Impunité pour la mort d’un manifestant, Harcèlement policier pour la pose d’un cadenas sur une gendarmerie


25 octobre 2014 : la gendarmerie tue Rémi Fraisse, 21 ans, d’un tir de grenade offensive, à Sivens :


  • Dans les jours qui suivent, le ministère de l’intérieur ment avec aplomb, puis assume la mort du manifestant et soutien ses gendarmes. Les manifestations provoquées par cet assassinat sont réprimées avec une férocité sans précédent : des dizaines de personnes sont blessées et inculpées à Nantes, Toulouse, Paris et ailleurs. Un rapport administratif de la gendarmerie revendique l’usage d’arme de guerre contre les manifestants de Sivens.

Près d’un an plus tard, l’enquête judiciaire sur la mort de Rémi Fraisse est au point mort.

  • Après le drame de Sivens, quelques gendarmeries voient leurs portails cadenassés dans la Creuse. Ces petites actions entraînent un véritable délire sécuritaire. La gendarmerie ouvre d’abord une enquête pour «terrorisme» par «dégradation de bien» et «participation à un mouvement insurrectionnel», rien que ça ! L’État met alors en œuvre des moyens considérable pour arrêter les responsables de cette action symbolique : filatures, analyses digitales et génétiques, géolocalisation, photographies…

Dans son rapport, la gendarmerie va jusqu’à annoncer que, depuis la mort de Rémi Fraisse, la «mouvance anarcho-libertaire d’extrême gauche » est de «plus en plus active dans sa lutte insurrectionnelle». Un manifestant fini par être désigné par les gendarmes. Il comparaîtra le 5 septembre pour « entrave au mouvement militaire […] en vue de nuire à la défense nationale ».

L’affaire est claire : alors que les forces de l’ordre sont de plus en plus armées et protégées par la justice, il faut écraser toujours plus violemment les voix, de plus en plus rares, qui refusent que l’État puisse tuer et mutiler en toute impunité.

Sources :

http://rue89.nouvelobs.com/2015/08/25/millevaches-drole-denquete-retrouver-celui-a-cadenasse-gendarmerie-260905


Lettre de Serge Quadrupani, bombardé chef des anarcho-autonomes par les gendarmes :

https://nantes.indymedia.org/articles/31949


Article de Médiapart :

Les gendarmes croient tenir leurs terroristes sur le plateau de Millevaches!

Par Louise Fessard

Sur le plateau de Millevaches, l’affaire de Tarnac a laissé des traces. Accusé d’avoir cadenassé une gendarmerie du Limousin, un militant creusois de 35 ans sera jugé le 3 septembre pour «entrave au mouvement de personnel ou de matériel militaire». Au départ ouverte pour «terrorisme», l’enquête révèle une surveillance gendarmesque

• Le 3 septembre, Gregory, un militant de 35 ans, comparaîtra devant le tribunal de grande instance de Guéret (Creuse) pour « entrave au mouvement de personnel ou de matériel militaire ».

