L’offensive de l’extrême droite en Bretagne se poursuit

Lorient est une ville portuaire à l’histoire contrastée, ayant à la fois une tradition sociale et ouvrière et une forte implantation militaire. Les luttes sociales y restent puissantes, mais la mairie a basculé à droite. C’est dans cette commune bretonne de 60.000 habitant·es qu’a eu lieu une nouvelle agression commise par l’extrême droite il y a quelques jours.
Le 17 novembre, des tags noirs et blancs apparaissent sur un mur situé devant le bâtiment principal de l’université. On y voit des symboles ouvertement néo-nazis, comme la croix celtique et des références aux groupes nationalistes bretons ayant collaboré avec l’occupant durant la Seconde guerre mondiale. Il y a également le nom du groupe fasciste «Ordre nouveau», mais aussi le cœur royaliste des chouans et un tag ciblant une étudiante trans qui milite dans un syndicat universitaire.
Ces peintures abjectes étaient un piège : dans la nuit, un groupe d’étudiant·es vient repeindre les tags d’extrême droite. Mais les néo-nazis les attendent. Ils s’écrient : «Maintenant, c’est chez nous, on a marqué notre territoire» et foncent sur leurs victimes qui sont rouées de coups de pieds et de poings mais aussi de matraques. Les agresseurs sont équipés de gants coqués et de bombes lacrymogènes. M., 24 ans, qui témoigne auprès de Médiapart, parle d’un «guet-apens» : «Ils s’étaient préparés à ce qu’on vienne là. Ils ne voulaient pas nous lâcher, ils disaient des trucs hyper transphobes et homophobes». Le passage à tabac est interrompu par des voisins, qui sont descendus de chez eux après avoir entendu du bruit. 9 personnes sont blessées.
Trois militant d’extrême droite sont interpelés dans la nuit. Parmi eux, Brieg Luz, le petit chef des fascistes de Lorient. Passé par l’UNI, le syndicat étudiant d’extrême droite dont les membres se sont récemment illustrés pour avoir fait des saluts nazis, il milite auprès de Reconquête et rencontre ensuite Jordan Bardella lorsque ce dernier vient à Lorient. Il a aussi été photographié dans la manifestation du 9 mai, la parade annuelle qui réunit des néo-nazis venus de toute l’Europe à Paris. Sur les images, il tient un drapeau à croix celtique. Plus inquiétant, Brieg Luz est armé et ne le cache même pas. En janvier 2024, il publiait une vidéo montrant un homme armé d’un pistolet tirant sur une affiche du syndicat étudiant l’Union Pirate. Il a aussi été reconnu lors de précédentes agressions commises dans la ville.
De fait, Lorient subit une recrudescence d’attaques fascistes depuis environ trois ans. Parmi les cas les plus graves, le 28 mars 2023 : quatre syndicalistes de Solidaires sortent d’un bar après une manifestation pour les retraites. Ils portent encore leurs chasubles syndicales, lorsqu’un groupe les attaque en pleine rue : gaz lacrymogène «en grande quantité», puis coup de poing au visage. Mais ce n’est pas tout : pour intimider les syndicalistes, un des agresseurs sort une arme à feu et la braque en direction des militant·es avant de partir. Il n’a pas été arrêté.
Quelques semaines plus tard, après l’assassinat de Nahel à Nanterre, des révoltes ont lieu dans toute la France. Le 30 juin au soir, dans les rues de Lorient, une trentaine d’hommes portant des cagoules se déploie près de la base navale où stationnent des fusiliers marins et des commandos marines. Durant une partie de la nuit, ce groupe joue le rôle de milice et attaque tous les jeunes soupçonnés de participer aux émeutes, en les plaquant au sol, les menottant avant de les remettre à la police. Les forces de l’ordre reconnaissent ensuite dans la presse : «On a laissé faire en début de soirée, parce que ça nous a soulagés». Un membre de ce commando va même tranquillement déclarer dans Ouest-France : «On se concertait avec la BAC qui nous disait où ne pas aller. Quant aux émeutiers, dès qu’ils nous voyaient, ils couraient. On courait aussi. Si on les attrapait, on leur mettait des Serflex aux mains». Cette milice jouant un rôle de police parallèle était manifestement composée de militaires, nombreux dans la ville.
Toujours à Lorient, le lieu alternatif Le Concept, un bar-restaurant qui accueille également des débats et des spectacles, est régulièrement pris pour cible. En octobre 2024, des militants d’extrême droite avaient tenté de prendre d’assaut une rencontre du comité local des Soulèvements de la Terre. Le lieu a subi des tags et des bris de vitres à plusieurs reprises.
Malgré ce climat tendu, sur le plan institutionnel, rien ne bouge, bien au contraire. Le maire de droite laisse faire. Pire, après la démission de conseillers municipaux il y a quelques jours, un élu de la majorité LR a décidé de siéger en tant que membre du Rassemblement National, créant ainsi un groupe d’extrême droite au sein même de la mairie. Une droitisation municipale à l’image de la fascisation de LR au niveau national.
Imaginons que, dans une même ville, les milieux antifascistes brandissent des armes à feu en pleine rue, multiplient les passages à tabac et les attaques de lieux, et se constituent en milices de rue en le revendiquant dans la presse : non seulement les médias nationaux ne parleraient que de cela, mais la répression serait totale, probablement avec des moyens antiterroristes. Pourtant, qui est au courant de la situation à Lorient en dehors des habitant·es de la ville ? Pas grand monde.
C’est d’autant plus inquiétant que ces cas ne sont pas isolés : l’offensive fasciste concerne toute la Bretagne. À Brest, au mois de septembre, un commando d’extrême droite avait attaqué un bar en plein centre-ville. La préfecture avait choisi d’interdire et de réprimer… la marche antifasciste organisée suite à cette attaque. Pas moins de 12 agressions ont été répertoriées ces 5 derniers mois à Brest par le média Street Press.
À Saint-Brévin en Loire-Atlantique comme à Callac, dans les Côtes d’Armor, des commandos néo-nazis ont semé la terreur pour empêcher l’implantation de centres d’accueil pour les réfugié·es. À Nantes, en plus d’attaques d’extrême droite commises ces dernières années, les marches pour l’unification de la Bretagne sont infiltrées par des néo-nazis, sans véritable réaction. Et un peu partout, le vote RN monte, alors qu’il était historiquement faible dans toute la région.
La Bretagne, terre de luttes sociales et écologistes, forte d’une culture singulière et de traditions de solidarité bien ancrées, subit un véritable test de la part de l’extrême droite, qui essaie de s’implanter sur tous les fronts. Il n’y a pas si longtemps, celle-ci n’était la bienvenue nulle part, et était chassée par tous les moyens nécessaires. Il est temps de renouer avec certaines coutumes locales.
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