Rapport sur le « frérisme » : décryptage du dernier délire islamophobe du gouvernement


C’est la surenchère islamophobe du moment : Macron et ses Ministres mettent en scène leur combat contre la «mouvance frériste».


C'est la surenchère islamophobe du moment : Macron et ses Ministres mettent en scène leur combat contre la «mouvance frériste».

Le 21 mai, le gouvernement a fait fuiter un rapport confidentiel censé démontrer «l’entrisme» islamiste au sein de la société française. Cette opération médiatique est gravissime : elle repose sur des mensonges et une rhétorique complotiste, elle désigne un ennemi intérieur – les millions de personnes de confession musulmanes en France – et elle va servir à imposer de nouvelles mesures racistes et sécuritaires. On peut s’attendre à plus de dissolutions, d’arrestations, de surveillance mais aussi de violences visant la communauté musulmane. L’ambiance politique favorise le passage à l’acte.

Cette séquence est organisée quelques semaines seulement après l’assassinat d’un fidèle musulman dans une mosquée dans le Gard, alors même que les actes racistes et islamophobes explosent. Ce gouvernement cherche-t-il la guerre civile ? Dans ce nouveau moment de confusion politique, d’intox médiatiques et de fascisation, essayons de démêler les éléments.

Un conseil de Défense anti-démocratique : la militarisation de l’islamophobie

Pour «faire des propositions» suite à la remise du rapport, Macron a choisi de réunir un «conseil de défense», afin de parler de l’Islam sous «secret défense». Ce n’est pas le moindre des paradoxe : cette réunion est ultra-médiatisée depuis des jours, mais elle est officiellement «secrète». Une façon de surjouer le danger de la situation. S’il y a secret défense, c’est que la situation est dramatique.

Le «conseil de défense» est un outil fondamentalement opaque et autoritaire. En période de crise et d’état d’urgence, ce ne sont plus les élus qui détiennent le pouvoir, mais un comité restreint politico-militaire, le «conseil de défense et de sécurité nationale». En 2015, François Hollande a utilisé ce conseil après les attentats. Avec Macron, la décision est prise de réunir le conseil encore plus régulièrement, pour «en faire un moment clef d’examen de l’évolution des dossiers et de la prise de décision».

En 2020, au plus fort de la crise sanitaire, ces conseils se réunissent parfois plusieurs fois par semaine et remplacent de fait le Conseil des ministres. Il gouverne de facto, sans avoir de compte à rendre.

Ce Conseil est composé essentiellement de militaires : un général, le chef d’État-Major des armées, le secrétaire général de la Défense et de la Sécurité nationale, le directeur général de la sécurité extérieure, le directeur de la Sécurité intérieure, et quelques ministres, dont ceux de l’Intérieur et de la Défense. Des militaires et la tête de l’appareil policier pour parler d’un rapport sur l’Islam ? Cela revient à militariser la question religieuse et c’est déjà, en soi, gravissime.

Un rapport obscur et complotiste

Tout ce bruit est déclenché par la publication d’un rapport, basé notamment sur des renseignements policiers. Le ton, alarmiste, met l’accent sur les «Frères Musulmans» qui feraient de «l’entrisme» dans la République. Qui connaît les «Frères Musulmans» en France ? Quasiment personne, et la plupart des musulmans eux-mêmes en ignorent l’existence. Il s’agit d’une confrérie religieuse déclinante, fondée en Égypte dans les années 1920, qui a peu d’influence sur la communauté musulmane française. Mais parler de «frérisme», ça fait peur, ça marque les esprits.

Ce rapport dénonce donc un supposé «entrisme» islamiste. En 2021, les macronistes dénonçaient le «séparatisme» des musulmans. Quand les Musulmans appellent à voter, ils font de l’entrisme. Quand les Musulmans n’appellent pas à voter, ils font du séparatisme. Quand les Musulmans montent des commerces, ils sont soupçonnés de financer les Frères musulmans. Quand les Musulmans ne travaillent pas, ils vivent des aides de l’État. Quand les Musulmans font du sport, ils se préparent à l’action. Quand les Musulmans ne font pas de sport, ils refusent de se sociabiliser. Le problème semble donc être l’existence même de l’Islam et de ses fidèles en France.

