat du barreau de Paris, résume ainsi la prison française : «archaïsme d’un autre temps, coûteuse pour le contribuable, bafouant nos valeurs humanistes, inefficace dans ses fonctions essentielles, la prison française n’a de républicaine que le nom. À la privation de liberté des détenus, s’ajoute de facto la déchéance de leur dignité».
Enfermer les indésirables
La France s’aligne tranquillement sur les USA, pays qui compte le plus de détenus au monde – 25% de toutes les personnes enfermées dans le monde le sont dans la « première puissance mondiale » – et où un·e prisonnier·e sur trois est noir·e. À ceux qui répondront par le prétexte de «l’insécurité» : la prison ne règle rien. Les USA sont à la fois le pays champion de l’incarcération et celui des fusillades de masse, des taux d’homicides et de violence parmi les plus élevés au monde.
Une société ultra-libérale ne peut pas garantir la «sécurité» de ses habitants et habitantes, même en enfermant à tour de bras. Construire de nouvelles prisons n’a aucun impact, comme le montre l’observatoire des prisons : «Plus on construit plus on enferme, sans aucun rapport avec les courbes de la criminalité et de la démographie». Entre 1990 et 2024, 25.152 nouvelles places ont vu le jour, et le nombre de personnes enfermées a augmenté de 30.477.
La prison n’est qu’un outil d’enfermement des pauvres, des étranger·es, des toxicomanes et indésirables. La réalité c’est que seules 1,5% des personnes incarcérées sont des tueurs ou des violeurs. Voilà un chiffre qui démonte tous les discours mensongers sur le fait que la prison permet d’écarter les personnes réellement dangereuses de la société. En France, le nombre d’homicide a presque été divisé par 3 depuis les années 1980.
Oui, vous avez bien lu. Contrairement à ce que répètent les médias, le pays est beaucoup plus sûr qu’il y a 40 ans, la fameuse époque dont on nous dit constamment que «c’était mieux avant». Parler de «Mexicanisation» de la France comme le fait le Ministre de l’Intérieur, comparant notre pays à un narco-État dont la «guerre contre la drogue» entraîne la mort de dizaines de milliers de personnes chaque année n’est donc pas seulement grotesque, c’est indécent. Alors qu’on nous répète en permanence que la France serait devenue un coup gorge, il y a beaucoup moins de crimes mortels qu’il y a 30 ans, époque prétendument dorée selon Pascal Praud et ses confrères.
La réalité c’est que 26% des personnes enfermées le sont pour des faits de vol et de recel. Un cas sur 7 est lié à l’usage ou la vente de stupéfiants, et parmi ces derniers il s’agit de cannabis dans neuf cas sur dix. Ce dernier est bien plus réprimé que la cocaïne, la drogue des riches.
Le sociologue Didier Fassin a réalisé une étude révélatrice sur la prison. Il a notamment enquêté entre 2009 et 2013 dans une maison d’arrêt de banlieue parisienne dont il tait le nom. Résultat : plus de la moitié des détenus sont sans emploi, un quart sont des ouvriers, et les cadres ne représentent que 1% des enfermés. Un directeur de prison raconte au sociologue : «L’autre jour, j’ai vu un homme qui s’était fait prendre pour une conduite sans permis. Il était noir. Je lui ai demandé dans quelles circonstances il s’était fait prendre. Il m’a dit que c’était un contrôle routier de routine, qu’il avait dû se faire contrôler quinze fois depuis le début de l’année. Moi je ne l’ai été qu’une seule fois de toute ma vie». Ainsi, la surreprésentation des personnes non blanches dans les prisons est le résultat du racisme systémique des institutions policières et judiciaires.
Une justice «laxiste» ?
Si l’on s’en tient aux chiffres, la justice est de plus en plus sévère. Entre 2004 et 2016, le nombre de condamnations prononcées à l’encontre de personnes majeures pour délit a augmenté de 17%. Le volume d’emprisonnement ferme a augmenté de 32%. Avec une augmentation de 10% du quantum ferme moyen prononcé. En 2017, la durée moyenne de peines de prison ferme était de 8,5 mois, elle était en 2022 de 10 mois. Aucun autre pays européen n’a connu une telle progression, et ce sans corrélation avec une éventuelle hausse des infractions…
Contrairement aux affaires de violence policière qui mettent des années à être jugée – parmi l’infime minorité d’affaires passant en justice bien entendu – les délits comme la revente de stupéfiants sont jugés en accéléré. Le nombre de comparutions immédiates – jugement suivant immédiatement la garde à vue – a explosé ces dernières années. Or on sait que la comparution immédiate multiplie par 8 le risque de peine de prison ferme.
Et comme les personnes étrangères ont des difficultés à présenter des garanties de représentation qui permettraient un jugement différé plus clément, elles en sont les premières victimes. Les juges évitent aussi plus facilement la prison à celles et ceux qui ont un emploi, et privilégient les sanctions financières pour les plus aisés. La prison, ce n’est donc bon que pour les pauvres.
Des solutions existent pourtant. Mais elles nécessitent une remise en question totale du système de l’enfermement. «Ouvrez une école, fermez une prison» disait Victor Hugo il y a quasiment 200 ans.
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Une réflexion au sujet de « Prison : la France est une société carcérale »
La justice est effectivement laxiste: malgré la corruption et la criminalité de nos politiques, présentateurs télé, acteurs, réalisateurs, aucun n’est en taule…
Mieux: s’ils sont violeurs, on leur donne des récompenses et on les adulent.