Le parquet national antiterroriste saisi pour la première fois dans une affaire d’attentat masculiniste, après plusieurs attaques du même type ces derniers mois

On apprenait le 2 juillet qu’un attentat avait été déjoué par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), près d’un lycée de Saint-Étienne. Timothy G., 18 ans, a été arrêté le 27 juin dernier en possession de 2 couteaux dans son sac. Il est suspecté d’avoir voulu attaquer et tuer des femmes, notamment une de ses camarades qui aurait accusé un ami de viol. Le Parquet national antiterroriste a ouvert une information judiciaire.
C’est la première fois que ce parquet se saisit d’une affaire de masculinisme. La preuve d’une prise de conscience du danger grandissant de cette branche du fascisme ? Aux États-Unis, déjà, le National Threat Assessment Center (NTAC) des services secrets américains estime que «l’extrémisme misogyne» est une menace grandissante. En Angleterre également, le MI5 a signalé la mouvance comme pouvant être considérée comme terroriste.
Le masculinisme incel
Le jeune homme interpellé, étudiant en classe préparatoire, se revendique de la “mouvance incel”, pour célibataire involontaire. Sur ses réseaux sociaux, il revendiquait un prochain passage à l’acte et glorifiait les meurtres d’autres tueurs de cette mouvance. Développé sur les réseaux sociaux en quelques années, le courant incel promeut la haine des femmes, qui seraient la cause de leur célibat et des maux de la société. Il s’agit d’une branche du masculinisme, lui-même inscrit dans le courant néofasciste, avec comme grand représentants des personnages comme Andrew Tate ou Donald Trump, les “bros” – pour brother en anglais.
Ils revendiquent la nécessité pour les hommes de reviriliser la société et de remettre les femmes à leur juste place, c’est-à-dire inférieure. «Ce sont des hommes, majoritairement jeunes et hétérosexuels, qui se croient incapables d’établir des relations et accusent souvent la société – et les femmes en particulier – de leur manque d’expériences sexuelles ou amoureuses» explique le Center for Countering Digital Hate (CCDH), le Centre contre la haine en ligne. Ce centre a étudié plus d’un million de messages publiés entre janvier 2021 et juillet 2022 sur leurs réseaux. Résultat : une mention de viol toutes les 29 minutes. “Leur idée de base, c’est que l’épanouissement sexuel est un droit humain et qu’en tant qu’hommes qui ne l’obtiennent pas, ils sont en quelque sorte privés et réprimés par les femmes” explique Tim Wilson, directeur du Centre de recherche sur le terrorisme et la violence politique à l’Université de St Andrews.
Les attentats masculinistes en hausse depuis 10 ans à travers le monde
Cet attentat déjoué intervient à la suite d’une série qui ne fait que s’allonger : C’est le quatrième épisode criminel relevant du masculinisme en trois mois en France.
À Nantes, le 24 avril, dans un lycée privé nantais réputé pour son calme : Justin P., âgé de 15 ans, habillé en noir et cagoulé, poignarde à mort une de ses camarades de classe, Lorène. La victime était l’une des seules élèves qui parlait à cet adolescent isolé, et qui était bienveillante avec lui. Ce dernier s’est acharné sur elle, en lui portant plus de 50 coups de couteau. Lors de son attaque, il a aussi blessé trois autres élèves avant d’être maîtrisé par le personnel. Lors de son arrestation, il a demandé à un policier de lui «tirer une balle dans la tête».
Justin P. était un admirateur d’Hitler, selon plusieurs témoignages. Une lycéenne expliquait juste après les faits : «À plusieurs moments il a eu des propos nazis». Dans le Figaro, un de ses camarades de classe déclare «Il était réservé. Il partageait des idées bizarres, des idées nazies». Le jour de l’attaque, il portait un casque comportant lui aussi des inscriptions liées au Troisième Reich selon le journal Presse Océan.
À Dijon, le 7 juin, un lycéen de 17 ans était arrêté et placé en garde à vue pour tentative d’assassinat. Il avait annoncé son projet de tuer une autre lycéenne, et un couteau avait été retrouvé à son domicile dans une pochette cartonnée d’écolier, ce qui semblait confirmer un passage à l’acte imminent. Dans un message publié sur les réseaux sociaux, ce lycéen disait vouloir se venger car la lycéenne en question avait accusé un de ses amis d’être un violeur.
