État policier : depuis 2018, la police a tiré plus de 10.000 munitions sur la population chaque année

Un policier vise des Gilets Jaunes avec son LBD : chaque années ce sont des milliers de munitions qui sont tirées sur la population.

Le 5 novembre, Médiapart dévoilait des images prises à l’intérieur du dispositif de gendarmes déployé à Sainte-Soline le 25 mars 2023. Sur les images de caméras-piétons des militaires, on peut voir et entendre la volonté de tuer, de traumatiser, de briser mentalement et psychiquement. On les entend s’exclamer : «T’en crèves deux-trois, ça calme les autres», «Je compte plus les mecs qu’on a éborgné !», «Un vrai kiff !» «faut les tuer», ou encore, en criant de joie après un tir : «il l’a mis en pleine tête».

Le 7 novembre, Le Monde interviewait le sociologue Sébastian Roché pour réagir à ces images. Ce spécialiste de la police est loin d’être un militant, il a même longtemps travaillé au sein de l’institution policière. Il enseignait depuis 1993 à l’École nationale supérieure de la Police et il a travaillé au Ministère de l’Intérieur sous les ordres de Bernard Cazeneuve. Mais pour avoir émis de légers doutes sur les violences de masses commises par les policiers contre les Gilets jaunes, il est désormais blacklisté du petit monde des chercheurs qui conseillent les autorités.

Dans cette interview, Sébastian Roché s’interroge sur les «3200 gendarmes, neuf hélicoptères, quatre véhicules blindés, quatre engins lanceurs d’eau et un peloton de 20 quads [qui] ont été mobilisés pour disperser une manifestation qui ne menaçait aucun bâtiment». Il estime qu’il y a une «transformation de la culture professionnelle des forces de l’ordre : elles ont épousé une logique d’escalade et de confrontation». C’est un doux euphémisme, quand des agents armés jusqu’aux dents par l’État tuent et mutilent à la chaîne, et exultent lorsqu’ils tirent dans la tête de manifestant·es.

Surtout, Sébastien Roché lâche ce chiffre : «Depuis 2018, il n’y a jamais eu, en France, moins de 10.000 munitions de LBD et de grenades explosives tirées chaque année par la police et par la gendarmerie, alors qu’il y en avait moins de 500 par an avant 2015». 2018, c’est l’année des Gilets jaunes. Et c’est une bascule irréversible dans un État policier, déjà bien installé les années précédentes.

Cette année-là, le ministère de l’Intérieur avait reconnu le chiffre de 19.071 balles en caoutchouc tirées par la police sur la population. Les plus naïfs pouvaient se dire qu’un tel niveau de sauvagerie était «exceptionnel», lié à un contexte de révolte. Mais non. Quand on habitue la police à tirer sur la foule, sa violence ne redescend jamais. Les agents ont incorporé ce niveau de sauvagerie comme étant normal. Après les Gilets jaunes, le niveau de brutalité et le nombre de tirs n’a jamais vraiment baissé. France 3, dans une enquête parue en 2023, révélait que «chaque année, ce sont environ entre 15.000 et 20.000 tirs de ce type qui sont effectués par les forces de l’ordre».

Cela fait en moyenne une cinquantaine de balles en caoutchouc potentiellement mortelles tirées chaque jour de l’année, sans exception. Et ce chiffre vertigineux ne compte pas les grenades lacrymogènes, utilisées en bien plus grand nombre encore. Rien qu’en deux heures à Sainte-Soline le 25 mars 2023 : 5000 grenades tirées dans les prés. Le 1er décembre sur les Champs Élysées contre les Gilets Jaunes : plus de 10.000 lacrymogènes en quelques heures. Lors de l’expulsion de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes au printemps 2018 : 13.000 grenades. Lors du mouvement Bloquons tout du 10 septembre dernier, aucun chiffre officiel n’a été publié, mais il doit avoisiner cet ordre de grandeur, tant la répression a été systématique contre chaque blocage, chaque regroupement, chaque action, partout en France. La violence de masse, militarisée, est devenue la norme.

Le gouvernement l’encourage, par des achats toujours plus colossaux de munitions, qui permettent aux forces de l’ordre de disposer de réserves illimitées. En novembre 2023, le gouvernement lançait une énorme commande de grenades pour le maintien de l’ordre : un budget de plus de 78 millions d’euros, le plus important que nous ayons connu jusqu’ici. En 2021 déjà, Macron avait lancé un achat de 170.000 balles en caoutchouc pour les LBD et 90 blindés militaires pour la gendarmerie.

En mars 2016, le gouvernement socialiste avait déjà commandé un nombre «exceptionnel» de «munitions de défense» de calibre 40 mm, pour un montant de 5,57 millions d’euros, et une quantité estimée à 115.000 balles. Ces ordres de grandeur sont tellement élevés qu’on peut supposer que le chiffre officiel d’environ 15.000 utilisations de balles en caoutchouc chaque année est sous-évalué. Ces sont littéralement des dizaines de milliers de tirs qui ont lieu tous les ans, et les policiers ne déclarent pas tous leurs tirs. Ces derniers mois, le Ministère de l’Intérieur a même fait l’acquisition de nouvelles grenades explosives encore plus puissantes que celle qui ont déjà pulvérisé des mains, fabriquées au Brésil.

Le gouvernement est en guerre contre la population, et la France est un épicentre de la militarisation de la répression, qui exporte son savoir-faire partout dans le monde. Le Salon Milipol, grande foire internationale aux armes policières organisée à Paris à partir du 18 novembre, en est l’exemple.


Pour aller plus loin, vous pouvez lire :

  • La domination policière : Une violence industrielle, Mathieu Rigouste, 2012.

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