“Avoir plus de bébés de souche européenne”, “évangéliser des bébés et tous ceux qui ne sont pas catholiques”, combattre le « camp du mal » : entrisme raciste et religieux, bienvenue dans le monde que Pierre-Edouard Stérin prépare pour vous

Pierre-Édouard Stérin, ce nom vous dit peut-être quelque chose. Inconnu du grand public jusqu’à récemment, il est devenu célèbre grâce à la mise en lumière par L’Humanité l’été dernier de son plan Périclès, l’acronyme de «Patriotes / Enracinés / Résistants / Identitaires / Chrétiens / Libéraux / Européens / Souverainistes» : un budget de 150 millions d’euros sur 10 ans afin de faire gagner l’extrême droite dans les urnes et dans les esprits via le fonds d’investissement qu’il dirige, Otium Capital.
Un ultra-riche en croisade
Milliardaire intégriste, libertarien et exilé fiscal en Belgique, Pierre-Édouard Stérin est la 104e fortune de France, grâce au succès phénoménal des Smartbox, ces innocents coffrets cadeaux qu’on offre quand on manque d’idées. Proche de la Manif pour tous et des mouvements anti-IVG, Stérin aspire à «la sainteté et la vie éternelle» selon ses propres mots. Il a lancé une véritable croisade pour «permettre la victoire idéologique, électorale et politique» de l’extrême droite, mais aussi «servir et sauver la France et lutter contre les ‘maux principaux’ que sont selon lui le socialisme, le wokisme, l’islamisme, et l’immigration».
Le 11 juin dernier se tenait une conférence organisée par l’Institut du Bon Pasteur – un institut de catholiques intégristes proche de l’extrême-droite. Dans ses établissements, on y présente le maréchal Pétain comme un homme ayant rendu « d’énormes services à son pays », alors que le général de Gaulle serait « un déserteur ». On imagine de quels services il s’agit, car on y entonne également des chants nazis. Matthieu Raffray, un des prêtres de l’Institut, a pour mission « d’évangéliser les milieux identitaires et nationalistes » et comparait l’homosexualité à une « faiblesse » qui pouvait être « guérie ».
C’est donc cet institut qui organisait sa conférence annuelle sobrement intitulée « Agir en chrétien pour le bien commun », avec Pierre-Édouard Stérin en invité d’honneur. La teneur de cette conférence a été mise en ligne le 24 juillet sur Youtube, avant de devenir virale. Le milliardaire y révèle ses domaines d’action prioritaires, et sa méthode : “mettre un peu d’argent sur la table” et “appliquer effectivement les méthodes du business”. Son rôle à lui ? “Me concentrer sur ce que je fais le mieux, à savoir faire de l’argent”, et utiliser son véhicule favori : Les Nuits du bien commun.
Lancées en 2017, les Nuits du Bien Commun sont en réalité l’avant-garde du projet de Stérin. Au démarrage uniquement parisiennes, ces soirées ont aujourd’hui lieu dans pas moins de 20 grandes villes – Lille, Paris, Toulouse, Nantes… Elles sont essentielles dans la bataille menée par le milliardaire, qui rappelle dans la vidéo qu’elles permettent de “financer tout un tas de projets existants, qui vont dans le sens des objectifs qu’on s’est fixés”. Elles permettent dans un premier temps de financer des associations ultra réactionnaires qui sont en première ligne de la bataille culturelle.
Ces soirées permettent aussi de faire se rencontrer la bourgeoisie locale – qui peut en profiter pour défiscaliser un maximum d’argent grâce à ces dons – et de tisser des liens solides entre les représentant·es de la droite et de l’extrême droite locale afin de réaliser «l’union des droites», l’un des objectifs majeurs du projet Périclès. En outre, à l’approche des élections municipales, avoir un maillage serré du territoire est également essentiel. Entendre Stérin confirmer que les Nuits du bien communs, présentés comme de banales soirées caritatives pour discréditer les mobilisations antifascistes, sont le Cheval de Troie de son projet à le mérite de clarifier les choses.
La natalité “blanche”, une obsession de l’extrême droite
Le domaine d’action prioritaire cité par le milliardaire d’extrême-droite est “faire plus de bébés de souche européenne”. Il s’agit là ni plus ni moins d’un projet eugéniste et raciste, qui rappelle les politiques natalistes des fascistes. Il explique : “Pour ceux qui nous écoutent, qui sont jeunes, mariez-vous ! Mariez-vous jeunes, et faites un maximum de bébés ! Si vous êtes déjà mariés ou fiancés, aidez vos amis célibataires à rencontrer quelqu’un, qui leur permettra de former un couple. Diffusez une image positive de la famille, ça contribuera à inciter tout un tas de personnes à fonder une famille demain”.
Cette obsession de la natalité n’est pas une nouveauté. Elle tient une place centrale dans l’idéologie de l’extrême droite, et ce depuis ses débuts. Pour l’Allemagne nazie, l’Italie fasciste, l’État français pétainiste, et plus proches de nous la Hongrie d’Orban ou l’Italie de Georgia Meloni, la natalité est la vectrice de l’héritage biologique et culturel. Dans l’Allemagne nazie par exemple, les «lebensborn» étaient des nurseries spéciales, véritables machines à créer des petits aryens, où des femmes répondant aux critères de sélection génétique nazie et enceintes d’officiers SS pouvaient passer les mois de leur grossesse et accoucher de manière anonyme.
