26 mai à Nantes : pénurie d’essence, autonomie et effervescence


Partout en France, le mouvement contre la «loi travail» et son monde trouve un second souffle. Des actions de blocages et de grèves menées par des milliers personnes, syndiquées ou non, se multiplient.


Dès l’aube du 26 mai, un important barrage bloque l’aéroport de Nantes. Autour des barricades enflammées se retrouve une foule hétéroclite d’étudiants, de travailleurs, de ZADistes… D’autres barrages sont mis en place, notamment à Moutonnerie, alors que la grève et le blocage de la raffinerie et du dépôt pétrolier de Donges continuent.

En parallèle de cette mosaïque d’initiatives enthousiasmantes, la pression monte à Nantes. Pas moins de deux manifestations sont annoncées l’après-midi. L’une, appelée par les directions syndicales, aura lieu à l’extérieur de la ville dans une zone industrielle déserte. L’autre, appelée en dehors des cadres institutionnels prendra les rues du centre-ville. La première est adoubée par la préfecture trop contente de voir la contestation se neutraliser et s’isoler. La seconde est interdite par la préfecture. À Nantes les manifestations dans le centre-ville sont donc désormais systématiquement interdites. Ce qui est en jeu pour le pouvoir, c’est de parvenir enfin à détruire un acquis social nantais empêchées par la police. Dérive inquiétante pour la suite. Localement, les manifestations – syndicales ou pas – ne sont jamais déclarées en préfecture. Depuis les grèves insurrectionnelles de 1955, les manifestants n’ont pas à quémander d’autorisation pour s’organiser et défiler. Bien entendu, cette spécificité locale dérange profondément les autorités policières, qui tentent bien évidemment de mettre fin à cette tradition. Ainsi, les petits chefs syndicaux qui déposent désormais leurs manifestations et organisent des défilés hors de la ville intègrent de fait la stratégie policière. Les jours précédents, le préfet et les médias avaient donc largement mis en scène un récit opposant une «bonne» manifestation «responsable» et autorisée à Haluchère, et une manifestation «sauvage» et non encadrée en ville qu’il faudrait donc interdire. Ce qui se joue en définitive, ce sont donc deux conceptions de la lutte.

Dès midi, c’est désormais l’usage, le centre-ville est placé sous occupation policière plusieurs heures avant la manifestation. Les CRS, fusils à la main, multiplient les fouilles et les contrôles. Mais non seulement l’interdiction de manifestation n’a dissuadé personne de lutter, mais elle a même motivé de nombreux nantais – syndiqués ou non – à se déplacer. À 14h, des centaines de personnes se réunissent aux abords d’une place Bouffay entièrement bouclée. Il y a deux fois plus de monde qu’à la précédente manifestation interdite. Rapidement, un cortège se structure et s’ébranle en direction du château. Le dispositif policier monstrueux et la transformation de l’hyper-centre en zone rouge n’auront fait qu’encourager lycéens, jeunes cagoulés et syndicalistes déterminés à braver l’interdiction et à manifester coûte que coûte. Le cortège est très calme, serein, démontrant sa force collective. Des slogans contre l’état d’urgence sont repris en tête de cortège.

Comme la semaine dernière, le préfet a donné l’ordre de ne laisser qu’un couloir minuscule à la manifestation, du Château à la médiathèque. Cherchant à rester mobile et imprévisible, le cortège bifurque sur le pont du Lieu Unique avec l’objectif de tester le dispositif en le contournant par le sud. Alors que les manifestants remontent la Chaussée de la Madeleine en direction d’Hôtel Dieu, ils se heurtent à un mur de canons à eaux, de policiers par dizaines et de BACeux surexcités. Progressivement, le cortège est repoussé jusqu’au pont Audibert, où il tente de revenir vers l’hyper-centre en longeant le CHU par l’ouest. Là aussi, un dispositif impressionnant barre le passage. Une ligne de BACeux goguenards l’empêche également de revenir sur ses pas. Le piège policier est scellé.