Nogent, en Haute Marne, le 10 juin. Quentin, 14 ans, poignarde à mort une surveillante de son lycée, Mélanie. Son profil ressemble à ceux des deux précédents. Ses camarades le décrivent également comme «bizarre», «isolé», «dans son monde» et fasciné par la violence. Il avait frappé un camarade et tenté d’étrangler un autre par le passé. Surtout, Quentin a fait l’objet de «signalements» suite à des saluts nazis. Un élément quasiment passé sous silence dans les médias. Un de ses amis a confié à RMC que Quentin avait pour projet de poignarder quelqu’un avant la fin de l’année, «n’importe quelle surveillante. Et il a visé une femme, Mélanie. Après son interpellation, il n’a exprimé «aucun regret» et a dit vouloir «faire le plus de dégâts ». La justice estime qu’il n’a pas de troubles mentaux, mais apparaît en «perte de repères quant à la valeur de la vie humaine».
Le 10 juin également, c’est en Autriche qu’un jeune de 21 ans a commis une tuerie de masse dans son ancien lycée, emportant 10 élèves avec des armes à feu, avant de se suicider. Il avait aussi préparé une bombe, qu’il n’a pas eu le temps de rendre opérationnelle.
En 2018 Alek Minassian, incel revendiqué, tuait 11 personnes, surtout des femmes, lors d’une attaque au camion-bélier à Toronto, au Canada.
En 2014, un Américain, Elliot Rodger, qui vomissait sa haine de la société et des femmes, tuait six personnes, dont trois femmes en Californie. Il parlait de sa “guerre contre les femmes”. Depuis, il a été élevé au rang de héros par la communauté incel, certains le désignant comme “Saint Elliot”.
Masculinisme et fascisme
L’écart entre les jeunes femmes, qui adhèrent de plus en plus aux idées progressistes, et les jeunes hommes aux idées conservatrices, se creuse : le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes révélait dans son rapport de 2024 que “la société française se divise et se clive de plus en plus sur le sentiment d’égalité […] on observe chez les hommes une adhésion toujours plus forte aux stéréotypes masculinistes”. Ainsi, seuls 34% des hommes entre 25 et 34 ans trouvent anormal qu’un homme ait un salaire plus important qu’une femme à poste égal, contre 78% des femmes de la même tranche d’âge. 40% des hommes de 15 à 24 ans et 39% de 25 à 34 ans.
Ce backlash masculiniste est corrélé à la montée du fascisme, qui véhicule ces idées ultra conservatrices, notamment via des influenceurs sur internet, très suivis par les jeunes hommes. Andrew Tate par exemple, le propagandiste anglais accusé entre autres de trafic d’êtres humains et de viols, déclarait « je pense que les femmes appartiennent aux hommes». En France les influenceurs masculinistes sont légion, comme Alex Hitchens. Ce dernier publiait sur Tiktok des vidéos ultra masculinistes, vous expliquant que vos échecs sont la faute des femmes, avant d’être banni de la plateforme. Il y distillait des conseils comme : «Tu prends le téléphone de ta copine, si elle refuse, c’est une p***, fin de relation».
Convoqué par une commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’impact de TikTok sur la santé mentale des jeunes, il a coupé court en accusant la commission de déformer ses propos. Le youtubeur Stéphane Edouard, lui, vous propose des formations à 195€ pour « savoir se faire respecter » ou comprendre « la logique des femmes ».
De la même façon, le passage à l’acte de plus en plus fréquent de ces jeunes hommes isolés, nihilistes et violents est lié à la montée du fascisme, une idéologie qui glorifie fondamentalement la force brute, la domination et la mort. On le retrouve dans l’absence totale d’empathie témoignée dans les trois cas de Nantes, Dijon et Nogent : un mépris de la vie humaine, en particulier celle de femmes.
Au delà du délire tout répressif qui semble être la seule réponse apportée par le gouvernement – François Bayrou a appelé à interdire la vente de couteaux aux mineurs, Bruno Retailleau, Eric Ciotti ou Brice Hortefeux se sont déchaînés sur «l’ensauvagement», ont réclamé plus «d’autorité», dénoncé «Mai 68» et demandé des portiques de sécurité à l’entrée des lycées – c’est avant tout en luttant contre le fascisme que l’on pourra empêcher les passages à l’acte des masculinistes violents.
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