Uniformes à l’hôpital, treillis à l’école : l’État endoctrine vos enfants


Les grands moyens sont mis en œuvre pour manipuler les enfants, leur imposer le goût de l’uniforme, de l’ordre, de l’armée et de la police. Cette propagande typique des régimes autoritaires n’est malheureusement pas nouvelle. Mais en France, elle se renforce d’année en année, et prend désormais des allures très inquiétantes.


En haut : le rapport gouvernemental pour "acculturer les jeunes à la défense".
En bas : des policiers donnent des cadeaux de Noël à des enfants dans un hôpital.

L’armée sur les bancs de l’école

Un livret particulièrement choquant vient d’être diffusé par le Ministère de l’Éducation nationale. Il s’intitule : «Acculturer les jeunes à la défense». Le terme «acculturer» est en lui même affolant. Le préfixe «a» indique «l’absence». On parlait jadis pour désigner «l’acculturation» de familles immigrées, dans le dictionnaire, de «modifier la culture par l’assimilation». Il s’agit donc de détruire la culture et l’imaginaire des élèves pour les formater dans le moule militariste.

Ce guide s’adresse «à la communauté éducative», ce qui représente des centaines de milliers d’enseignant·es et d’encadrant·es, pour développer le «lien Armées-Jeunesse», «diffuser l’esprit de défense» et faire découvrir «la diversité des métiers et des parcours associés». L’école publique devient donc une succursale de recrutement de l’armée, une anti-chambre de la guerre. Le 10 mars 2025, le ministre Jean-Noël Barrot déclarait déjà que «Le réarmement des esprits commence à l’école».

Cette stratégie de bourrage de crâne militariste dès l’enfance n’est pas nouvelle. Avec l’instauration de l’école gratuite, laïque et obligatoire sous la Troisième République la salle de classe est devenue un vecteur crucial pour embrigader les jeunes générations vers la guerre.

À partir de 1882, la République organise des «bataillons scolaires» : les écoliers doivent s’entraîner à faire la guerre sous l’autorité de l’instituteur, en défilant au pas et en s’entraînant au tir. Pendant la Première Guerre mondiale, les enseignant·es qui ne sont pas mobilisé·es doivent «faire preuve d’un zèle patriotique» dans leurs exercices pédagogiques.

Un siècle plus tard, l’armée fait son retour dans les salles de classe. En 2024, une commission de l’Assemblée nationale mettait en place une «Mission d’information sur le rôle de l’éducation et de la culture dans la défense nationale» pour inviter les profs à «consolider l’esprit de défense». Depuis 2016, l’État organise des «classes défense et sécurité globale» : un partenariat entre le ministère des Armées et celui de l’Éducation. Des militaires parrainent une classe pour renforcer la «vitalité du lien armées-jeunesse» à travers des activités.

L’Armée parle désormais «d’augmenter la surface de contact» avec la jeunesse pour rendre le métier de soldat «plus attractif». Cyniquement, le mot clef martelé est celui «d’engagement», mais seulement militaire, car l’engagement social et politique des lycéen·nes est toujours plus durement réprimé. On ne tolère plus qu’une jeunesse au garde à vous, obéissante et docile, ou en garde à vue.

Des policiers au chevet des enfants hospitalisés

Il fut un temps où l’on envoyait des clowns pour faire rire les enfants hospitalisés. Aujourd’hui, ce sont des policiers armés, cagoulés et en uniforme, avec des motos qui débarquent à l’hôpital pour les petits malades. Pas sûr que les enfants aient gagné au change.

Le 11 décembre, le quotidien nantais Presse Océan écrit que «des policiers de Loire-Atlantique et des CRS ont participé à l’opération ’17 sourires’ qui consiste à offrir des cadeaux aux enfants hospitalisés du CHU de Nantes». Émouvant. Cet article, qui est en fait un reportage publicitaire, poursuit : «Les enfants hospitalisés du CHU de Nantes ont été gâtés. Ils ont pu essayer une moto ou l’équipement portés par les fonctionnaires de police». Super chanceux ! Ces enfants souffrent de maladies graves, on leur donne des uniformes et des gyrophares. Sur les photos de presse, les agents arborent fièrement un écusson CRS. Il y a quelques jours, un membre des CRS tirait justement à balle réelle en pleine rue, à Nantes, pour essayer d’abattre un motard.

