Synagogue visée par un incendie : l’antisémitisme est l’ennemi de l’anti-colonialisme


Samedi 24 août, la synagogue Beth-Yacoov à la Grande Motte dans l’Hérault a été visée par une attaque antisémite. Un individu drapé dans un drapeau palestinien, un keffieh sur le visage, a allumé un incendie sur les portes de l’édifice et brûlé des voitures dans l’enceinte du bâtiment.


SYNAGOGUE VISÉE PAR UN INCENDIE : L'ANTISÉMITISME EST L'ENNEMI DE L'ANTI-COLONIALISME

Il s’agit d’un attentat antisémite d’une violence et d’une stupidité sans limite, et il faut le condamner sans réserve. Non seulement par solidarité avec les juifs et juives visés, mais aussi pour rappeler que l’antisémitisme est fondamentalement incompatible avec l’anti-colonialisme et la solidarité internationale. La pensée de Frantz Fanon nous le rappelle avec force.

Frantz Fanon était un militant noir, écrivain, médecin anti-colonialiste. Né en Martinique et mort prématurément, il a pris parti dans les grands combats de son époque. Résistant pendant la seconde guerre mondiale, il rejoint les indépendantistes pendant la guerre d’Algérie. Il fut aussi psychiatre, métier qui l’a amené à analyser les traumatismes intérieurs provoqués par la colonisation.

Il laisse derrière lui plusieurs ouvrages de référence sur le colonialisme et le racisme, notamment «Les Damnés de la terre».
Frantz Fanon écrivait : «De prime abord, il peut sembler étonnant que l’attitude de l’antisémite s’apparente à celle du négrophobe. C’est mon professeur de philosophie, d’origine antillaise, qui me le rappelait un jour : “Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous.” Et je pensais qu’il avait raison universellement, entendant par-là que j’étais responsable dans mon corps et dans mon âme, du sort réservé à mon frère. Depuis lors, j’ai compris qu’il voulait tout simplement dire : un antisémite est forcément négrophobe.»

En France et ailleurs, la parole anti-juive se libère sur fond d’atrocités commises à Gaza. D’un côté, l’extrême droite, le grand courant antisémite fait désormais bloc derrière Israël par haine des arabes et des musulmans tout en rêvant d’un «choc des civilisations», de l’autre, certains mélangent le soutien légitime et essentiel au peuple palestinien avec les pires relents antisémites.

Ne confondez jamais la communauté juive et l’État colonial. Depuis des mois et des années, partout dans le monde, des juifs et juives protestent contre les bombardements israéliens et sont même parfois arrêtés pour cela. En France les collectifs Tsedek et UJFP sont en première ligne des mobilisations de soutien à la Palestine.

Les propagandistes pro-israéliens tentent d’entretenir volontairement la confusion. L’État israélien se proclame comme le porte-parole de la communauté juive dans le monde, afin d’assimiler la judéité à l’État d’Israël. Les médias français font de même, en ne donnant la parole qu’à des voix juives pro-israélienne ou presque, en hiérarchisant les victimes de la guerre et en qualifiant d’antisémite les propos contre les bombardements en cours. Ne tombons pas dans leur piège !

L’antisémitisme est un racisme européen pluriséculaire. Il s’agit d’un racisme parmi d’autres, mais pas comme les autres : la figure du juif a la particularité d’être construite, par les antisémites, comme dominante en secret. La figure du juif est, dans l’Europe médiévale, la figure par excellence de l’altérité, symbole de l’étranger apportant la corruption, le malheur, la maladie. Le juif ne mérite pas d’être défendu car il serait coupable par nature, il serait indéfendable.

Ainsi, au Moyen-Âge, les juifs sont persécutés, accusés d’empoisonner les puits, de répandre les épidémies comme la peste, puis torturés par l’Inquisition. En Europe de l’Est, ils subissent des pogroms, véritables défoulements racistes collectifs qui conduisent à des massacres. Les fantasmes judéophobes sont alimentés par des théories complotistes, comme le fameux «Protocole des sages de Sion» écrit en réalité par la police politique du Tsar pour accréditer l’hypothèse d’une «conspiration israélite». Aujourd’hui encore ce texte alimente les délires des négationnistes.

Au XIXème siècle, l’antisémitisme est un mal répandu y compris à gauche : une partie des courants socialistes diffuse l’imaginaire du capitaliste juif, du spéculateur. Par exemple Proudhon, théoricien anarchiste, entretient une violente haine des juifs. Il n’est pas isolé. Certains révolutionnaires se battent néanmoins pour l’égalité politique des juifs, obtenue pendant la Révolution française en 1791.

