Cellule de luxe, réception chez Macron, visite de Darmanin, gardes du corps personnels au sein de la prison, manifestation de vieux riches et soutien médiatique. La République des privilèges : comment les puissants se déclarent au-dessus des lois

Ce mardi 21 octobre, le malfrat Nicolas Sarkozy faisait ses entrées à la prison de la Santé. C’est la première fois qu’un chef d’État européen se retrouve derrière les barreaux. Condamné à cinq ans de réclusion pour association de malfaiteurs dans l’affaire des financements libyens pour sa campagne de 2007, il est condamné aux côtés de cinq autres prévenus, dont ses anciens acolytes Brice Hortefeux et Claude Guéant. Il ne passera certainement que quelques semaines en prison, le temps pour la Cour d’appel de Paris de statuer sur la demande de mise en liberté déposée après l’incarcération.
Nicolas Sarkozy est pourtant l’homme du tout sécuritaire, qui réclamait la tolérance zéro envers les délinquants. Il a mis en place la politique du chiffre au sein de la police et de la gendarmerie, faisant exploser le nombre de gardes à vue et d’incarcérations. Il a en outre mis en place les peines planchers pour les récidivistes.
Rappelons que Sarkozy avait déjà été condamné à 3 ans de prison dans l’affaire Bismuth, puis à un an de prison dans l’affaire Bygmalion. Il devrait donc être le premier satisfait de la fermeté de la justice, tout comme ces bourgeois qui squattent habituellement les plateaux télés pour hurler au laxisme de la justice, et qui aujourd’hui hurlent à sa trop grande fermeté. Ne leur en déplaise, l’exécution provisoire n’est pas l’exception, elle est la norme. 57% des peines de prison ferme sont assorties d’une exécution immédiate. Ce taux grimpe à 86% pour les comparutions immédiates. Mais les puissants ne supportent pas qu’on touche à l’un des leurs.
Le rouleau-compresseur médiatique et politique pour imposer un discours victimaire
Depuis des années, le rouleau-compresseur médiatique tente d’imposer un récit : celui d’un pauvre homme innocent, harcelé par une justice et des magistrats «rouges» qui veulent sa peau. Ces dernières semaines, ce récit propagé par les médias des milliardaires s’est intensifié. Tous les éditocrates bourgeois et femmes ou hommes politiques véreux se sont ligués autour d’un des leurs, qu’on a osé attaquer. Ils se pensent au-dessus des lois. Qu’un membre de leur clan soit condamné, même si sa culpabilité est évidente, leur paraît impensable. C’est un crime de lèse-majesté.
Ils reprennent une tactique savamment orchestrée par Sarkozy lui-même, qui se présente depuis 12 ans comme la victime d’un complot organisé par Mediapart, le parquet financier, et tous ces fameux «juges rouges». Passant sous silence le fait que cinq autres personnes ont été condamnées à ses côtés, prenant garde de ne jamais rappeler qu’il s’agit d’une association de malfaiteurs avec un dictateur ayant commis des actes terroristes, qu’il y a eu 12 ans d’enquête approfondie et plusieurs recours, mobilisant de nombreux magistrats.
Rappeler de simples éléments du dossier à la population serait remettre en question l’image intouchable de Sarkozy. Le tribunal reconnaît notamment le pacte de corruption avec le terroriste Abdallah Senoussi, beau-frère de Kadhafi, commanditaire de l’attentat contre le vol DC 10 de la compagnie UTA au Niger, en 1989, qui a tué 170 personnes. En tant que ministre de l’Intérieur, Sarkozy avait promis la levée du mandat d’arrêt contre le terroriste, en échange du soutien financier de sa campagne. Des familles de victimes s’étaient d’ailleurs portées partie civile dans le procès de Sarkozy, mais ces dernières n’ont jamais été invitées sur les plateaux télé. Leur parole n’existe tout simplement pas.
Sur ces plateaux en revanche, toute la classe bourgeoise se met en branle pour défendre l’un des leurs. Ses avocats sont partout, criant à l’injustice, au “jour funeste pour la France” que constitue cette incarcération. Sur Europe 1, l’homme d’affaires Jean-Claude Darmon expliquait très bien : «C’est un choc pour des gens comme nous ! Nous ne sommes pas faits pour la prison, nous ne sommes pas des animaux, c’est terrible». Le sous-entendu est clair : la prison, c’est pour les animaux, donc les personnes non blanches, les pauvres, les sans-papiers. Pas pour les puissants.
Ses défenseurs tournent en boucle sur l’absence de preuves, se permettant de refaire le procès. Dans cette histoire, tout le monde devient juge. Pourtant, les juges – véritables ceux-ci – ont acté qu’il y avait bien eu transfert d’argent depuis la Libye, et que le trésorier de Sarkozy, Eric Woerth, était bien au courant. La note révélée par Mediapart, où est inscrite noir sur blanc l’accord du régime libyen pour un financement de 50 millions d’euros, a bien été jugée irrecevable par la présidente du tribunal le 25 septembre. Néanmoins, la justice avait déjà tranché deux fois sur ce document, à la demande même de Nicolas Sarkozy, et affirmé qu’il ne s’agissait ni d’un faux intellectuel, ni d’un faux matériel. Mais ça, personne n’en parle.