Cette opération a lieu tous les ans. À Noël 2023 «une trentaine d’enfants hospitalisés en pédiatrie, oncologie, soins intensifs ou post-urgences ont reçu la visite de policiers de Nantes et Saint-Nazaire» écrivait Ouest-France. Les enfants ont eu la «chance» de recevoir des cadeaux de la BRI, des CRS qui font régner la violence dans les rues de Nantes et même de la Police aux Frontières, qui traque les étrangers et met des familles en centre de rétention. Des amis du genre humain.

Cette opération n’est pas spécifique à Nantes, elle a lieu sur tout le territoire. À Paris, la BRAV-M, cette unité de police ultra-violente, responsables d’innombrables blessures et de propos racistes, avait débarqué déguisée en père Noël, certains agents hissés sur un véhicule blindé, d’autres en tenues de Batman ou Spiderman. Le Parisien écrivait que des «représentants de l’AP-HP» étaient «un peu tendus». Forcément, les manifestations de soignants sont régulièrement gazées et matraquées par ces mêmes policiers qui viennent se faire de la publicité dans leur hôpital au moment de Noël.

La santé publique est mourante. Les enfants malades sont insuffisamment pris en charge à cause du manque de moyens. Le gouvernement vient encore de faire des milliards d’euros de coupes budgétaires pour les hôpitaux. Mais la police, qui croule sous l’argent public, profite des fêtes pour déployer sa communication avec l’aide de médias aux ordres, qui diffusent des images pleines d’émotions : la police aime les enfants et leur offre des doudous.

Quelle autre profession bénéficie de telles opérations médiatiques pour redorer son image ? Si les policiers veulent aider l’hôpital et les jeunes patients, pourquoi ne le font-ils pas sur leur temps libre, sans uniforme et surtout sans photographes ? Pourquoi ne refusent-ils pas de réprimer les soignant·es lors des manifestations réclamant plus de moyens pour l’hôpital ?

Une opération contre-insurrectionnelle

En 2022, lors d’une de ces opérations, la direction de la police nantaise assumait dans Ouest-France : «Cela fait partie de la volonté de rapprochement entre la police et la population. Nous en profitons pour faire découvrir nos métiers et notre matériel». Les autorités revendiquent donc à demi-mot l’instrumentalisation de petits hospitalisés pour promouvoir un métier de plus en plus contesté.

La police et l’armée dans les écoles, dans les hôpitaux, dans les activités périscolaires : ce cauchemar ne peut avoir lieu sans la collaboration active de soignant·es, de profs, d’animateurs et animatrices. Tout est fait pour endoctriner les enfants dès le plus jeune âge.

La répression physique de plus en plus insoutenable et dénoncée par la population ne peut s’imposer qu’en préparant les esprits, en rendant légitime la violence de la police. C’est une opération de contre-insurrection : une forme de propagande théorisée par l’État français depuis la Guerre d’Algérie.

Cette doctrine politique et militaire vise à obtenir le soutien de la population dans le cadre d’un conflit entre les autorités et les forces contestataires. Il s’agit de mener des actions de propagande en parallèle des actions de répression, pour obtenir l’adhésion des habitant·es et donc isoler les opposant·es. Cette doctrine de contre-insurrection a été utilisée lors des guerres coloniales puis exportée dans de nombreuses dictatures. En Algérie, d’un côté l’armée française faisait des cadeaux ou prétendait apporter de la protection et des soins, de l’autre elle raflait, torturait et tuait les indépendantistes.

Derrière ces livrets «pédagogiques», ces «loisirs» ou ces «dons de cadeaux aux enfants malades», il s’agit d’habituer dès le plus jeune âge la population aux pratiques policières et militaires et à la présence d’hommes armés dans des lieux d’éducation et de soin, mais aussi de présenter les forces de répression et les soldats sous un jour sympathique. Demain, tous au pas !

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