Le ministère de l’Intérieur chasse Elena Mistrello, une artiste italienne ayant pris position contre l’extrême droite, et la menace de l’enfermer en CRA

«Je constate une dérive arbitraire croissante de la part des forces de police, qui peuvent décider sans explication de vous renvoyer chez vous simplement parce que vous êtes ‘indésirables’ créant ainsi un système de contrôle et de surveillance basé non pas sur des faits, mais sur les opinions et les fréquentations des personnes» explique la dessinatrice.
L’atmosphère imposée par les autorités françaises devient de plus en plus irrespirable ces derniers temps, étouffant toujours un peu plus la liberté d’expression. Après la plainte déposée par Laurent Nunez contre l’humoriste Pierre-Emmanuel Barré pour une blague sur la police, celle contre des députés LFI pour avoir dit que la police tue, voilà qu’une artiste italienne, Elena Mistrello, se voit interdire le territoire français sans motif et menacer de placement en centre de rétention administrative (CRA).
Décidément, le ministère de l’Intérieur a choisi son combat : celui de faire taire toute voix dissidente, quitte à utiliser des méthodes fascistes. En principe, les citoyens européens ne sont pas censés être placés en centre de rétention sauf s’ils constituent une «menace imminente à l’ordre public». Voyons quelle menace pourrait constituer une illustratrice de bande dessinée.
Elena Mistrello était invitée le week-end du 22 et 23 novembre au festival BD Colomiers, afin de dédicacer sa bande dessinée intitulée Syndrome Italie, une œuvre primée réalisée avec Tiziana Francesca Vaccaro. Elles y racontent l’histoire de femmes d’Europe de l’Est – notamment Roumanie, Ukraine et Moldavie – ayant migré en Italie. Elle n’a cependant pas pu s’y rendre : elle a été interceptée par la police à sa sortie de l’avion. En cause : elle serait une «menace grave pour l’ordre public français». Elle explique dans un communiqué : «Dès que je descends de l’avion, je trouve trois agents de la Police nationale qui m’attendent. Ils m’arrêtent et me mettent au courant du fait que je ne peux pas mettre les pieds en France, qu’ils ne savent pas exactement pourquoi, mais qu’il existe un signalement du ministère de l’Intérieur concernant le danger que je représenterais […] ils ont reçu l’ordre de me rapatrier et si je refuse, ‘ce sera pire pour moi’, ils seront obligés de m’arrêter et, probablement, de me transférer dans un CRA».
Elena Mistrello ne reçoit aucune justification à cette décision, le seul motif auquel elle peut penser, c’est sa participation, en juin 2023, aux journées d’assemblées, de concerts et de manifestations publiques organisées à Paris en hommage à Clément Méric, assassiné par des nervis d’extrême droite dix ans plus tôt. Prenons la mesure du problème : la personne que l’on menace d’enfermer en CRA doit par elle-même deviner quelle pourrait être la raison de cet acharnement.
Mais les autorités n’en sont pas à leur coup d’essai. Déjà en 2019, un jeune étudiant italien arrêté sur la terrasse d’un bar à Paris s’était vu infliger une expulsion et une interdiction de territoire de trois ans par le préfet de Paris. Il avait été placé en centre de rétention, représentant une soi-disant «menace imminente». Son crime ? Avoir participé à des manifestations contre le racisme et pour l’accueil des réfugiés. Il n’avait pourtant jamais été interpelé dans ce cadre, mais il a été considéré par la police politique comme «une personne dangereuse».
En mai de la même année, une jeune femme enceinte de deux mois, vivant en France depuis 17 ans, était placée en centre de rétention et menacée d’expulsion. De nationalité espagnole, elle avait été arrêtée à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière le 1er mai 2019. Après le G7, trois allemands soupçonnés de se rendre à Biarritz étaient jetés en prison sans avoir commis aucune infraction. Une fois sorti de prison, l’un d’entre eux était placé immédiatement en rétention pour être expulsé vers l’Allemagne. Ainsi, les CRA sont déjà un moyen d’enfermer les militants de nationalité étrangère indésirables.
Elena Mistrello explique la gravité de ce qu’il s’est passé : «Si, d’une part, je pense que la dérive autoritaire et répressive des États européens à l’encontre des militants et des activistes politiques est désormais évidente pour tous, je constate une dérive arbitraire croissante de la part des forces de police, qui peuvent décider sans explication de vous renvoyer chez vous simplement parce que vous êtes ‘indésirables’, créant ainsi un système de contrôle et de surveillance basé non pas sur des faits, mais sur les opinions et les fréquentations des personnes». On notera cette sombre ironie : l’artiste vient d’Italie, pays gouverné par l’extrême droite, et subit une répression en mettant le pied sur le sol français. On l’a vu ces derniers mois, la situation politique française est déjà bien plus sombre que celle dans des pays dirigés par des néofascistes.
Prenons la mesure du caractère profondément autoritaire et antidémocratique de cette expulsion : ne se basant sur aucun motif valable (si tant est qu’on puisse penser qu’une expulsion d’un territoire puisse avoir un quelconque «motif valable» – non), le ministère de l’Intérieur décide d’envoyer la police menacer et renvoyer manu militari une personne non pas pour un acte criminel, mais pour des prises de position. Devrons-nous attendre d’en arriver au point de voir l’antifascisme considéré comme terroriste comme aux États-Unis ? Attendrons-nous de voir tou·tes les opposant·es politiques mis·es en prison ou expulsé·es pour réagir ?
Ce qui vient de se passer est un pur moment fasciste. Sans réaction de notre part, ils ne feront que se multiplier.
Elena a dessiné et raconté la situation sur sa page Instagram par ici.
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