Rangé parmi les atteintes à la défense nationale, il s’agit d’un délit introduit dans le code pénal le 4 juin 1960 – en pleine guerre d’Algérie – par une ordonnance visant à faciliter « le maintien de l’ordre, la sauvegarde de l’État et la pacification de l’Algérie ».
C’est une blague potache qui vaut au Creusois d’être jugé pour cette infraction rarement poursuivie devant les tribunaux français. Il est accusé d’avoir le 8 novembre 2014 cadenassé le portail de la gendarmerie d’Eymoutiers (Haute-Vienne) lors d’une manifestation pacifique en mémoire du jeune botaniste Rémi Fraisse. Gregory est également poursuivi pour « organisation d’une manifestation non déclarée ». Il encourt jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.
Ce samedi 8 novembre 2014, le plateau de Millevaches est en ébullition après la mort du jeune militant écologiste Rémi Fraisse, tué le 26 octobre par une grenade d’un gendarme à Sivens (Tarn). Environ 80 personnes défilent pacifiquement du centre-bourg d’Eymoutiers jusqu’à la gendarmerie devant laquelle elles s’installent pour pique-niquer. Un participant, le visage dissimulé par sa capuche et un foulard, cadenasse l’entrée de la brigade. Après quoi, il retire tranquillement sa capuche pour rejoindre le pique-nique. Les manifestants accrochent deux banderoles « Désarmons la police » et « A la niche les cognes », maculant symboliquement le macadam de peinture rouge. L’action sera revendiquée par l’Assemblée populaire du plateau de Millevaches dans une vidéo publiée par Rue89 le 10 novembre (l’appel a depuis été retiré mais on peut le retrouver ici).
« Nous, assemblée populaire du plateau de Millevaches, appelons tous et chacun dans les jours qui viennent, à se rendre en masse devant les commissariats, gendarmeries et casernes, afin d’y bloquer par tous les moyens nécessaires, piquets, soudures, cadenas, murets, etc., la sortie des uniformes globalement inutiles, malfaisants et régulièrement assassins qui les peuplent. »
« C’était franchement bon enfant avec des vieux et des jeunes, du genre casse-croûte devant la gendarmerie, se souvient Didier, 58 ans, retraité d’ERDF installé dans un village des alentours depuis trente ans. Il n’y a pas eu d’insulte, ni de cris. Les gendarmes, qui étaient à 200 mètres, n’ont pas eu à intervenir. » Sur le plateau, la mort du jeune militant écologiste a profondément touché. « Ça a créé de la colère “On nous tire comme des lapins !”, car les gens ont réalisé que ça aurait pu être n’importe lequel d’entre nous : des Rémi Fraisse, il y en a plein ici », explique Daniel Denevert, 66 ans, ancien cadre supérieur dans la santé qui s’est installé dans le coin en 2009 à l’âge de la retraite. « Je l’ai vraiment vécu comme une injustice, ajoute de son côté Didier. Face aux jeunes, on n’hésite pas à tirer dans le tas, à faire dix blessés pour en effrayer cent, mais quand des agriculteurs se conduisent mal, on ne leur tire pas au Flashball dans la figure, ni à la grenade ! »
Ce dont ne se doutent alors pas les manifestants, c’est que les militaires, mis en cause dans l’affaire de Sivens, sont sur les dents. Et que des enquêteurs, venus de la section de recherche de Limoges, les photographient soigneusement derrière une fenêtre de la brigade. Car le matin déjà, un gendarme d’Eymoutiers, venant à 6h40 prendre son service, s’est heurté à un portail dûment clos par une chaîne cadenassée. Sur le boîtier interphone de la brigade figurait une affiche fraîchement collée au ton accusatoire : « Ils tuent Rémi Fraisse ». Dans quatre brigades voisines de Corrèze et de Creuse, ses collègues militaires ont eu la même mauvaise surprise.
Ni une ni deux, l’OPJ d’Eymoutiers, qui n’a pas froid aux yeux, se lance dans une enquête de flagrance pour « terrorisme » par « dégradation de bien » et « participation à un mouvement insurrectionnel ». Rien que ça. Présenté comme « faisant partie du premier cercle des responsables du mouvement » du plateau de Millevaches, le poseur de cadenas est rapidement identifié sur les photographies du rassemblement comme un habitant d’un petit village voisin, nommé Gregory. Où l’on retrouve l’«ultra-gauche»
Lorsqu’ils repèrent en plus parmi les pique-niqueurs Julien Coupat et Gabrielle Hallez, les gendarmes pensent tenir leur insurrection. Venus en voisin de Tarnac (Corrèze), les deux militants, soupçonnés d’avoir saboté des lignes de TGV en 2008, sont alors encore sous le coup d’une mise en examen pour terrorisme [la juge d’instruction parisienne en charge du dossier a depuis abandonné cette qualification – ndlr]. Mieux encore, les gendarmes de la cellule de renseignement du Limousin, appelés en renfort, croient reconnaître une autre mise en examen, Aria Thomas, un cadenas à la main.
« Au regard de l’implantation des lieux de commission des faits, de l’appartenance à la mouvance politique (extrême gauche) des individus impliqués et de la sensibilité qui en découlait », les gendarmes de la section de recherche de Limoges sont saisis de l’enquête préliminaire ouverte par le parquet de Guéret. Lequel parquet requalifie les faits en « entrave au mouvement de personnel ou de matériel militaire ». Au total, ce sont 36 manifestants qui sont identifiés sur les clichés et étiquetés « sympathisants de la communauté anarchiste » pour avoir participé à un pique-nique militant devant la gendarmerie. Leurs profils n’ont pourtant rien d’inquiétant : une employée du Conseil départemental, le responsable d’une radio associative du plateau, plusieurs acteurs locaux de l’économie solidaire et sociale (« De Fil en réseau », « Garage associatif et solidaire en Limousin »), le « fils du médecin retraité » d’un village voisin, ainsi qu’une adolescente de 14 ans…
Les enquêteurs ne lésinent pas sur les moyens. À l’issue de la manifestation, ils filent plusieurs manifestants dans Eymoutiers et relèvent leurs plaques d’immatriculation, ainsi que celles des participants à une réunion se déroulant plus tard dans l’après-midi. Le 15 et le 16 novembre 2014, deux autres rassemblements en mémoire de Rémi Fraisse à Tulle et à Saint-Antonin sont placés sous surveillance. Sans résultat. L’analyse des empreintes digitales et génétiques sur les quelques mégots et morceaux d’adhésif ne donne rien non plus, à part un profil inconnu des fichiers ; pas plus que celle du trafic téléphonique des bornes situées à proximité des brigades cadenassées. C’est également en vain qu’une trentaine de quincailleries et de magasins de motos de la région sont interrogés sur les récents acheteurs de chaînes et de cadenas.

