#MeTooPolice : à Bobigny, un viol filmé commis par deux policiers en plein tribunal

Un policier dans un couloir de garde-à-vue : un lieu où des hommes peuvent violer en toute impunité.

Le 19 juin dernier, Disclose en partenariat avec L’œil du 20h de France 2 révélait le résultat d’un an d’enquête des journalistes Leïla Miñano, Sarah Benichou et Sophie Boutboul sur les violences sexuelles commises par les forces de l’ordre. Résultat : elles avaient recensé au moins 429 victimes, et 215 agresseurs. Précision d’importance, il ne s’agit là bien sûr que des affaires pour lesquelles les victimes ont porté plainte.

Or, quand on sait qu’une petite minorité de victimes de violences sexistes et sexuelles dépose plainte, encore moins lorsque l’agresseur est un représentant de l’autorité publique, on ne peut que penser aux milliers de victimes anonymes. Hier, on apprenait que deux de ces prédateurs sexuels avaient de nouveau fait une victime au tribunal de Bobigny, dans la nuit du 28 au 29 octobre.

Un viol filmé en plein Tribunal

Dans la nuit du 28 au 29 octobre, une jeune femme «déférée au parquet de Bobigny pour des faits de soustraction par un parent à ses obligations légales» d’après le communiqué du procureur Eric Mathais, était victime de viols par deux agents de police. Le préfet de police de Paris Patrice Faure a déclaré sur X qu’ils avaient été suspendus et placés en garde à vue. L’IGPN a été saisie. Le ministre de l’Intérieur et ancien préfet de police Laurent Nunez a déclaré qu’il s’agissait là «d’agissements extraordinairement graves et inacceptables». Il ajoute que si l’enquête «conclut que des faits criminels ont été commis, et que l’honneur des policiers a été sali, il va de soi que des sanctions seront prises». Comble de l’horreur, on apprend ce 31 octobre que l’un des deux policiers a filmé la scène et sauvegardé la vidéo sur son téléphone. Leur garde à vue a été prolongée.

Mais on connaît la musique : l’enquête sera bâclée, les preuves risquent d’être effacées, la parole de la victime remise en question, et les policiers ne verront sans doute pas l’ombre d’une cellule. La machine est déjà en branle : une source proche du dossier a affirmé que les deux agents incriminés avaient écrit leur propre rapport administratif pour exposer leur version des faits. Les deux hommes reconnaissent les relations sexuelles, mais assurent «qu’elles étaient consenties». C’est sûr que lorsque l’on passe la nuit dans une cellule insalubre au sous-sol d’un tribunal en attendant une comparution immédiate, dans un état de stress extrême, la première chose que l’on souhaite c’est avoir des relations sexuelles avec les policiers qui nous enferment.

La machine médiatique leur trouve déjà des excuses : «Les deux fonctionnaires placés en garde à vue sont âgés de 23 et 35 ans, et ne seraient pas dans le métier depuis longtemp», peut-on lire dans Le Parisien, qui donne la parole à des avocats pour qui «il y a un vrai défaut d’encadrement au dépôt de Bobigny […] Les policiers sont souvent très jeunes». Parce que quand on est jeune, on est plus prompt à violer ? Quelle étude peut étayer ces accusations très graves envers la jeunesse ?

La presse évoque également la vétusté du tribunal, le 2ème plus important après celui de Paris. On peut lire dans les colonnes du Monde qu’il est «réputé perclus de problèmes (d’organisation, d’effectifs, de vétusté, etc.) mais doit bénéficier des prochains travaux d’extension du palais de justice». On cherche le rapport entre la vétusté d’un tribunal et le fait que des hommes, représentants de l’ordre qui plus est, violent une femme.

Les violences sexuelles de la police, une impunité organisée

Dans aucun de ces articles on ne mentionne que les violences sexuelles au sein de la police font système et qu’elles sont utilisées comme arme de maintien de l’ordre, comme le révélait l’enquête de Disclose et l’Oeil du 20h. Et qu’elles sont largement autorisées, puisque jamais punies.

