
En France, il ne fait pas bon se mettre en travers de la route du lobby des marchands d’armes et des génocidaires. Il y a deux semaines, le 21 juin, une armada de policiers cagoulés avaient cerné la Bourse du Travail de Bobigny, en banlieue parisienne, tenté de perquisitionner illégalement le bâtiment syndical et arrêté plusieurs personnes en deux salves. L’objet de cette répression ? Une mobilisation contre le salon du Bourget, l’un des plus grands salons de ventes d’armes du monde. Le bâtiment hébergeait des débats sur l’industrie des armes et le colonialisme.
Devant la Bourse du Travail, des enquêteurs de la police criminelle et des agents armés avaient crevé des ballons colorés. L’État avait déployé ces énormes moyens pour, tenez-vous bien… enquêter sur une «association de malfaiteurs» ! La mobilisation anti-guerre était soupçonnée de vouloir lâcher des ballons de baudruche qui auraient perturbé le vol des avions de guerre. Du grand banditisme. Depuis, l’affaire se dégonfle, si l’on ose dire : les personnes arrêtées ont été relâchées en attendant les suites de cette brillante «enquête».
Visiblement, la police ne s’était pas encore assez ridiculisée. Mardi 1er juillet, elle a arrêté le journaliste Enzo Rabouy après avoir épié ses déplacements. Ce jeune reporter documente depuis des années les mobilisations sociales au plus près du terrain, et produit un travail de journalisme que la plupart des grands médias ne font plus depuis longtemps.
Dans une vidéo diffusée ce jeudi 3 juillet, il raconte en sortant de garde à vue : «Alors que je rentrais de vacance, j’ai à peine eu le temps de poser mes pieds sur le quai de la gare Montparnasse que des policiers en civil m’ont entourés et m’ont menotté». La police a donc localisé le journaliste et enquêté sur ses voyages pour le cueillir par surprise à la sortie du train. Cela ressemble aux enlèvements de journalistes pratiqués par les régimes autoritaires.
Enzo Rabouy poursuit : «Je pensais qu’ils faisaient une erreur et qu’ils recherchaient une autre personne» mais un policier lui montre sa photo sur son téléphone : «J’ai compris que j’étais la cible de leur intervention».
La dizaine de policiers l’emmène menotté en voiture au commissariat. «J’apprends que le motif retenu à mon encontre est celui de ‘dégradation de biens publics avec dissimulation du visage’. Un motif retenu contre moi alors que je faisais simplement mon métier de journaliste. Je couvrais une action militante à proximité du Salon du Bourget, qui visait à dénoncer la participation d’entreprises israéliennes au salon» explique le journaliste. «Ces mêmes entreprises qui participent au génocide à Gaza».
Cette accusation n’a ni queue ni tête, et les policiers et magistrats le savent parfaitement. Si l’on suit cette logique, il faudrait arrêter tous les journalistes qui filment une action militante, une dégradation, ou qui couvrent les conflits armés en les accusant de «complicité». En garde à vue, Enzo Rabouy demande que l’officier qui l’interroge note que le «journalisme n’est pas un crime», comme l’a dit un autre reporter français, Yanis Mhamdi, après avoir été arrêté sur la flottille de la liberté, lors de sa détention illégale en Israël.
Enzo Rabouy raconte avoir passé 24 heures en détention par 40°C, «avec des excréments sur le mur et une absence de dignité»… Tout cela pour être relâché sans aucune poursuite. Un pur coup de pression, digne d’une mafia qui intimide un témoin gênant pour qu’il rase les murs. «Les policiers disent qu’ils ont obéi aux ordres» souligne le jeune homme.
Cela fait deux fois que ce journaliste subit ce type d’intimidation pour avoir fait des images. En janvier, il avait été convoqué au commissariat pour «incitation à la haine»… après avoir filmé devant la cathédrale Notre-Dame de Paris un militant grimper dans un arbre pour y mettre deux drapeaux palestiniens ainsi qu’une pancarte «Open Gaza». Ce que cherche la police, c’est que les actions pour la Palestine et contre les ventes d’armes n’aient aucun écho médiatique, qu’aucune image ne sorte. Enzo Rabouy annonce qu’il va mener une «contre-attaque judiciaire face à ces entraves à la liberté de la presse».
En septembre 2023, le domicile de la journaliste Ariane Lavrilleux était perquisitionné par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), la police politique du gouvernement. La journaliste était emmenée en garde à vue dans leurs locaux pour «compromission du secret de la défense nationale et révélation d’information pouvant conduire à identifier un agent protégé» suite à une enquête publiée par Disclose en novembre 2021 sur une opération militaire française en Égypte, baptisée Sirli. Le média d’investigation avait révélé que le renseignement français avait été utilisé par l’armée égyptienne pour traquer et assassiner des civils.Tout cela par le régime du Maréchal Al-Sissi, dictateur égyptien ami de Macron.
En mai 2019, la journaliste Ariane Chemin, reporter au quotidien Le Monde, était convoquée par les services de renseignement pour son enquête sur l’affaire Benalla. C’est elle qui avait réalisé des articles sur les réseaux mafieux qui entouraient le protégé de Macron. Une section d’enquêteurs spécialisés dans les «atteintes au secret de la défense nationale» avait été mobilisée.
Les marchands d’armes, fauteurs de guerre et autres barbouzes sont décidément très sensibles.
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