
«Mettre une cible dans le dos». Nous avons énormément entendu cette expression ces derniers mois dans les médias. Elle a été utilisée pour diffamer la France Insoumise, accusée de «mettre une cible dans le dos des juifs» pour son soutien à la Palestine. Une instrumentalisation scandaleuse de l’antisémitisme pour faire taire la cause anticolonialiste. C’est d’ailleurs cette instrumentalisation, en amalgamant systématiquement les crimes israéliens et les juifs et juives de France qui n’ont rien demandé, qui est réellement antisémite.
À l’inverse, on n’a jamais entendu cette expression à l’égard du gouvernement. Pourtant, celui-ci déchaîne le racisme, et en particulier l’islamophobie, ce qui met en danger des millions de personnes et conduit à des actes violents voire des meurtres. Les paroles et les mesures prises par nos dirigeants ont des conséquences concrètes et directes sur des vies. La mécanique du racisme d’État produit de la violence. De Retailleau qui hurle contre le voile à l’assassinat d’un fidèle jusqu’à la négation du crime : chronologie.
26 mars
Bruno Retailleau hurle : «Vive le sport et à bas le voile bien sûr». Celui qui lance sa vindicte contre les femmes musulmanes est Ministre de l’Intérieur, mais aussi Ministre des cultes : sa fonction est, en principe, de permettre à toute personne d’exercer sa foi en toute liberté sans être inquiétée.
Face à lui, le public scande «Retailleau, président !» La salle est chauffée à blanc. Le discours est prononcé lors d’un meeting présenté comme étant «contre l’islamisme» à Paris, mais en fait organisé par le groupe Elnet, un lobby pro-israélien dont le travail est d’influencer les cercles de pouvoir français. Cette soirée est aussi financée par Pierre-Édouard Stérin, milliardaire d’extrême droite.
Ces propos tenus en plein Ramadan constituent un palier supplémentaire dans la surenchère islamophobe que connaît le pays. Imaginez qu’un Ministre s’exclame «À bas la kippa» ou «À bas le crucifix» et que, quelques jours plus tard, une personne juive ou chrétienne soit assassinée sur son lieu de culte ? C’est un équivalent qui s’est produit.
25 avril
À La Grand-Combe, petite ville de 5.000 habitants dans le Gard, il n’est pas encore 8h du matin. Aboubakar Cissé se trouve seul dans la mosquée de la commune où il fait le ménage. Le jeune homme est abordé par un inconnu prénommé David, qui demande à ce qu’Aboubakar lui explique comment prier.
Au moment de s’agenouiller, l’agresseur sort un grand couteau de cuisine et poignarde violemment Aboubakar : ventre, bras, visage, jambes, dos. 50 coups de couteau sont donnés, Aboubakar s’effondre sur le tapis. L’assassin prend des photos de la victime avec son téléphone, puis quitte les lieux.
50 coups de couteau, c’est un massacre, un déferlement de haine. C’est ce qu’on nomme un «surmeurtre» en criminologie : il ne s’agit pas seulement de tuer, mais de s’acharner sur un corps pour anéantir ce qu’il représente symboliquement. Ici, un musulman.
David a donc fait semblant de vouloir se convertir à l’Islam pour frapper la victime par surprise. Dans plusieurs vidéos enregistrées après l’agression, l’assassin exhibe l’arme du crime et déclare : «Je l’ai fait, ton Allah de m**… Je vais me faire arrêter, c’est sûr, il y a une caméra.»
Le procureur soulignera «la très grande froideur» et «la grande maîtrise de lui» du tueur. À l’annonce de cette attaque, Bruno Retailleau n’a pas changé son agenda. Il est resté dans l’Ain, où il tenait un meeting de campagne pour la présidence des Républicains. Lui qui aime tant parler d’insécurité et d’ensauvagement n’a pas eu un mot pour la victime.
27 avril
Des milliers de personnes participent à la marche blanche en hommage à Aboubakar à La Grand-Combe. En-dehors de quelques élus Insoumis, pas un député, pas un préfet, pas un grand média ou ministre n’était présent. La vie d’un musulman ne vaut rien pour les autorités françaises.
Le même jour, une marche contre l’islamophobie est organisée à Paris. Bruno Retailleau, qui n’a toujours pas eu un mot pour la victime, dénonce dans les médias «l’indignité» de La France Insoumise, qui participe au rassemblement. Il refuse également de parler d’un acte islamophobe, en dépit de l’évidence. Imaginez un Ministre de l’Intérieur qui qualifierait une marche contre l’antisémitisme «d’indigne».
Ce même jour, un assistant parlementaire Insoumis, Ritchy Thibault, appelle à «constituer des brigades d’autodéfense populaire» pour se défendre contre «l’islamophobie», puisque les autorités ne protègent pas les minorités. Suite à ces déclarations, Bruno Retailleau saisit le soir même la justice pour des appels «à l’insurrection». Il a donc réagi en quelques heures contre des propos, mais a mis plusieurs jours à sortir du silence suite à un crime raciste atroce.
Mardi 29 avril
À l’Assemblée Nationale, des députés demandent une minute de silence pour Aboubakar Cissé. Yaël Braun-Pivet, présidente macroniste de l’Assemblée, refuse d’abord, en prétendant que le règlement l’empêche pour un cas individuel. Sauf qu’elle l’a fait en février pour Ohad Yahalomi, un franco-israélien tué à Gaza. Et que l’Assemblée a même été illuminée en orange pour honorer la mémoire de deux petits garçons israéliens.
Finalement, une polémique éclate, et la minute de silence est observée, mais de haute lutte, comme si c’était un privilège exceptionnel. Pendant ce temps, des députés de droite et l’extrême droite restent hors de l’hémicycle et attendent que cette minute de silence se termine pour entrer.
Ce même jour, la famille d’Aboubakar Cissé déclare lors d’une conférence de presse que Bruno Retailleau aurait refusé de les rencontrer. L’indignité et la déshumanisation, jusqu’au bout.
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