À défaut de faits, il faut donc pas mal d’inspiration à la section de recherche de Limoges pour conclure le 18 mai 2015 à une action « d’individus formant la frange radicale de la mouvance anarchiste (…) regroupés autour d’une organisation auto-baptisée “Assemblée Populaire du Plateau de Millevaches” ». Dans ce rapport de synthèse, l’enquêteur voit dans l’Assemblée une « structure clandestine dont la finalité portait sur des opérations de déstabilisation de l’État par des actions violentes ». Et, dans une vision très policière, il la dote de deux théoriciens, Julien Coupat et le romancier Serge Quadruppani.
Voici l’intégralité du passage intitulé « Historique de la mouvance anarchiste du Limousin ».
« Dans les années 90 jusqu’au début des années 2000, des individus affiliés à des mouvements libertaires d’ultra-gauche s’installaient en Haute-Vienne, notamment dans les communes de Nouic, Blond, Cieux et surtout Bussière-Boffy. Ces installations accompagnées d’implantations de yourtes engendraient une profonde discorde avec les élus et la population.
À partir de 2008 et suite à la médiatisation de l’affaire “des inculpés de Tarnac”, de nombreux membres se revendiquant des milieux anarcho-autonomes rejoignaient le “Plateau de Millevaches” situé aux confins des trois départements de la région du Limousin pour se rassembler autour de leur leader charismatique et idéologue, le nommé Julien Coupat (mis en examen et incarcéré dans l’affaire citée supra relative à des actes de terrorisme sur les lignes du TGV français). Ces nouveaux arrivants bénéficiaient alors d’appuis de certains élus locaux et de personnes déjà installées et ralliées à leur cause. Au fil du temps, émergeait alors une structure clandestine dont la finalité portait sur des opérations de déstabilisation de l’État par des actions violentes menées au cours des manifestations d’importance.
Cette communauté anarchiste se regroupait finalement dans un mouvement baptisé “L’assemblée populaire du Plateau de Millevaches”. Son observation permettait de mettre en évidence que celle-ci était régulièrement fréquentée par de nombreux sympathisants belges, suisses, italiens et allemands ainsi que par de jeunes activistes originaires de différentes régions de France. Très méfiants, les membres de cette mouvance adoptaient une attitude de délinquants d’habitude. Au delà de ce mode de vie qui s’apparentait à la théorie prônée par Coupat Julien et Quadruppani Serge (considéré comme l’un des fondateurs), ces individus affichaient une volonté d’agir de manière concertée avec comme seul but de porter atteinte à l’État, à l’autorité de celui-ci et à ses infrastructures. Ils obéissaient ainsi à une doctrine “philosophico-insurrectionnaliste”, tel qu’il était mentionné dans un pamphlet intitulé “L’insurrection qui vient”.
De ce fait, ils s’agrégeaient systématiquement à des mouvements de mécontentement écologistes, altermondialistes, anti-nucléaires, etc., prenant systématiquement pour prétexte certaines initiatives gouvernementales qu’ils baptisaient de “grands projets inutiles et imposés par le gouvernement ou les collectivités territoriales”. La violence à l’égard des forces de l’ordre avec la volonté de porter atteinte à leur intégrité physique apparaissait toujours dans les slogans de ces individus.
La mort de Fraisse Rémi donnait alors une nouvelle tribune à ces activistes et servait d’argument aux fins de mener des actions violentes contre les intérêts de l’État et ses représentants. Ils espéraient ainsi entraîner dans leur sillage les lycéens, écologistes, anticapitalistes, etc., souhaitant défendre cette cause et dénoncer la position du gouvernement. »
« Un copié-collé de l’affaire de Tarnac »