Un siècle plus tard, l’affaire Dreyfus (1894-1906) bouleverse la société française. Un capitaine juif est accusé à tort de trahison. Cette affaire est une rupture dans l’échiquier politique et l’histoire française. Une partie de la gauche rejoint les rangs des anti-dreyfusards ou choisissent le confort de l’absence de réaction. Mais Dreyfus compte malgré tout parmi ses défenseurs la gauche de Jaurès, d’Allémane, ou celle des anti-autoritaires (anarchistes).
Les anti-dreyfusards vont former les rangs réactionnaires, pré-fascisants, partisans d’un nationalisme du sang, d’un «nationalisme intégral» (Maurras). Il existe même à l’Assemblée un «parti anti-juifs». L’antisémitisme est alors qualifié de «socialisme des imbéciles» par le socialiste allemand Bebel. À partir de Dreyfus, la gauche commence à comprendre que l’antisémitisme est un leurre et un poison.

Selon l’historien Zeev Steernhell, le fascisme puise ses sources en France, et non en Italie ou en Allemagne. À la fin du XIXème siècle, on voit en France émerger une droite qui n’est ni monarchiste, ni bonapartiste, une droite «subversive», autoritaire, antisémite, souvent violente. C’est une droite “anti-système” qui sera le creuset du fascisme. C’est également en France, grande nation colonialiste, qu’est théorisée «scientifiquement» la hiérarchie des races, la suprématie des européens blancs sur les autres peuples considérés comme «sous-développés» et inférieurs – notamment par le «scientifique» Gobineau. Tout ce climat va imprégner la société et nourrir les futurs fascismes. L’antisémitisme fait partie de la palette des racismes de l’Homme blanc occidental et colonialiste.

Quelques décennies plus tard, la France va collaborer étroitement avec l’occupant nazi et même anticiper ses demandes, notamment lors de la rafle du Vel’d’Hiv : la police française arrête et déporte des milliers de juifs et juives, y compris des enfants, pour le compte du Troisième Reich. Des hauts fonctionnaires et des intellectuels français sont animés d’un antisémitisme enragé, et le traduisent en acte.

Après-guerre, l’antisémitisme est d’avantage camouflé, après l’horreur des camps de la mort, mais il ne disparaît pas totalement. On le retrouve dans les rangs des néo-nazis, des Poujadistes ou même du côté du Front National, créé dans les années 1970 par des fripouilles nostalgiques du pétainisme, dont Jean-Marie Le Pen. Ce vieil antisémitisme ne disparaîtra jamais totalement, et s’il se cache, il resurgit par vagues, que ce soit sur le plan des idées avec la négation du génocide nazi, ou que ce soit en actes à travers des attentats, des profanations, des crimes. Lors de la campagne présidentielle 2022, le candidat Eric Zemmour a même tenu des propos ouvertement révisionnistes et s’est entouré de néo-nazis, tout en étant massivement médiatisé.

Le gouvernement n’aide pas à installer un climat serein, et en premier lieu Emmanuel Macron qui citait Maurras et rendait hommage au Maréchal Pétain en 2018 ou qui nommait Gérald Darmanin Ministre de l’Intérieur en 2020, ancien proche de l’Action Française, une organisation royaliste et antisémite. En 2023, ce sont ces personnes, de Macron à Zemmour, qui s’inscrivent dans la filiation de l’antisémitisme français, qui font bloc derrière Israël. L’extrême droite a toujours détesté les juifs en tant que peuple qu’elle considérait comme déraciné, sans État, déloyal, vu comme potentiellement révolutionnaire et impossible à assimiler. C’est cette même extrême droite qui adore Israël en tant qu’État militarisé et raciste. Il n’y a aucune contradiction même si cela parait déconcertant : les fascistes sont antisémites pour les mêmes raisons qu’ils sont pro-Israël !

Ainsi, l’attaque d’une synagogue à la Grande Motte s’inscrit dans cette longue histoire de l’antisémitisme, meurtrier et stupide. L’auteur n’a pas visé les entreprises qui arment Israël, ni agi pour aider les palestiniens : il a visé la communauté juive. C’est un acte d’extrême droite qui souille la cause palestinienne et alimente les confusions. D’ailleurs, cet acte a été immédiatement instrumentalisé par les défenseurs d’Israël pour diffamer la gauche, et en particulier la France Insoumise. L’incendiaire antisémite ne pouvait pas leur faire un plus grand cadeau.

Répétons-le : l’antisémitisme est l’ennemi absolu des mobilisations pour la paix. Il est fondamentalement incompatible avec le combat pour la liberté des peuples. L’État israélien est un État d’extrême droite, colonialiste, militariste et génocidaire : c’est à ce titre qu’il faut le combattre. Pas en attaquant nos frères et sœurs en humanité de confession ou de culture juive. Ils n’en sont pas responsables.


Méditons toujours l’adresse de Frantz Fanon envers les peuples colonisés : «Quand vous entendez dire du mal des juifs, dressez l’oreille, on parle de vous».


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2 réflexions au sujet de « Synagogue visée par un incendie : l’antisémitisme est l’ennemi de l’anti-colonialisme »

  1. D’habitude, quand c’est une personne racisée (oui qui les arrangent) les flics font fuiter des infos sur le criminel..

  2. Nous ne sommes que nous-mêmes, avant d’être représenter par un chef, un pays ou tout autre imagination. Le fanatisme et la compétition ne sont pas des religions.

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