Sans sommation, un déluge de lacrymogènes s’abat sur le cortège. Plusieurs personnes font des malaises. Une partie des manifestants s’engouffre sur le pont pour sortir de la zone contaminée, seule issue possible. Ils font rapidement demi-tour : personne n’a envie de se trouver enfermé sur une île. Le gazage se poursuit pendant une dizaine de minutes. Il semble que la manifestation dans son ensemble préfère se tenir dans les gaz plutôt que de reculer là où le préfet aimerait l’emmener. Une centaine de personnes parvient à se frayer un chemin vers Bouffay, mais se disperse rapidement sous la pression de la BAC. Les manifestants finissent par se résigner et s’engouffrent sans entrain sur le pont. Dans le piège.

On apprend que la police est en train de prendre position sur les autres ponts. Une partie du cortège tente de courir pour libérer un accès vers le centre, mais l’absence de réactivité des autres manifestants l’empêchera de parvenir en nombre jusqu’au pont suivant. À l’arrière, un canon à eau repousse la queue du cortège. À l’avant, la BAC fait face à quelques dizaines de manifestants motivés, qui essuient des tirs de LBD. Les bureaux de Ouest-France sont attaqués. Peu fournie, la tête de cortège rejoint les autres manifestants qui affluent lentement. La manifestation repart. À République, plusieurs banques sont dévastées rageusement sous les vivats. Le défilé arpente des rues jamais empruntées auparavant.

Le cortège erre à présent sur des boulevards déserts, talonné par la BAC et un énorme dispositif qui avance au pas de course. Au cœur de barres d’immeubles proches de Beaulieu, l’étau se resserre. Les rangées de casqués affluent de tous les côtés. La BAC au grand complet lance une charge féroce. Les détonations de grenades de désencerclement résonnent entre les barres d’immeuble. Plusieurs manifestants sont blessés, dont une étudiante à l’œil. Toutes les issues sont bouclées. La manifestation se recompose tant bien que mal et parvient à s’échapper au pas de course par une ruelle. Satisfaction de courte durée. Les ponts à l’est sont également bloqués. Les manifestants se dispersent progressivement par petits groupes. Devant un hall d’immeuble, quelques dizaines de personnes sont nassées par la BAC. Tous sont contrôlés, quelques-uns seulement sont embarqués. Visiblement, la stratégie du jour n’est pas tant d’arrêter massivement mais de blesser et de terroriser. Point positif, Nantes a encore massivement bravé l’interdiction, mais la police a réussi à gérer le défilé. Il s’agira d’esquiver les pièges tendus la prochaine fois.

Au même moment, le parcours de l’intersyndicale consiste en une morne ballade dans une zone industrielle. D’un point de vue numérique, la manifestation interdite du centre-ville aura surpris tout le monde par son ampleur : autour de 5000 personnes sous l’hélicoptère. Il y aura autant de monde à la manif interdite qu’à la marche funèbre partie de la Haluchère. Certains salariés participants à la manifestation autorisée déplorent «l’absence de jeunes», parlent d’un défilé «ennuyeux». Une participante se désole d’une manifestation «au milieu des pavillon !» et de deux manifestation distinctes «ceux qui ont investit le centre-ville et ceux qui, comme nous, sont allés dans la zone industrielle, sous prétexte qu’on pouvait imaginer rencontrer des salariés. Or, toutes les boîtes étaient fermées». Contre toute attente, une partie du cortège bloquera néanmoins le périphérique pendant une heure.

Le potentiel de révolte est loin d’être tari. Une manifestation unitaire – attendue par tous ou presque – aurait été massive, déterminée, et surtout bien moins réprimée jeudi 26 mai. Alors que le bras de fer économique continue, à nous de faire converger les colères dans la rue lors des prochaines journées de lutte !

Jusqu’à la victoire !

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