Un texte publié par Lundi Matin
« Si les machines viennent ici démarrer les travaux, il faut jeter sur elles des cocktails molotov ! Oui, des cocktail molotov sur les machines, plein ! »
25 janvier, il est 14 heures, le couperet tombe. Le juge faisait moins le malin, lorsqu’il était bloqué devant une barricade lors de sa dernière visite automnale sur la ZAD. Aujourd’hui, il est à la maison, dans ce tribunal ultrasécurisé avec son drapeau en néon bleu blanc rouge.
Depuis son perchoir, le juge surjoue. Dans une mise en scène indécente, il ne semble s’adresser qu’aux journalistes présents aux premiers rangs, évitant de croiser les yeux de celles et ceux qu’il s’apprête à jeter à la rue. Les paysans et habitants concernés sont relégués au fond de la salle. Ils peinent à entendre distinctement un jugement pourtant sur le point de bouleverser leurs existences.
D’un revers de la main, le juge balaye la question prioritaire de constitutionalité déposée par les avocats des opposants. Comment s’en étonner ? A l’heure de l’état d’urgence perpétuel, plus aucun gouvernant ne semble vouloir se donner la peine de dissimuler plus longtemps le caractère absolument décoratif de la constitution française.
Il aura donc suffit de quelques mots prononcés pour que onze familles soient déclarés expulsables dans un délai de deux mois. Pour ce qui est des fermes de paysans, et de leurs vaches, elles le sont sans délai. Il reste encore à dépouiller le rendu de plus de 200 pages pour avoir le détail pour chaque personne concernée. Un groupe de soutien aux habitants expulsables a été constitué il y a peu.
On peut affirmer qu’à partir de maintenant sur la ZAD, nous sommes tous des habitants sans droit ni titre. Au sortir du tribunal, un paysan résumait la nouvelle donne par cette formule lapidaire : « Désormais, ce n’est plus une épée de Damoclès que nous avons au dessus de la tête. Aujourd’hui nous avons le couteau sous la gorge ».
L’autre élément décisif du rendu, c’est que le juge a rejeté les demandes d’astreintes journalières de Vinci. C’est la seule bonne nouvelle de la journée, et pas des moindre : l’État ne pourra pas jouer la carte de l’asphyxie financière des habitants et des paysans. La décision du juge l’accule à envoyer les forces de l’ordre expulser physiquement les habitants « historiques » qui refusent de partir.
Nous garderons bien en mémoire le visage et le nom du juge Pierre Gramaize. Lui qui s’enfuit lâchement par une porte dérobée au moment du rendu lorsque les habitants s’approchèrent de la barre pour s’enquérir de la signification et du détail de sa décision inaudible. Lui qui pavoisa ensuite le soir devant la presse allant même jusqu’à déclarer : « Un petit pas pour les habitants de la ZAD, un grand pas pour le droit des expulsions. »
D’un côté il y a l’interprétation du jugement qui nous est servie par le juge et les avocats : celle d’une jursiprudence historique, puisque c’est la première fois que des personnes faisant l’objet d’une procédure d’expropriation obtiennent un délai. De l’autre, il y a notre sentiment : plus aucun obstacle juridique ne semble s’opposer à un démarrage des travaux et à une seconde tentative d’expulsion de la ZAD. Tout porte à croire que l’affrontement est inévitable dans les mois qui viennent.
La fête au village
Cette décision juridique a une déflagration qui vient ébranler les habitants et les paysans dans leur vie quotidienne. Il est possible qu’au terme du délai de deux mois, certains soient acculés à contre-cœur au départ, du fait de la précarité et de l’incertitude dans laquelle les plonge cette situation. Mais, nous savons aussi que beaucoup resteront, mus par la même certitude : pour qu’il y ait un aéroport, il va falloir nous passer sur le corps.