Autre exemple, depuis l’élection de Georgia Meloni en Italie, les anti-avortement peuvent accéder librement aux cliniques publiques pour harceler le personnel soignant et les patientes. La femme blanche chrétienne a une mission reproductrice quasi sacrée : elle doit mettre au monde des enfants blancs pour perpétuer la « race » et lutter contre le « grand remplacement ». C’est pourquoi le RN ne se bat pas pour l’égalité salariale par exemple : la femme ne devrait pas travailler puisque sa fonction est reproductrice. Pierre-Édouard Stérin finance d’ailleurs via son fonds du bien commun des associations comme la «Maison de Marthe et Marie» qui, sous couvert de proposer des colocations solidaires pour femmes enceintes isolées, poursuit un projet anti IVG dans de nombreuses villes – notamment à Nantes – piégeant des femmes en situation de vulnérabilité.
Sébastien Chenu en 2023 déclarait : «Moi, je préfère qu’on fabrique des travailleurs français plutôt qu’on les importe». On retrouve dans le programme du RN la constitution « d’une part fiscale complète dès le deuxième enfant, ainsi que la création d’un prêt public à taux zéro transformé en subvention pour les couples qui ont un troisième enfant », dispositif qui reprend celui de Viktor Orban en Hongrie.
En 2021, Marion Maréchal et Éric Zemmour s’étaient d’ailleurs rendu-es au Sommet de la démographie organisé chaque année en Hongrie par le président du pays. En 2022 le RN avait déposé une proposition de résolution pour «faire de l’année 2024 une année dédiée à la relance de la natalité française». Emmanuel Macron, lors d’une conférence de presse où il appelait à un «réarmement démographique», avait repris presque mot pour mot ce discours nataliste raciste de l’extrême droite, révélant encore une fois l’absence de différence de nature entre l’idéologie macroniste et l’idéologie du RN.
«Faire le choix de la natalité, c’est s’engager à assurer la continuité de la Nation, et la perpétuation de notre civilisation» peut-on lire dans le Livre sur la Famille du programme du RN. C’est pour cette même raison que l’extrême droite combat la théorie du genre et est fondamentalement homophobe et transphobe, comme le rappelle Stérin lorsqu’il parle des ennemis qui ont réussi à “faire en sorte que le mariage homosexuel passe”.
Rechristianiser la France, un combat civilisationnel
Le second domaine d’action prioritaire est l’évangélisation. Il faut donc “baptiser les bébés”, mais également “évangéliser tous ceux qui aujourd’hui ne sont pas catholiques”. Alors que la droite et l’extrême droite ne cessent d’agiter le spectre d’une islamisation programmée de la société, il nous rappelle ici que le projet est bien plus abouti du côté des catholiques intégristes. C’est pourquoi Pierre-Édouard Stérin finance des associations comme SOS Calvaires, une association très proche des milieux d’extrême droite, dont la mission est d’installer de gigantesques croix partout en France dans un processus de «rechristianisation».
Ces actions sont accompagnées de prières traditionalistes avec curé, enfant de chœur et parfois même des individus en armures de chevaliers ! Ambiance croisades et guerres de religion. Dans son discours, Stérin parle des “actions concrètes” à mettre en place : “diffuser la bonne parole” auprès de ses voisins et dans les médias. En effet, selon lui les médias sont “gangrenés par le camp du mal” – c’est-à-dire la gauche. Parler de “camp du mal” révèle la pensée profonde du milliardaire : il se vit comme le prêtre soldat guidant ses troupes dans une véritable guerre civilisationnelle.
Son projet passe par l’entrisme catholique dans l’éducation. Il se fait à 2 niveaux. D’abord par la création d’établissements privés hors contrats, avec notamment “l’Académie Saint Louis” – un projet d’internats catholiques privés non-mixtes autorisé par les autorités – dont la première institution ouvrira à la rentrée au domaine de Chalès, dans le Loir-et-Cher. Elle promeut “l’éducation intégrale”, une éducation ultra réactionnaire pour “relever la France” qui prend en compte “le corps, l’âme et l’esprit”.
“Aucun motif mentionné à l’article L. 441-1 du Code de l’éducation, pour lesquels le recteur, le maire, le préfet ou le procureur de la République peuvent s’opposer à l’ouverture d’un établissement privé hors contrat, n’a été relevé », a annoncé le rectorat de l’Académie d’Orléans-Tours. Cet établissement pourra donc recevoir une flopée de financements publics. L’évangélisation se paiera donc avec vos impôts. Il y a également «Espérances banlieues» : un réseau d’écoles privées hors contrats dont le but est de «faire aimer la France». Celle de Marseille a même développé un partenariat avec… la Légion étrangère. Ce réseau est visé par une enquête pour violences volontaires sur mineurs, harcèlement moral et dénonciation calomnieuse.
Ensuite, par un entrisme dans les écoles de journalisme : Stérin explique qu’il faut “investir des écoles pour devenir journalistes quand on a l’âge de faire des études supérieures”. En ce sens, il finance l’Institut Libre de Journalisme afin de former les futurs journalistes à inonder les journaux et chaînes télévisées des idées d’extrême-droite, déjà omniprésentes.
Avec ce discours, Pierre-Édouard Stérin nous confirme que, tout comme son homologue Vincent Bolloré, la bourgeoisie mène son combat décomplexé contre nous afin d’instaurer un ordre fasciste. Ils ne se cachent même plus. Mais en avançant à visage découvert, ils nous donnent des armes pour les combattre. N’ayons pas peur de les utiliser.
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