
La guerre est d’abord une histoire de propagande et de séduction. Les stratèges militaires de la guerre froide ont théorisé l’importance de «conquérir les cœurs et les esprits» pour gagner les batailles et enrôler l’opinion publique. Toutes les grandes guerres et les massacres depuis sont légitimés préalablement par des campagnes nationalistes, racistes, ou déshumanisantes. Au XXIème siècle, c’est au nom du «monde libre» face à «l’axe du mal» que sont déclenchées les guerres néocoloniales, mais aussi celles en Irak, à Gaza ou actuellement en Iran. Et inversement, une situation de guerre est toujours l’occasion pour les dirigeants de faire taire leur opposition.
Il faut vendre à l’opinion l’idée de guerres «justes», d’ennemis menaçants mais aussi de forces armées «protectrices» et rassurantes. Faire oublier qu’une guerre, c’est d’abord un déluge d’acier, des corps déchirés, du sang et des larmes, des traumatismes sur des générations, des victimes civiles beaucoup plus nombreuses que militaires, et des profits colossaux pour les marchands de canons, seuls gagnants des conflits armés.
Le Salon du Bourget fait partie de cette stratégie de séduction. Organisé tous les deux ans près de Paris, accueillant des centaines de milliers de visiteurs en plus des milliers d’exposants professionnels, il mélange volontairement l’aviation civile et militaire, spectacles acrobatiques aériens et exposition de missiles, avions de tourisme et avions de guerre. Les frontières entre guerre et spectacle, violence et plaisir, sont ainsi brouillées. Et pendant que le public s’amuse, les marchands d’armes signent des contrats dans l’arrière-boutique.
Pour assurer le spectacle, le Salon du Bourget tente d’être ludique. En 2025, ses organisateurs ont donc recruté Jamy Gourmaud, le célèbre Jamy qui a bercé notre enfance en animant «C’est pas sorcier». Le dossier de presse officiel destiné aux médias parle d’un «temps fort du week-end, une conférence exceptionnelle animée par Jamy». Un partenariat rémunéré pour une somme inconnue.
L’animateur a déjà travaillé avec l’armée française. En février dernier, sur sa chaîne Youtube forte de 2 millions d’abonnés, une vidéo intitulée «Jamy décolle dans le + gros avion militaire français !» le montre sur une base de l’armée de l’air à Orléans, discutant avec des aviateurs et des techniciens militaires, avant de monter dans un avion de transport de troupes, habillé en aviateur avec un patch tricolore. Ici encore, il s’agit de rendre ludique des engins qui servent à envoyer des soldats mener des missions coloniales, notamment en Afrique.
À l’époque de «C’est pas sorcier», des émissions avaient déjà été consacrées aux avions de chasse et à la Marine nationale, occultant le bilan humain et moral des guerres menées par la France.
Bénéficiant de son aura, Jamy a déjà vendu son image au service d’autres lobbys. En février 2022, il publiait une vidéo sur les céréales en collaboration avec Intercéréales, groupement productiviste de la filière. En août 2024, il tournait une vidéo en partenariat avec le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (Cniel), le grand lobby du lait.
Le Bourget travaille aussi avec de grands médias. Le 16 juin, la chaîne BFM a consacré une émission spéciale intitulée : «Le salon du Bourget ouvre ses portes, suivez notre émission spéciale au milieu des avion». Sur les réseaux sociaux, BFM titrait : «Revivez les temps forts de la première journée» et propose un live tweet de la journée. Le 17 juin, BFM organisait un «match» avec des experts, sur le thème : «Airbus vs Boeing : au salon du Bourget, qui remporte la guerre des géants de l’aéronautique ?» En 2023, déjà, BFM était partenaire officiel du salon du Bourget.
Pourquoi une telle attention ? Il suffit de regarder les affiches publicitaires du salon et les billets d’entrée : ils comportent les logos BFM, BFM Business et RMC, trois chaînes possédées par la même filiale : l’armateur français CMA CGM. Cela veut dire que les organisateurs du Bourget ont passé un contrat financier avec des médias de masse pour valoriser leur événement. Ils investissent pour rendre fun les ventes d’armes et l’aviation. Et même les médias qui ne sont pas partenaires servent la soupe au salon, comme la radio publique France Inter, qui a diffusé des publi-reportages sur l’événement, sans jamais donner la parole aux opposant-es du salon.
Sur son site officiel, les organisateurs du Bourget mettent en avant un «Média Center» sponsorisé par Qatar Airways, flotte d’avions d’une théocratie du golfe. Ce centre propose toute la semaine «les plus belles images du salon» «en accès gratuit et HD pour une utilisation libre par les médias». Un travail lisse, publicitaire et prémâché, utilisable directement par les journalistes.
Depuis longtemps, le lobby des marchands d’armes s’intéresse aux grands médias : Le Figaro appartient à la famille Dassault, et fabrique les Rafales. Lagardère, autre marchand d’armes, qui possédait Europe 1, Europe 2 ou le JDD, aujourd’hui rachetés par Bolloré.
Alors que les nuages noirs de la guerre sont de plus en plus menaçants, les personnalités, médias et entreprises qui travaillent à rendre divertissante l’industrie des armes sont les complices des massacres de demain. Mais heureusement, la résistance et les contre-discours existent. Un village anti-guerre et une manifestation contre le salon ont lieu tout le week-end.
Plus d’infos sur : guerrealaguerre.net
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