Le rapport parle du «développement d’un écosystème local», avec des mosquées qui proposeraient des cours d’éducation religieuse, des épiceries halal, des sites de rencontres et des activités sportives… Autant de structures que l’on retrouve littéralement dans chaque communauté religieuse ! Faut-il interdire le catéchisme, les boucheries casher ou les lieux de rencontre confessionnels ?

Ce qui est reproché aux musulmans, c’est de faire ce que tout le monde fait : s’organiser, défendre ses droits, exister politiquement. Personne ne reproche aux chasseurs, aux catholiques, aux agriculteurs ou tout autre groupe de faire du lobbying pour imposer leurs intérêts, parfois même violemment.

Le préfet des Hauts-de-Seine, Alexandre Brugère, va encore plus loin : selon lui, les boucheries halal seraient «une stratégie qui vise à fractionner la société, le commerce constitue une cible dans le cadre de la stratégie des Frères musulmans». Complètement délirant.

Ce rapport, et surtout l’interprétation qui en est faite, reprend de fait un imaginaire complotiste, celui d’un corps étranger, forcément mal intentionné, qui tenterait d’infiltrer la France pour la détruire de l’intérieur. C’est littéralement l’imaginaire de l’antisémitisme du début du siècle dernier. Et cet imaginaire d’extrême-droite est désormais assumé par le Ministre de l’Intérieur.

Campagne médiatique outrancière

Ce rapport s’inscrit dans une interminable séquence médiatique contre l’Islam et les fidèles. Après le burkini, la viande halal, les prières de rue, la construction de mosquées, les prénoms «non français», l’abaya, les accompagnatrices voilées, l’abattage rituel, «l’islamo-gauchisme», la pénurie d’œufs «à cause du ramadan», le hijab pour les sportives… il n’y a pas une semaine depuis des années sans que le sujet ne fasse la Une de l’actualité.

Ces campagnes racistes sont devenues le cœur de la gouvernance macro-lepéniste. Puisque le pouvoir n’a aucune intention d’améliorer les conditions de vie de la population, de trouver des solutions aux problèmes sociaux, économiques et écologiques, il construit un bouc émissaire sur lequel se défouler, tout en recyclant des méthodes coloniales et en imposant un agenda identitaire.

Depuis le 21 mai, une coalition allant des macronistes aux fascistes hurle en meute. L’essayiste Caroline Fourest, présente sur LCI alors qu’elle a été mise en cause pour ses nombreux mensonges, a affirmé que plusieurs députés français font partie des Frères musulmans, sans citer de nom. D’autres chroniqueurs parlent de quartiers contrôlés par la Charia, la loi musulmane, sans jamais donner de lieu. Des accusations extrêmement graves.

Damien Rieu, le chef de Génération identitaire, groupe fasciste, exulte : «Je me souviendrai toute ma vie du 21 mai 2025. J’ai l’impression que cette journée est l’aboutissement de 15 ans de militantisme, de procès, d’amendes et de menaces».

Sur Cnews, la présentatrice Christine Kelly accuse l’influenceuse Lena situations de «s’habiller à la mode des Frères musulmans» parce qu’elle portait une robe ample à Cannes. C’est une véritable chasse aux sorcières.

La personnalité médiatique du moment se nomme Florence Bergeaud-Blackler, qui se félicite d’une « prise de conscience » et qui a publié des livres sur le «frérisme». Elle est invitée sur CNews et Europe 1, mais aussi BFMTV ou Le Parisien et est présentée comme une chercheuse, mais c’est en réalité une militante proche de l’extrême droite. Elle a fondé le CERIF, un centre de recherches sur «l’islamisme» qui reçoit des financements de Périclès, la structure de Pierre-Édouard Stérin, le milliardaire catholique réactionnaire. Elle fait partie de cercles liés à Viktor Orban, dirigeant d’extrême droite hongrois. En 2024, elle participait à un cycle de conférences organisé par Louis Aliot, maire Rassemblement National de Perpignan.

