À Nantes : de la prison ferme pour un vol de Yop à moins de 2€


Fort avec les faibles, faible avec les forts : comment la justice broie les pauvres et préserve la caste des dominants


Une bouteille de Yop : voilà ce qui justifie de la prison ferme aux yeux de la justice de classe.

“Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir”. Cette citation célèbre de Jean de La Fontaine dans Les Animaux malades de la peste n’a jamais été autant d’actualité.

La justice telle qu’elle qu’on la connaît n’a en réalité rien de “juste”. Elle n’a pas pour but de réparer les préjudices que pourraient subir des personnes opprimées. Elle n’a pas pour but de tenter d’aider les personnes ayant commis des actes répréhensibles à se réinsérer dans la société pour qu’elles ne représentent plus de danger pour les autres. Elle ne s’interroge jamais sur les conditions matérielles qui créent la violence. Elle ne s’interroge jamais sur la violence matricielle, la violence qui génère toute les autres : celle de l’État et du capitalisme.

La justice n’a pour but que de faire tenir à tout prix l’ordre capitaliste bourgeois qui maintient la plus grosse partie de la population dans la précarité. Elle n’a pour but que d’enfermer en prison les “indésirables” : les pauvres et les personnes non blanches.

Le crime de pauvreté

On apprenait dans Ouest France, le 29 juillet dernier, qu’un homme sans domicile fixe et touchant le RSA venait d’écoper de 2 mois de prison ferme. Son crime ? Avoir volé une bouteille de Yop à 1,74€. Un Yop qui répond à un besoin primaire : se nourrir pour survivre. Survivre au RSA, aujourd’hui fixé à 646,52€ : on met quiconque au défi de vivre dignement avec ce montant.

L’homme de 34 ans se trouvait dans un Leclerc de la ville de Nantes lorsqu’il a tenté de subtiliser une bouteille de Yop. L’agent de sécurité s’étant malheureusement aperçu de son geste, il l’intercepte. Avec l’aide d’une cliente du magasin (les héroïnes ne portent pas de cape), il règle 2 autres articles volés. Mais il lui manque toujours 1,74€ pour le Yop. L’agent de sécurité, reconnaissant l’homme en question qui avait déjà été pris pour vol dans ce magasin, appelle la police. L’homme est jugé en comparution immédiate pour vol. La bouteille de yaourt à boire, elle, est remise en rayon.

La loi prévoit bien l’abandon des poursuites dans le cas où l’article est rendu et dont le prix est inférieur à 300€. Mais il est considéré comme récidiviste, ayant déjà 4 condamnations pour vol à son actif. 4 vols de Yop ? C’est assez pour le tribunal, qui le condamne à deux mois de prison ferme. Cette peine de prison est clairement une condamnation pour pauvreté.

C’est la double peine : vous volez parce que vous êtes trop pauvre pour payer votre nourriture. Vous passez en comparution immédiate – jugement suivant immédiatement la garde à vue –, vous laissant très peu de temps pour préparer votre défense. Or on sait que la comparution immédiate multiplie par 8 le risque de peine de prison ferme. Vous êtes condamné à une peine de prison pour avoir volé. Vous êtes donc condamné pour fait de pauvreté. C’est ce qu’on appelle une justice de classe.

Ce cas n’es malheureusement pas isolé. Parmi les exemples tout aussi scandaleux, en avril 2017, un sans-papier était poursuivi pour avoir subtilisé quelques saucisses de Strasbourg, des gâteaux et une brosse à dents dans un centre commercial. Il était condamné par le tribunal correctionnel de Bordeaux à 15 jours de prison ferme avec mandat de dépôt.

En juin 2019, un individu de 20 ans vole un sandwich au thon et un jus d’orange dans un magasin Franprix de Conflans-Sainte-Honorine. Valeurs du «préjudice» : 5 euros. Le procès aboutit à une peine de 6 mois de prison ferme avec mandat de dépôt.

