Les appels à bloquer le pays le 10 septembre se multiplient

La situation sociale en France serait-elle enfin en train de frémir ? Depuis l’immense mouvement contre la réforme des retraites, brisé par la répression et l’usage de 49.3, l’impuissance semblait avoir gagné les esprits. Aucune mobilisation d’ampleur, les grèves et les blocages ne prenaient pas, les pires attaques étaient sans réponse.
Pourtant, le clan au pouvoir n’a pas ménagé sa violence : rafales de mesures anti-sociales et écocidaires, dissolution de l’Assemblée suivie d’un coup d’état légal il y a un an, pour imposer un gouvernement de droite extrême malgré la victoire du Nouveau Front Populaire, plan d’austérité, cadeaux aux patrons, débauche d’argent pour l’armement…
Ces derniers jours, deux événements séparés mais simultanés laissent penser qu’un sursaut pourrait arriver. Dans son obsession de destruction, Macron a imposé une «loi Duplomb» pour faire plaisir au lobby des pesticides, contre l’avis de tous les spécialistes du sujet. Une pétition contre cette loi a recueilli près de 2 millions de signatures, battant tous les records, et laissant présager une lame de fond contre les empoisonneurs.
En parallèle, un appel à bloquer le pays le 10 septembre contre le plan d’austérité annoncé par Bayrou se répand. Il faut dire que le gouvernement a frappé très fort. Juste avant les vacances parlementaires, le Premier Ministre annonçait une véritable guerre sociale : plus de 40 milliards d’euros de coupes budgétaires, avec des baisses dans les dépenses de santé, la suppression de deux jours fériés, la disparition d’une semaine de congés payés «contre rémunération», des hausses d’impôts sur le revenu et le gel de toutes les prestations sociales – RSA, APL, AAH… – mais aussi 5 milliards d’euros «d’efforts» demandés aux malades, notamment en affection longue durée, et une nouvelle réforme de l’assurance chômage pour restreindre davantage les droits des demandeurs d’emploi.
Et tout cela malgré un taux de pauvreté qui atteint son record depuis 30 ans selon l’Insee, avec un niveau d’inégalités inédit en France depuis les années 1970. Les riches n’ont quant à eux jamais été aussi riches, mais Bayrou promet qu’il ne touchera pas un centime de la fortune des plus privilégiés.
Depuis les annonces du premier Ministre, le gouvernement poursuit les provocations. «Il faudra mettre fin aux 35 heures» a déclaré le député macroniste Mathieu Lefèvre alors que la porte-parole du gouvernement, qui réclame aussi la suppression des 35 heures, indique que le travail supplémentaire «ne sera pas valorisé». Travailler plus pour gagner moins. Autre idée de génie : l’Assurance maladie n’indemniserait plus les assuré-es avant le 8ème jour. Donc des pertes sèches de revenu pour les malades, ce qui est un scandale absolu. Enfin, Retailleau et l’extrême droite veulent liquider l’AME, l’aide médicale d’État, dans leur viseur depuis longtemps. Priver les étrangers résidant en France de soins n’économiserait quasiment rien, mais serait à la fois une mesure totalement raciste et dangereuse pour la santé de toutes et tous.
Face à cette batterie d’agressions, des appels à bloquer le pays à partir du 10 septembre 2025 se multiplient. Le Parisien a interrogé l’un des initiateurs du mouvement, un employé d’Enedis qui explique : «Le mouvement ne dépend d’aucun parti, d’aucune organisation, d’aucune couleur. C’est un ras-le-bol général. Si des gens de tous bords s’y reconnaissent, c’est justement parce que les attaques touchent tout le monde. Ce n’est pas juste une manifestation classique, mais un vrai blocage».
Ces appels veulent combiner plusieurs modes d’actions : «grève générale, désobéissance civile et boycott». Ils sont relayés par d’anciens groupes de Gilets Jaunes mais aussi des comptes de gauche et d’extrême droite sur les réseaux sociaux, qui tentent de récupérer la dynamique, dans une confusion assez classique à notre époque.
Pour autant, un site baptisé Mobilisation10septembre.blog, qui vise à organiser et centraliser les différentes initiatives, affiche des mots d’ordre clairs et net : «Stop à l’austérité Bayrou ! Le gouvernement sacrifie nos droits. Ce plan injuste frappe les plus fragiles et détruit nos services essentiels. Une autre politique est possible : solidaire, juste, et humaine». Sur le même site, des appels dénoncent la «casse sociale» et «les cadeaux aux riches», tout en proposant : «on lutte, ensemble, pour reconstruire une société plus équitable».
Les cibles du mouvement sont, elles aussi, limpides : une liste de multinationales comme Amazon, qui réalise «des milliards de chiffres d’affaires, des employés pressés comme des citrons, des impôts évités, des petits commerces tués…», Carrefour, Auchan ou Leclerc – «Ils augmentent leurs marges, les prix montent, mais les salaires dans les rayons ne suivent pas – et Uber Eats ou Deliveroo – «des livreurs sans protection, souvent payés 3 ou 4 euros la course. Pas de contrat, pas de droit». La tonalité générale semble anticapitaliste. D’autres mots d’ordres sont beaucoup plus flous et timides, appelant simplement au « boycott » et à rester chez soi pour faire entendre que « nous ne sommes pas des vaches à lait ». C’est donc encore protéiforme et balbutiant.
Un compte à l’origine d’appels pour le 10 septembre explique : «Une grève générale totale, organisée, pourrait en quelques jours seulement – 7 jours suffiraient –, mettre un terme à un système qui ne tient debout que grâce à notre participation quotidienne». On ne peut que lui donner raison : en 2023, les directions syndicales ont organisé la défaite en appelant à des journées de grèves espacées de plusieurs semaines, ce qui a saboté le rapport de force. Nous avions beau être des millions dans la rue et en grève, il est impossible de bloquer le pays durablement et de mettre la pression en défilant une fois tous les 15 jours, et les bureaucraties le savaient parfaitement. D’ailleurs, ces mêmes directions ont annoncé suite aux déclarations de Bayrou… une pétition sur internet ! Une fois de plus, il n’y a rien à attendre d’en haut, un mouvement doit se construite à la base.
Pourtant, les habituels gauchistes dénigrent déjà les appels pour le 10 septembre, avec exactement les mêmes arguments qu’avant le déclenchement des Gilets Jaunes : certains relais seraient d’extrême droite ou «complotistes». Le RN appelait aussi à manifester contre la réforme des retraites en 2023, fallait-il pour autant boycotter les manifestations ? Cette logique de pureté morale stérile est exactement la même qu’à l’automne 2018 : l’extrême gauche n’a rien appris en 7 ans, depuis les Gilets Jaunes. Et pourtant, combien de fois avons-nous entendu autour de nous, depuis 2018, que les Gilets Jaunes avaient raison et qu’un tel mouvement serait de nouveau plus que nécessaire ?
C’est oublier qu’un mouvement se construit par les actes. Les revendications initiales des Gilets Jaunes n’étaient pas toutes parfaitement révolutionnaires – et comment pouvaient-elles l’être, dans un pays où les médias diffusent des idées réactionnaires en continu depuis des années ? – mais leurs actes et leurs cibles l’étaient. Par ailleurs, si l’extrême droite tente de récupérer un mouvement social, il est d’autant plus nécessaire de l’en chasser plutôt que de rester chez soi et d’assister à la situation en spectateur.
La révolte fera-t-elle son grand retour le 10 septembre ? Macron finira-t-il son décennat comme il l’a commencé, par une fronde sociale qui le fera trembler ? La réponse dans les prochaines semaines.
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