Cette prétendue chercheuse écrit des énormités comme : «Le drapeau rouge n’est plus. Il est désormais remplacé par le drapeau vert-rouge de l’islamogauchisme, qui est aussi celui brandi de la Palestine. L’internationale c’est l’Oumma de l’islamisme, et ses alliés utiles : ceux qui vont périr ou se convertir». C’était le 25 janvier 2025 sur Twitter.

Le 18 janvier 2024, elle estimait que : «Le milieu LFI nourrit l’islamisme et crée une génération radicale antisémite habillée de Jilbab». Cette odieuse personne a reçu la Légion d’Honneur par Macron en janvier dernier.

L’islamisme : jadis allié de la droite occidentale, aujourd’hui épouvantail bien pratique

L’obsession du moment sur les «Frères Musulmans» est absurde. Nous l’avons dit, l’organisation des Frères musulmans est fondée en 1928 en Égypte, avec la volonté de réislamiser la société à travers les institutions et l’État. Ils ont une stratégie d’influence, et utilisent des méthodes de communications modernes : les médias, les réseaux sociaux.

Ils sont donc détestés par les courants islamistes salafistes et les wahhabites, partisans d’un Islam qui obéirait strictement aux textes fondateur de l’Islam, et qui rejettent toute interprétation et adaptation humaine. Ces courants dénoncent donc la «modernisation» des Frères Musulmans.

Or, pendant des années, le salafisme et le wahhabisme ont été les meilleurs alliés de la droite occidentale, notamment durant la Guerre Froide. Les dirigeants des USA ont beaucoup soutenu ces groupes islamistes pour affaiblir les régimes arabes postcoloniaux et l’influence communiste. Ils ont aussi soutenu les talibans en Afghanistan lors de la guerre contre l’URSS, et avec l’appui de la dynastie Saoudienne. C’est ainsi qu’est née Al Qaïda, une organisation sous influence de la CIA et des pétromonarchies.

Plus près de nous, en 2003, Nicolas Sarkozy, alors qu’il était Ministre de l’Intérieur très à droite, avait encouragé l’entrée de courants islamistes au sein du Conseil français du culte musulman. En 2008, Sarkozy prononçait le discours de Riyad, qui prônait une «alliance civilisationnelle» avec l’Arabie Saoudite, pays Wahhabite.

Durant son mandat, Sarkozy noue des liens importants avec le Qatar, autre puissance Wahhabite du Golfe. C’est sous Sarkozy que le PSG est vendu au Qatar et que le mondial de foot est attribué à ce pays, grâce au soutien de la France.

On se rappelle aussi de la chasse menée par Gérald Darmanin pour retrouver l’imam Hassan Iquioussen. Accusé de radicaliser les fidèles de sa mosquée, l’homme avait été traqué jusqu’en Belgique afin d’être ramené en France et être expulsé, un feuilleton absurde. Et d’autant plus absurde que l’imam en question avait été un précieux allié de Darmanin dans la conquête de la mairie de Tourcoing : musulmans ou pas, les réactionnaires savent s’entraider. Mais l’ingratitude et le racisme de Darmanin auront eu raison de l’imam.

Pour le dire plus simplement : les dirigeants de droite se sont alliés avec des puissances islamistes à l’étranger pour des raisons économiques, et ont encouragé l’Islam réactionnaire en France, notamment après l’embrasement des banlieues en 2005. Ils préfèrent des religieux qui maintiennent l’ordre plutôt que des classes populaires qui se révoltent. Or, le rapport qui vient de sortir ne parle jamais du salafisme et se concentre sur la mouvance «frériste». C’est un écran de fumée.

Avec la mise en scène de ces derniers jours, l’État français poursuit son processus de fascisation, ses dirigeants se radicalisent et construisent un récit complotiste contre un ennemi intérieur. On peut s’attendre à de nouvelles lois racistes et liberticides, mais aussi à d’autres actes violents contre la communauté musulmane, encouragés par le discours ambiant. Notre période ressemble furieusement aux années 1930 : plus un pas en arrière face à l’islamophobie et à tous les racismes. Construisons la résistance.

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