Une série de décrets renforce le pouvoir des préfets


Droit de vie ou de mort sur les associations, nomination des hauts fonctionnaires à l’éducation ou à la jeunesse, droit de dérogation sans limite : comment les préfets deviennent des petits seigneurs locaux au pouvoir sans partage.


Une casquette de préfet, signe d'un pouvoir sans partage en macronie.

Le préfet, une institution archaïque et autoritaire

Les préfets et préfètes, en France, constituent une anomalie autoritaire en Europe. Créée en 1800 par un Napoléon Bonaparte qui se rêve Empereur romain, cette institution archaïque n’a jamais été remise en cause depuis. Pire, ses prérogatives n’ont fait qu’augmenter. Ils sont censés incarner l’État et sont le reflet de la brutale centralisation que Bonaparte voulait imposer afin d’asseoir son autorité sur tout le pays, puisqu’il les nommait lui-même. Seuls maîtres à bord sur le territoire, ce sont des mini-empereurs qui n’ont aucun compte à rendre et ne disposent d’aucun mandat populaire, puisqu’ils ne sont pas élus.

Aujourd’hui, ils sont 127 préfets et 479 sous-préfets, nommés par décret du président de la République sur proposition du premier ministre et du ministre de l’Intérieur. Une fonction qui nous coûte cher, puisque le préfet peut toucher jusqu’à 12.000 euros par mois, selon son ancienneté et sa fonction. Ce statut sert surtout à récompenser les collaborateurs zélés et fidèles, une sorte de pantouflage dans le public. Ainsi, depuis 2024, 55 nouveaux préfets ont été nommés. Parmi eux, on retrouve l’ex‑directeur de cabinet de Gérald Darmanin Alexandre Brugère, nommé préfet des Hauts‑de‑Seine, Fanny Anor, ex‑dircab’ adjointe de Gabriel Attal, nommée dans l’Aisne, l’ancien collaborateur de Gabriel Attal, Étienne Stoskopf, dans le Val‑de‑Marne…

Les préfets, organisateurs de la répression et soutiens de l’extrême-droite

Dans nos territoires, ce sont les préfets qui ont le pouvoir d’autoriser (ou non) les manifestations. Par le plus grand des hasards, ce sont toujours celles qui remettent en cause le pouvoir qui sont interdites. Laurent Nunez, ancien préfet de police de Paris aujourd’hui ministre de l’Intérieur, justifiait en 2023 d’interdire les manifestations de soutien à la Palestine et d’autoriser celle des néonazis.

En 2022, son prédécesseur de sinistre mémoire Didier Lallement interdisait la manifestation déposée par les syndicats de l’éducation nationale, mais autorisait celles de l’extrême-droite : une première, où 200 néo-nazis ont pu défiler bras tendus en pleine capitale, et la deuxième, le soir même. Il s’agissait d’une marche «identitaire» lors de laquelle des néo-nazis ont tabassé un passant en toute impunité, sous le regard complaisant de gendarmes. C’est ce même Didier Lallement qui organisait la répression sanglante des Gilets Jaunes. Depuis l’élection de Macron, il n’y a jamais eu autant de manifestations interdites à Paris.

À Nantes, c’est Fabrice Rigoulet-Roze qui, depuis 2023, impose une certaine idée de l’ordre. Arrivé en janvier 2023, il a réprimé dès le départ avec une extrême violence le mouvement de défense des retraites : dès la première manifestation, il donnait l’ordre à ses policiers de charger au démarrage, l’avant de la grande manifestation syndicale.

La même année, ce préfet a laissé des néo-nazis semer la terreur dans la petite commune de Saint-Brévin, à l’ouest de Nantes. Début 2025, Rigoulet-Roze organisait des «opérations places nette» à Nantes, qui consistaient essentiellement à déployer des centaines de policiers pour contrôler des passants non-blancs. En parallèle, il a mis en œuvre des fiches illégales visant les personnes sans-papier. En juin, il bouclait la moitié de la ville pour permettre le gala du milliardaire d’extrême-droite Pierre-Édouard Stérin.