En 2010 à Marseille, un policier se rend au domicile d’Anna pour une fausse reconstitution. Il place alors son arme de service sur la table, puis la viole. La jeune femme se retrouve enceinte, et le policier la contraint à avorter. Comme toujours, lors du procès, il invoque que les relations étaient consenties. La justice conclut à un non-lieu. Il est toujours en poste.

En 2015 à Drancy dans le 93, Adam se retrouve plaqué sur la banquette arrière d’un véhicule de police par deux agents, pendant qu’un troisième le viole avec sa matraque. «J’ai dit non, j’ai crié, j’ai pleuré» raconte Adam. «Tu te souviendras de nous» lui répondent les policiers municipaux. Il ressort de l’hôpital avec 10 jours d’ITT dus à une lésion anale. Placé en garde à vue pour viol, l’agent municipal voit la qualification ramenée à de simples «violences volontaires». Il travaille toujours à ce jour. En 2017 à Aulnay-sous-Bois en région parisienne, Théo est violé à coups de matraque métallique en pleine rue, et est aujourd’hui handicapé à vie. Les policiers n’écopent que de sursis.

En 2018 au sous-sol du tribunal de Toulon, Claude M., brigadier-chef de 55 ans, impose une fellation à Angélique, 36 ans, effondrée en apprenant sa prochaine incarcération. Elle le supplie de pouvoir appeler sa fille pour pouvoir la prévenir. Il l’emmène dans les toilettes, lui assène : «Fais la gicler cette salope, après tu pourras téléphoner», rajoutant à la violence de l’enfermement, la violence de l’agression.

La liste de ces agressions sexuelles est encore longue, et révèle un système que personne ne veut remettre en question. À l’heure actuelle, il est aberrant de constater qu’aucune loi n’interdit factuellement à un policier ou gendarme d’avoir des relations sexuelles avec une personne placée en garde à vue ou en détention. En sachant que ces moments représentent en soi un acte de privation de liberté souvent humiliant et traumatisant, y ajouter le vécu de violences sexuelles rend l’expérience insoutenable. Ces violences sont en outre presque systématiquement couvertes par les collègues des agents incriminés. L’enquête révèle que “tous les policiers ont profité de leur statut et du climat d’impunité qui règne au sein de l’institution”.

Le ministère de l’Intérieur choisit de laisser faire : «Pas la moindre circulaire ou note interne consacrée au sujet» n’a jamais été envoyée, révèle encore Disclose dans son enquête parue en juin, qui explique que la seule réponse du ministère a été «une enquête est ouverte dès que l’administration a connaissance d’une plainte pour des faits de violences sexuelles». Aucune enquête sérieuse n’a jamais été réalisée sur les violences sexistes et sexuelles au sein de la police. «La direction générale de la police n’a enregistré que 63 condamnations de fonctionnaires pour des faits allant du harcèlement sexuel au viol au cours des dix dernières années». 63.

Depuis 2021, seuls 18 policiers ont été sanctionnés pour des faits de violences sexuelles. Seulement 10 expulsés de l’institution ou mis à la retraite. En 2023, 46 gendarmes ont été sanctionnés. Combien ont été radiés ? Seulement 3. Il s’agit bien d’une impunité générale organisée. Disclose rappelle également un fait capital : les sanctions envers les forces de l’ordre sont validées par les plus hautes instances. «Le préfet examine les blâmes, les sanctions contre des sous-officiers sont étudiées par la direction générale de la police nationale, quant aux décisions prises pour des officiers, elles remontent jusqu’au ministère de l’intérieur. Enfin, quand le dossier implique un commissaire de police, c’est à la Présidence de la République de trancher».

Mais qu’attendre d’un président de la République qui adule les violeurs comme Gérard Depardieu et les fait entrer au gouvernement comme Gérald Darmanin ?

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