« C’est de la pure connerie, un copié-collé de Tarnac », réagit Daniel Denevert. Librement inspirée des élucubrations policières de l’affaire de Tarnac, cette réécriture de l’histoire du plateau de Millevaches ferait presque sourire ses habitants si elle ne dévoilait pas un degré de surveillance policière inquiétant.
En fait de cellule clandestine, l’Assemblée populaire du plateau de Millevaches est un mouvement informel créé en 2010 au moment du mouvement contre la réforme des retraites. « Nous avions fait des blocages de dépôts de carburant, des taggages, une caisse de solidarité pour les grévistes, explique Daniel Denevert. Depuis, nous avons pris l’habitude de nous réunir à chaque fois qu’un sujet de société national ou local surgit. La liste de diffusion rassemble 150 à 200 personnes avec des parcours et sensibilités très différentes, des écolos, des artisans, des agriculteurs, des libertaires, etc. C’est une terre assez isolée, peu peuplée, avec des habitudes de solidarité quotidienne. L’assemblée fait écho à cet esprit de bienveillance. »
Serge Quadruppani.
Qualifié de fondateur du mouvement, l’écrivain et traducteur de polars Serge Quadruppani, 53 ans, ne s’est en fait installé sur le plateau qu’en 2011, soit un an après sa création. Croyant reconnaître sa voix dans l’appel vidéo diffusé sur Dailymotion, les gendarmes ont demandé à l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) de comparer sa bande-son avec un entretien radiophonique donné par l’écrivain. Encore une fausse piste, l’expert n’a relevé « aucune concordance objective ». « C’est très flatteur d’avoir voulu faire de moi l’idéologue du plateau, j’ai beaucoup de sympathie pour ce qui s’y passe, mais ces gens n’ont pas besoin de moi comme théoricien, s’amuse le romancier libertaire. Quant à la structure clandestine, c’est ridicule, il s’agit d’une assemblée publique à laquelle toute le monde peut participer. »
Entendu en audition libre le 24 mars 2015 à l’issue de l’enquête, le seul suspect Gregory a refusé de répondre aux questions des gendarmes. « J’ai l’impression qu’ils se sont tapés de gros films et ont écrit une belle histoire », dit le jeune homme, investi dans une association agricole. Jointe par téléphone, son avocate Me Martine Blandy, juge l’enquête « disproportionnée dans ses qualificatifs et ses moyens ». « Cette débauche de moyens n’a mené à rien, elle a juste permis de faire du renseignement», estime l’avocate limougeaude.
Michel Lulek, qui dirige un trimestriel local intitulé INPS, ne reconnaît pas non plus sa montagne limousine dans le récit gendarmesque. « Ce n’est pas du tout le campement de babas caricatural décrit, dit ce journaliste. Le plateau a connu des vagues successives d’installations de nouveaux habitants : des agriculteurs normands et hollandais dans les années 1950, le retour à la terre un peu naïf post-1968, la génération “développement local et éducation populaire” de la décentralisation des années 1980 dont je fais partie. Puis dans les années 2000 sont arrivés des gens dans une recherche d’autonomie, catalogués de décroissants qui ont installé quelques yourtes, ainsi que des militants engagés dans des luttes politiques, des squats. Les assemblées reflètent cette diversité, y compris celle des natifs du coin. »
Il rappelle que le mouvement s’est également investi dans des débats très locaux, comme la réforme des communautés de communes et l’avenir du plateau, une région à faible densité que les géographes de la Datar transformeraient volontiers en « usine à bois et plateforme de production d’hydroélectricité pour le reste du pays ». « Réduire ces mobilisations à une groupe d’activistes, dans une grille de lecture policière hiérarchisée, c’est aussi une façon facile de se boucher les oreilles et de ne pas entendre les vraies questions posées sur le déficit de démocratie locale et la reconfiguration d’un territoire », estime Michel Lulek.

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