Décembre 1910 : braquage d’un guichet de marchandises par le « Groupe des vengeurs révolutionnaires » à Łódź, en Pologne


Histoire : quand 400 bandits anarchistes faisaient trembler la bourgeoisie


En décembre 1910, le "Groupe des vengeurs révolutionnaires" attaque un train de marchandises.

«Seul celui qui est libre par sa propre volonté verra le jour de la liberté. Seule la violence permettra d’atteindre le Royaume des Cieux. Ouvriers et paysans ! Quel est le sens de nos vies ?» Ces paroles lyriques sont celles de Józef Piątek, militant anarchiste, extraits de «l’Appel des vengeurs révolutionnaires». Au début des années 1910, une partie de la Pologne sous emprise russe va subir les assauts répétés d’une bande d’Avengers libertaires qui va terroriser et semer le désordre dans les rangs de la bourgeoisie locale. Retour sur cette fantastique histoire.

Le 7 décembre 1910, plusieurs individus armés font irruption au niveau du guichet de marchandises de Pabianice, dans la province de Łódź. Le guichet se situe dans l’enceinte de la gare construite en 1902. Ils subtilisent environ 7000 roubles, une véritable fortune pour l’époque. Le petit groupe taquin et farceur laisse un «reçu» du montant volé sur les lieux du crime, qui indique les 6975 roubles dérobés. Une signature et un pied de nez qui va mettre en colère les agents de la police politique du Tsar, l’Okhrana.

C’est l’acte fondateur d’une organisation de bandits anarchistes polonais qui a exercé une forte pression sur la bourgeoisie et les troupes Tsaristes de 1910 à 1914. Le groupe va compter jusqu’à 400 membres, pratiquer et représenter ce que le mouvement anarchiste qualifie de courant illégaliste. En France, on connaît aussi de fameux groupes libertaires qui pratiquent le banditisme social comme les «travailleurs de la nuit» ou «la bande à Bonnot». Le militant et cambrioleur anarchiste français Alexandre Marius Jacob inspirera même le célèbre personnage d’Arsène Lupin.

La naissance du groupe des «Vengeurs Révolutionnaires» – Rewolucjonistów Mścicieli en polonais – est le résultat de diverses défaites du mouvement ouvrier, notamment le répression sanglante du soulèvement des travailleurs contre les Tsaristes en juin 1905 et de l’échec de la résistance au lock-out patronal et des grèves de 1907 à Łódź. La ville est alors le principal foyer révolutionnaire dans cette partie de la Pologne sous contrôle Russe. Ses membres vont se spécialiser dans les braquages et les attaques de diligences. Le Rewolucjonistów Mścicieli forme des Unités de combat. Il pratique la lutte armée et l’expropriation économique pour atteindre ses horizons révolutionnaires. Les Vengeurs prônent l’autonomie politique et culturelle, désirent le partage des richesses nationales entre tous les travailleurs. Ils sont proches des cercles anarcho-communistes et anarcho-syndicalistes.

L’organisation est horizontale, c’est à dire sans chef ni hiérarchie. Une seule exception : afin d’être plus efficace, un commandement est élu pour la durée d’un vol, d’une extorsion ou un cambriolage, mais doit démissionner dès le terme de l’opération. On décide des actions et de la politique à mener lors de grandes Assemblée générales. Le groupe se définit lui-même comme pratiquant le terrorisme «politique et économique» et vise à «lutter pour la liberté de la classe ouvrière face au joug bourgeois et étatique». En effet, dans une guerre sociale asymétrique, face à un ordre impérial et bourgeois, une partie du mouvement anarchiste polonais n’hésite pas à revendiquer son action comme relevant du terrorisme contre les dominants.

Sur fond de répression des partis de masse et du mouvement syndicaliste, ce banditisme social va trouver un grand écho et une forte sympathie parmi la classe populaire. Le magot des vols est redistribué aux militants selon leurs besoins et à leurs familles, ainsi qu’aux victimes de la répression et à la cause socialiste. Il sert aussi à l’achat d’armes et de munitions pour programmer d’autres actions. Les bandits anarchistes vont planifier une série d’attaques qui va défrayer la chronique au delà des frontières de la Pologne. On écrit des articles de presse au Royaume-Uni et aux États-Unis pour décrire les activités de la bande de polonais.