Une chose est sûre, on n’en aura jamais autant appris sur le système carcéral français que ces derniers jours. Les médias, si peu enclins à partager les chiffres sur la surpopulation carcérale (le taux d’occupation moyen des prisons françaises est à plus de 130% et certaines montent à 200%) ou sur le taux de suicide dans les prisons (6 fois plus élevé qu’à l’extérieur), nous offrent une foule de détails. Ils nous apprennent qu’il s’est lancé dans l’écriture de son nouveau livre en prison, qu’il aurait amené la biographie de Jésus et le Comte de Monte-Cristo avec lui… On connaîtra bientôt le contenu de ses repas et l’heure où il va aux toilettes.
Le Parisien, le journal de Bernard Arnault – qui faisait partie des 55 prestigieux invités de l’ancien Président au Fouquet’s le soir de son élection de 2007 – révélait carrément dans ses pages le plan de la cellule du Président. Celle-ci est la copie – en plus salubre – d’un logement du CROUS où vivent des centaines de milliers d’étudiant·es en France. Mais cela semble déchaîner les passions des Bourgeois, scandalisés qu’on inflige un tel traitement à l’un des leurs.
Ici, plus personne pour dire que la prison serait un Club Med. Il bénéficie pourtant de conditions infiniment plus confortables qu’un détenu lambda, bénéficiant d’une cellule individuelle avec télévision, ligne de téléphone fixe personnelle pour continuer ses activités de malfrat, une salle de bain individuelle. Il se trouve dans l’aile VIP de la prison, avec une cour de promenade séparée et un accès privilégié aux activités sportives, jeux de société, lecture… Et il dispose même de ses gardes du corps à plein temps dans des cellules voisines !
À l’heure actuelle, plus de 4.500 détenus, eux, dorment à même le sol dans des cellules à 3 ou 4 personnes, dans des conditions insalubres, parfois infestées de cafards. On se doute que celle de Sarkozy sera d’une propreté immaculée. Mafieux parmi les mafieux, il était défendu par Patrick Balkany sur RTL, qui lui donnait ses petits conseils pour “survivre” à la prison : ne pas porter de bleu marine et ne pas avoir d’eau de Cologne. Sans rire.
La mise en scène de Nicolas Sarkozy
Le condamné lui-même se met en scène dans cette séquence, et la journée de son incarcération était orchestrée au millimètre. Dans la Tribune du dimanche, il expliquait qu’il allait écrire un livre s’inspirant du comte de Monte-Cristo et des lettres écrites par le capitaine Dreyfus… Convoquer l’imaginaire de ces deux illustres – l’un réel, l’autre fictif – condamnés à tort, Sarkozy n’a honte de rien. Le matin, il publiait un communiqué, affirmant “ce n’est pas un ancien président de la République que l’on enferme ce matin, c’est un innocent”, parlant de “chemin de croix”. Son fils chéri Louis Sarkozy avait également organisé un rassemblement à la Villa Montmorency, ce repère de riches parasites, où les Sarkozy ont un hôtel particulier.
Des dizaines de vieux bourgeois fanatisés y hurlaient leur amour comme à une rockstar. Des t-shirts avec le visage du multirécidiviste étaient même distribués, sur lesquels on pouvait lire : «la fin de l’histoire n’est pas écrite» et des hurlements de retraités du 16ème arrondissement contre «la gauche» et «la justice» retentissaient. L’ancien président, lui, marchait au pas, le visage grave, Carla au bras, au son de la Marseillaise, au milieu de la foule en délire. Une véritable scène de télé-réalité à l’américaine. Et ironiquement, les médias nationaux ont beaucoup plus couvert cette pathétique manif de soutien que le procès en lui-même !
La fin de la séparation des pouvoirs
L’un des fondements de la démocratie est la séparation des trois pouvoirs exécutif, législatif, et judiciaire. Mais cela n’est pas un problème dans la France de Macron. On apprenait que Nicolas Sarkozy était reçu à l’Élysée par le président vendredi 17 octobre, quelques jours avant son incarcération, pendant plus d’une heure. Recevoir un multirécidiviste, cela ne gêne pas le président, ces gens sont des mafieux. Emmanuel Macron a également profité de l’incarcération pour proposer un débat sur l’exécution provisoire, afin d’assurer à ses petits copains de pouvoir éviter la case prison à l’avenir.
Gérald Darmanin, ministre de la justice et violeur, a exprimé sans honte sa «profonde tristesse» face à l’incarcération de celui qu’il considère comme son mentor – avoir un multi-condamné pour mentor quand on est ministre de la Justice, ça ne s’invente pas – et qu’il rendrait visite au repris de justice en prison, lors d’une interview à France Inter le 20 octobre. Il a même déclaré : «Je ne peux pas être insensible à la détresse d’un homme». L’indépendance des juges, le respect d’une décision de justice ? Il n’en a que faire : ce qui prime, c’est la loyauté entre les puissants. Et tant pis si cela représente une forme de pression sur les magistrats. Le Syndicat de la magistrature s’est d’ailleurs inquiété de cette annonce, déplorant que «toutes les personnes détenues méritent l’attention du garde des Sceaux, y compris celles qui ne sont pas ses amies».
Nicolas Sarkozy n’est pas un martyr : c’est un bandit, un mafieux embourbé dans d’innombrables affaires. Un mafieux parmi les mafieux qui nous gouvernent.
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