Carnaval obscène à Granville : des allocataires du RSA défilent devant patrons et élus comme sur un podium de foire


Novlangue libérale : humilier les pauvres est un «programme innovant de retour à l’emploi»


À Granville, des allocataires du RSA défilent devant des élus et des patrons.

Charles Booth, l’un des premiers sociologues anglais, au 19è siècle, disait : “Les riches ont tiré sur les pauvres un rideau sur lequel ils ont peint des monstres”. Aujourd’hui, ils s’amusent même à les mettre en scène et à les faire défiler sur un podium comme des bêtes de foire.

La mise en scène de la précarité pour amuser les bourgeois

La scène a eu lieu jeudi 18 septembre à Granville, dans la Manche. Ouest-France explique dans un article paru le 22 septembre que «ce show était l’aboutissement d’une opération de quatre mois pour découvrir des secteurs en tension et apprendre à se vendre». Alors que dans le pays des millions de personnes manifestaient le même jour pour renverser Macron et son monde, pour que les travailleurs et travailleuses puissent avoir des conditions de vie et de travail dignes, ne soient plus soumis au chantage constant de la privation d’emploi, le directeur général de France Travail, lui s’estimait «satisfait» de ce spectacle obscène.

«Apprendre à se vendre», puisque dans le mode de production capitaliste, votre existence est réduite à l’état de marchandise. Vous ne valez que le prix de votre force de travail. Le journal La Manche Libre évoque même un «programme innovant de retour à l’emploi». Un sens de la formule typique de la novlangue managériale.

Ouest-France précise que le défilé avait «tous les ingrédients d’un vrai show : invités triés sur le volet, mise en scène coordonnée par Emmanuelle Polle et Victor Duclos de la Cie Le Leurre, musique d’ambiance samplée par DJ Sainte Chanèle». On se demande combien a pu coûter une telle mascarade, un crachat à la face de personnes touchant 646,52 € par mois et qu’on accuse de profiter du système. «Les recruteurs n’ont pas boudé leur plaisir» apprend-on. On voit en effet les patrons se marrer et prendre des photos des pauvres qui défilent en bleus de travail et blouses customisées.

On est bien content pour eux. En effet, «ce show d’une quarantaine de minutes a été chaleureusement applaudi par un public composé de chefs d’entreprise, d’élus, de travailleurs sociaux». Ils ne font donc même pas semblant, il ne s’agissait bien que d’un spectacle divertissant, une mise en scène amusante de la précarité afin de divertir la bourgeoisie locale en mal de sensation forte. «Et puis si elles ont été capables de suivre une formation de quelques mois, ça m’intéresse car on ne leur a pas vendu du rêve. Et elles ont découvert la réalité du marché de l’emploi» explique même Sandrine Guérin, directrice de 3 agences d’intérim locales.

Ces mots puant le mépris de classe, le contentement de soi et le paternalisme bourgeois résument bien l’état d’esprit des capitalistes et leur vision des plus précaires : des fainéants incapables de trouver du travail parce qu’ils ne le veulent pas vraiment, parce qu’ils seraient trop «gourmands» et refuseraient de se soumettre à des conditions de travail indignes en échange d’un salaire misérable mais qu’il faut bien accepter parce qu’il n’y aurait pas d’autre alternative. La réalité du marché de l’emploi ? On se demande ce que cette dame peut y connaître. Toujours faire reposer sur les privé-es d’emploi la responsabilité de leur chômage, voilà une technique usée jusqu’à la corde.

Le RSA, travail forcé déguisé

Le RSA n’est aujourd’hui que du travail forcé déguisé. En effet, depuis la réforme entrée en vigueur le 1er janvier 2025, 1,8 millions de personnes doivent justifier de 15h d’activité hebdomadaire ou perdre leur filet de sécurité. «Accompagnement rénové» est, ici encore, une formule issue de la novlangue technocrate qu’on traduit plutôt par travail forcé, sans contrat de travail, sans cotisation, sans droit, et moins payé que le SMIC horaire.

Le RSA, c’est déjà l’aumône. 646,52€ versés aux personnes sans emploi ni ressources, pour éviter de sombrer dans l’extrême pauvreté. Il faut être le plus déconnecté des politiques (ou le plus retors des capitalistes) pour affirmer que des êtres humains «profitent» de quoi que ce soit avec 600 euros par mois. On rappelle que le seuil de pauvreté est fixé à 1216 euros par mois, et qu’un tiers des personnes pouvant bénéficier du RSA ne le demande pas (par manque d’information, par honte ou par complexité des démarches).

Cette loi de 2025, qui vise officiellement à remettre les chômeurs longue durée au travail et à faire des «économies», est une provocation alors que, dans le même temps, l’État français verse 270 milliards d’euros par an d’aides publiques aux entreprises sans aucune contrepartie. Qui mérite ici d’être qualifié d’assisté ?

La privation d’emploi, une conséquence du capitalisme

Le chômage de masse est créé lui-même par le capital au fur et à mesure que celui-ci grandit : c’est une conséquence inhérente à ce mode de production. L’armée de réserve que constituent les travailleurs sans emploi permet une plus grande concurrence entre ces derniers et in fine des salaires plus bas. Il s’agit également d’isoler et d’individualiser au maximum les travailleurs et les travailleuses pour briser toute solidarité et toute velléité d’organisation et de lutte pour leurs intérêts.

Le capital a besoin d’une main d’œuvre la plus précaire possible. Et pour ce faire, il utilise une rhétorique ancienne, celle de la stigmatisation du pauvre. Ces derniers ne seraient que des bons à rien, des fainéants, biberonnés d’argent public. Alors que les milliards d’argent public offerts au patronat nous montrent que cette définition est surtout celle des bourgeois.

Le discours de l’assistanat est une rhétorique politique qui sert tout simplement les intérêts de l’État et des exploiteurs. Si les pauvres sont pauvres, c’est de leur faute, pas de la faute d’un système qui les broie et qui a intérêt à les laisser dans la pauvreté. Et qui aujourd’hui s’amuse à les faire défiler sur un podium.

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