Le 29 mars 1911, l’organisation attaque un train en provenance de Radomsko. Masqués et armés de fusils Browning et Mauser, les Vengeurs immobilisent le train en actionnant le frein à main. Ils menacent le caissier avec une arme, et saisissent les chèques de paie des cheminots pour 11.000 roubles. Ils ont pour habitude de laisser sur les lieux du braquage des proclamations et des tracts politiques. Les enquêteurs et la police du Tsar retrouvent un mot rédigé en polonais : «Les chèques de paie ont été confisqués par le Groupe des Vengeurs Révolutionnaires», ainsi que deux sceaux, l’un rouge et l’autre noir, portant l’inscription «Groupe des Vengeurs Révolutionnaires». Des témoignages rapportent qu’un drapeau rouge et noir fut également déployé lors de l’opération.

Le 5 août 1911, l’organisation vole 1.500 roubles à un guichetier, à proximité de la gare de Złoty Potok. Le 7 juillet 1911, elle organise un cambriolage chez le propriétaire d’usine Genin à Ruda Pabianicka. Le butin : 4.200 roubles.

Le 12 décembre 1911, nouveau vol dans un train près de Rogów pour un jackpot de 17.252 roubles.

Le 6 mars 1912, nouvelle attaque d’un bureau de poste à Rędziny puis le 31 mars 1912, un vol à main armée dans les bureaux municipaux d’Olsztyn, pour la somme de 1.049 roubles.

Le 12 août 1912, il y a l’assaut contre la mairie de Miedzyno où 349 roubles et 43 formulaires de passeport non libellés sont volés. En Juin 1913 des attaques contre de riches marchands aux alentours de Varsovie ont lieu…

Pour éviter la répression, les Vengeurs s’organisent en petit noyau ce qui limite les arrestations de masse en cas de délations. Les nouvelles recrues sont structurées par groupes de cinq, ce qui, en pratique, évite au maximum les risques de dénonciation. Parallèlement, une «Organisation Technique» assure le renseignement et l’armement du groupe. Malgré des primes offertes pour leur capture par le gouvernement qui veut démanteler l’organisation, les Vengeurs Révolutionnaires sont craints. Ils n’hésitent pas à abattre des policiers, des agents de l’Okhrana, des aristocrates et des bourgeois qui peuvent se trouver sur leur chemin.

Un des exemples les plus marquants de la peur qu’inspirent les Rewolucjonistów Mścicieli à leurs adversaires, c’est la date du premier anniversaire de la mort du policier Dłużewski au printemps 1912 à Łódź. Le groupe anarchiste déclare qu’il tuera tous les policiers qu’il croiserait dans la rue ce jour-là. Résultat : Les flics sont effrayés par les révolutionnaires, et 75% des agents ne se présentent pas au travail le jour de ces commémorations. Il faut dire qu’un an plus tôt, l’agent était assassiné par les Vengeurs sur la base de révélations d’un informateur lié à l’organisation anarchiste.

Finalement, après une longue salve de braquages héroïques sur plusieurs années, les Vengeurs Révolutionnaires sont défaits. En novembre 1913, un membre important du groupe, Michał Zakrzewski, est arrêté par la police politique du Tsar. Captif et soumis à la torture, il va dénoncer ses camarades, ce qui va donner lieu a une nouvelle vague d’arrestations qui va sonner le glas du banditisme social en Pologne. 51 personnes sont interpellées et transférées vers Moscou par les autorités du Tsar. La répression va s’abattre sur l’organisation, et lors de procès expéditifs, la grande majorité d’entre eux seront condamnés à mort ou déportés en Sibérie.

Un siècle plus tard, leur épopée a été effacée par l’histoire dominante et la raconter est une manière de leur faire justice.

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