Un pouvoir renforcé cet automne

Ces petits seigneurs locaux viennent discrètement de voir leurs prérogatives encore élargies. Fin juillet, alors que le mouvement du 10 septembre commençait à faire parler de lui et que la rentrée sociale s’annonçait chaude, trois décrets sont publiés discrètement, à la hâte, sans aucune concertation. Ces décrets mettent entre les mains des préfets un pouvoir toujours plus autoritaire et sans partage. Les préfets ont les mains libres pour imposer la politique autoritaire, d’une austérité brutale, du couple Macron-Lecornu.

Concrètement, ils prennent le contrôle de l’organisation de l’action territoriale. Premièrement, ils obtiennent le pouvoir d’attribuer ou non les financements publics à une association. Autrement dit, c’est un droit de vie ou de mort sur les associations. Un moyen de faire taire les voix dissidentes en les prenant par le portefeuille. «C’est un changement de régime administratif déguisé» expliquait une travailleuse de la culture à Révolution permanente dans un article publié le 24 octobre, et d’ajouter : «Quand un seul représentant de l’État peut décider quelles associations ont le droit d’exister ou non, c’est toute une partie de la vie démocratique locale qui se retrouve sous tutelle».

Le contrat d’engagement républicain avait déjà mis à mal la liberté d’association, qui est pourtant liberté constitutionnelle. Ce «contrat» imposé en 2022 dans la lignée de la loi séparatisme, qui permettait d’engager la dissolution de toute organisation jugée «antirépublicaine», ou de couper les financement des associations qui ne se soumettent pas à une notion floue de la «République».

Avec ce prétendu «séparatisme», tout est allé très vite. Le Comité Contre l’Islamophobie en France est dissous, puis la Coordination contre le Racisme et l’Islamophobie, accusée «d’appel à la haine» dès 2021. Début 2022 c’est notre média, Nantes Révoltée, qui était visé par une procédure de dissolution car il s’en «prend aux forces de l’ordre» selon Gérald Darmanin. À Poitiers en septembre 2022, c’est la très modérée organisation Alternatiba qui se retrouve visée par le Préfet Jean-Marie Girier pour séparatisme, suite à d’inoffensifs appels à la désobéissance civile non-violente.

«C’est un tri idéologique qui s’installe, derrière un vocabulaire administratif. Les associations écolos, sociales ou culturelles qui dérangent sont dans le viseur. On nous impose la loyauté au gouvernement comme condition d’existence» explique encore la travailleuse. Léo, militant CGT et agent de bibliothèque, évoque de son côté la censure qui existe déjà dans le milieu. «Les collectifs qui portaient des projets critiques hésitent à se lancer. On pèse chaque mot dans un dossier de subvention, on se demande si le préfet ne va pas y voir une atteinte aux valeurs républicaines. C’est un moyen de répression énorme».

Autre nouveauté, les préfets donnent à présent leur avis sur la nomination des hauts fonctionnaires, notamment pour le directeur académique des services de l’éducation nationale et le chef du service départemental à la jeunesse, à l’engagement et aux sports. Une ingérence insupportable qui montre la volonté de contrôle total de Macron sur tous les territoires. Enfin, «l’extension du droit de dérogation préfectoral à toutes les matières, pour les normes arrêtées par l’administration de l’État» leur donne un pouvoir sur à peu près tous les sujets dans la région qu’ils administrent.

L’ONG Transparency International France alertait de son côté le 2 août sur «des risques accrus de corruption». Cette dernière pointe que les préfets sont déjà très souvent englués dans des affaires de corruption, citant par exemple les Uber files (le géant des VTC tentant d’imposer une dérégulation du marché) ou l’affaire Nestlé Waters dans laquelle des préfets et Élisabeth Borne étaient plongés jusqu’au cou.

En octobre 2024, Alain Gardère, ex-préfet de police de Marseille, était condamné à deux ans de prison pour corruption et trafic d’influence. Précédemment, l’ancien préfet de Nantes était mis en cause car son épouse travaillait pour la multinationale Vinci, alors que lui-même venait de déclarer le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes comme étant «d’utilité publique»… Et devinez qui devait construire cet aéroport ? Vinci, qui recruta ensuite ce monsieur comme directeur de sa filiale autoroutière.


C’est donc à ces gens-là, qui ne connaissent que le pantouflage et la corruption, que la macronie vient de donner un pouvoir sans partage.


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