C’est sans doute Marcel, paysan-résistant de la ZAD, qui a le mieux exprimé ce sentiment dans une déclaration à Ouest-France :
« Dans deux mois, nous basculerons dans l’illégalité. Nous serons des squatteurs ! Juridiquement, c’est possible que je doive vendre mes animaux dès aujourd’hui. Ma famille a revanche deux mois pour partir. Là, nous allons prendre le temps de digérer, mais nous continuons à faire notre métier d’éleveur. Et si la force publique vient nous déloger, nous défendrons nos fermes. S’il faut en passer par la bagarre, nous le ferons. Nous lâcherons les vaches, les chiens et les moutons sur les forces de l’ordre. Ce sera la fête au village. »
Ces expulsions, même si elles ne prennent pas immédiatement la forme d’une intervention policière, appellent donc une réaction forte du mouvement. Nous sommes prêts à nous défendre et déjà, comme en 2012, les tracteurs vigilants encerclent l’une des fermes menacées. Mais notre réaction ne peut se laisser enfermer dans l’attente et la défensive. Le lendemain du procès, nous sommes plus de 350 pour l’assemblée de lutte au hangar de la Vacherit.
La foule est compacte, agglutinée, assise sur des chaises ou debout sur les tracteurs. Ici, on fomente la contre-offensive. On y apprend notamment que des groupes continuent de sillonner la France et la région pour informer sur la lutte, ou qu’une discussion publique dans les bourgs alentours se prépare pour contrecarrer la campagne médiatique de dénigrement de la ZAD. Chaque angle d’attaque de l’ennemi fait l’objet d’une riche discussion.
Mais le plus gros morceaux, c’est l’organisation d’une mobilisation d’ampleur pour le 27 Février, qui nous l’espérons, dépassera les frontières. Nous appelons d’ores et déjà tous les comités à se tenir prêt pour ce moment. Dans l’assemblée, on échange sur ce que nous voulons pour ce jour là. Ce ne sont ni les idées ni l’imagination qui manquent, mais il nous faudra encore un peu de temps pour dessiner ensemble, entre toutes les composantes, les contours de ce moment commun. D’autant plus que sa teneur dépendra de la situation. Qu’il est plaisant d’imaginer à la préfecture tous ceux qui doivent s’arracher les cheveux en cherchant à anticiper quelle forme prendra notre « second avertissement ». Il se murmure même dans l’assemblée que d’autres actions surprises sont prévues par les paysans de COPAIN et les occupants de la ZAD pour maintenir la pression d’ici là.
L’autre perspective discutée est celle de la résistance au démarrage éventuel des travaux. Si le début de la construction des échangeurs du barreau routier n’est pas pour ce printemps, un ensemble de travaux dits « préliminaires » (élargissement de route, déportation d’espèces protégées, débroussaillage ou défrichage) peuvent débuter à tout moment. Certains font savoir qu’un travail d’enquête a été entamé pour découvrir les entreprises récemment désignées par le dernier appel d’offre d’AGO-VINCI dont les noms sont tenus secrets. Nombreux attendent impatiemment le retour d’Alain Michelin [1].
La discussion s’emballe et l’assemblée revêt soudain, comme souvent, l’allure d’un théâtre. Mais cette fois pour le meilleur. Un octogénaire se dresse. Son visage, buriné par une longue vie de rires et de larmes, contraste avec ses yeux pétillants, qui scintillent comme ceux d’un enfant. Le silence règne, tout le monde l’écoute. Son petit corps trapu absorbe les regards comme un écran. Il parle d’une voix forte et claire, avec cette légère fêlure qui sourde dans la gorge des anciens. D’un coup, il semble comme possédé, et s’emballe.
« Si les machines viennent ici démarrer les travaux, il faut jeter sur elles des cocktails molotov ! Oui, des cocktail molotov sur les machines, plein ! »
Tonnerre d’applaudissements dans l’assemblée. Le vieux reprend la parole et le silence se fait d’or.