En juillet 2023, lors des révoltes suivant le meurtre de Nahel, une jeune femme se rend dans un Zara pillé, elle prend quelques affaires avant de tout laisser au sol. Malgré cela, elle est interpellée et écope de 6 mois de prison ferme. Ce même mois, un jeune de 28 ans est condamné à 8 mois de prison pour un vol de canette de Redbull.

Il y a d’un côté les pauvres, les damné-es de la terre, celles et ceux que la Justice bourgeoise enferme pour avoir dérobé des aliments pour se nourrir, pour survivre. De l’autre, il y a une petite caste de parasites qui se gavent de fonds publics, des nantis criminels qui organisent la fraude en bande organisée mais arrivent toujours à esquiver procès et prison.

Justice de classe

Les chercheur-euses Virginie Gautron et Jean-Noël Retière ont, entre 2000 et 2009, réalisé une étude sur les différences de traitement judiciaire selon les différentes classes sociales : 31% des prévenus vivant avec moins de 300 euros mensuels sont condamnés à de la prison ferme contre 7,1% pour ceux gagnant plus de 1500€. 60% des peines de prison ferme sont prononcées contre des personnes sans-emploi. Et pour les hommes et les femmes politiques ? 0. Pourtant, leurs crimes dépassent, et de loin, le simple vol à l’étalage. Il serait trop long de faire la liste exhaustive de toutes celles et ceux qui nous gouvernent et qui ont été pris la main dans le sac.

Nous avons donc choisi quelques exemples parmi les plus grands voleurs :

  • 2011, l’ancien président Jacques Chirac est reconnu coupable de détournement de fonds et d’abus de confiance par le tribunal correctionnel de Paris, et condamné à deux ans de prison avec sursis. Montant du vol ? 30 millions de francs, soit 4.836.774,20 euros. Il ne verra bien entendu jamais l’intérieur d’une prison.
  • 2016, Christine Lagarde est condamnée par la Cour de justice de la République pour «négligence» pour l’attribution de 405 millions d’euros d’argent public dans l’affaire du Crédit lyonnais de Bernard Tapie. Elle risquait un an de prison. Mais elle est tout simplement dispensée de peine, même si reconnue coupable, en vertu de sa “personnalité” et de sa “réputation internationale”.
  • 2018, Jérôme Cahuzac est condamné en appel à deux ans de prison ferme et deux ans avec sursis, 300.000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité. Il bénéficie d’un aménagement de peine en bracelet électronique. Il ne le portera qu’un an. Au moins 3,5 millions d’euros ont été cachés.
  • 2022, neuf parlementaires ou ex-parlementaires sont épinglés par le parquet national financier pour des frais de mandat non-éligibles. Comprendre par là : ils ont volé de l’argent public. Montant des vols ? Entre 6.707 euros et 47.299 euros par parlementaire. Des peines de prison ont-elles été prononcées ? Non bien entendu, ils n’ont eu qu’à rembourser benoîtement les sommes pour éviter des poursuites judiciaires pour détournement de fonds publics. Rendre un Yop : 2 mois de prison. Rendre 47.000€ : pas de prison. Basique. Simple.
  • 2024, Nicolas Sarkozy est condamné à un an de prison ferme, aménagé sous la forme de bracelet électronique. Son bracelet est finalement retiré après seulement 3 mois.
  • Cerise sur le gâteau une affaire révélée le 26 mars dernier par Le Canard Enchainé : le Ministère de l’Économie a «effacé 320 millions d’euros» de pénalités infligées au groupe Bolloré. En effet, le milliardaire d’extrême droite était visé par un redressement fiscal de sa société Vivendi, à hauteur de 2,4 milliards d’euros. Une affaire qui remontait à 2004 : le milliardaire avait menti sur une énorme transaction pour esquiver les impôts.Non seulement Bolloré aurait dû être poursuivi et lourdement puni depuis 20 ans pour cette affaire de fraude fiscale XXL et ne l’a pas été, mais en plus le gouvernement est intervenu pour lui éviter de payer un centime ! Alors même qu’on parle sans cesse de «réduire la dette» et de «fraude sociale».

Si vous n’avez pas envie de descendre dans la rue le 10 septembre après cette lecture, c’est que vous êtes vous-même soit un nanti, soit un larbin.


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