« Et c’est pas que les jeunes qui doivent le faire. C’est tout le monde, même les vieux comme moi, et tous les cheveux gris qui sont là ! »
Éclat de rire général et applaudissements de plus belle. « CHUT ! » clame la foule. Le vieux n’a pas fini. « Et puis, il y a les lance pierre aussi. Moi j’en ai un ! » Il le sort de sa poche et le brandit. Un de ces vieux lance pierre en bois comme celui que le maire de Plogoff avait autour du cou. Les applaudissements et les rires redoublent.
« Le lance-pierre, c’est une arme de destruction massive ! Et on est pas obligé de jeter que des cailloux. Par exemple, on peut jeter des glaçons. »
Le vieil homme plonge sa main dans la poche et en sort un petit cube blanchâtre. « Alors voilà, c’est un glaçon rempli de peinture, la recette est simple. Si on est plusieurs centaines à jeter ça sur les flics, leurs vêtements seront tous souillés, et ils devront les mener à laver. En plus ils auront de la peinture sur la visière et ils n’y verront que dalle. Et ça va leur coûter cher ! » Puis il met le glaçon dans le lance-pierre et tire en l’air en criant de joie.Le glaçon retombe au sol au milieu du cercle. L’assemblée s’égosille de cette prestation. Le ton des mois à venir est donné !
Après l’opération César, c’est le début du deuxième round. Localement la détermination est très forte, mais nous savons que cela ne suffira pas. Les recours juridiques ne semblent plus offrir la moindre possibilité de victoire. Ils ne sont plus désormais qu’une porte de sortie honorable pour l’État lorsqu’il sera acculé à la défaite par un rapport de force. Contre le mouvement, le gouvernement n’a qu’un langage celui de la guerre, qui semble déclarée sur absolument tous les fronts.
À tous ceux qui sont encore surpris que ce soit un gouvernement de gauche qui mette fin à l’état de droit par l’état d’urgence et le renforcement des prérogatives policières.
À tous ceux qui s’étonnent que la gauche détruise le code du travail et signe l’arrêt de mort des syndicats, multiplie les bombardements et les interventions militaires.
À tous ceux qui s’attristent de la voir se faire hara kiri.
À tous ceux pour qui la COP 21 n’a rien bouleversé dans le cours trop prévisible d’une catastrophe annoncée.
À tous ceux, enfin, pour qui le mot « révolution » n’existe pas que dans les livres d’histoire.
Nous voulons dire que ce mouvement contient, en puissance, la possibilité de construire un processus à même d’ouvrir un nouvel horizon révolutionnaire. Cela commence en retrouvant le goût de la victoire, en éprouvant ensemble notre force. Nous voulons arracher l’abandon du projet, mais surtout mettre en commun le territoire et les conditions matérielles de nos existences. Cela fait trop longtemps que les mouvements sociaux sont défaits et que les identités qui les composent ne travaillent plus qu’à leur propre survie.
Si des habitants d’un bourg de Loire Atlantique et des squatteurs venus de toute l’Europe, des paysans bios et conventionnels, des associations citoyennes et des comités diffus, des élus et des repris de justice, des syndicalistes et des émeutiers, parviennent à faire plier le gouvernement ; alors nous sortirons grandis d’un mouvement qui, parti de si peu, aura trouvé la force de s’étendre bien au de-là de ses frontières.
Déjà depuis plusieurs semaines, un souffle se répand. Opération escargot sur le periph de Grenoble, blocage des accès d’un aéroport à Toulouse, blocage du Viaduc de Millau, occupation de la sous préfecture de Chateaubriand, sabotage d’Eurovia à Limoges, rassemblements et manifs dans plusieurs dizaines de villes en France… Des quartiers de Barcelone au fin fond de la Sarthe, des comités locaux se réveillent ou se créent.
Alors, à tous ceux qui hésitent encore, rejoignez-nous ! Les moments ne vont pas manquer ces prochains mois, « ce sera la fête au village ».