Macron : retour vers le futur

Le 8 mai 2015, Emmanuel Macron, pas encore candidat à la présidentielle, ministre socialiste, déclare lors d’un déplacement à Orléans : «il nous manque un Roi». Deux ans plus tard, il triomphe lors des élections sur fond de chantage face au FN. Les contre-pouvoirs sont évaporés et le nouveau président règne sans partage sur la Ve République.
Il y a 150 ans, Marx et Engels décrivaient les sociétés occidentales comme des sociétés où la bourgeoisie avait pris le pouvoir en remplaçant l’aristocratie, détruisant «tous les liens complexes […], pour ne laisser subsister d’autre lien, entre l’homme et l’homme, que le froid intérêt, les dures exigences du “paiement au comptant”», noyant les émotions «dans les eaux glacées du calcul égoïste», et ne laissant pour seule liberté que «l’unique et impitoyable liberté du commerce».
Aujourd’hui, Macron réalise la synthèse entre l’Ancien Régime et le néo-libéralisme. Il est l’incarnation d’un capitalisme autoritaire, aux références monarchiques. Nous en avons eu de nouvelles illustrations ces dernières semaines :
PILLER LA VEUVE ET L’ORPHELIN
Il y a quelques jours, alors qu’il commandait 50.000 euros de vaisselle et 78.000 euros de produits cosmétiques pour l’Élysée, Macron se lançait dans de nouvelles provocations sur «le pognon de dingue» dépensé pour les minimas sociaux. Pire, il annonçait une grande offensive contre les allocations destinées aux plus pauvres. Un exemple frappant : la suppression de la pension de réversion. La pension de réversion, c’est la somme versée à une veuve pour compenser l’appauvrissement et la précarité provoqués par le décès d’un conjoint. Ici encore, Macron vole aux pauvres pour donner aux riches. Et, plus précisément, il attaque littéralement la veuve et l’orphelin. Avec une arrogance obscène. C’est un choix symbolique assumé, l’antithèse exacte de l’esprit chevaleresque. Macron, ou la caricature du Shérif de Nottingham.
HAINE DES PAUVRES
La suppression de “l’exit tax” en mai dernier est un nouveau cadeau de 6 milliards d’euros pour les plus riches, mais elle s’inscrit dans un contexte de dividendes records pour les spéculateurs du CAC 40 et d’explosion de la fortune des milliardaires français. Cette guerre aux pauvres se joue dans les esprits et dans les mots. Et à ce jeu, Macron fait passer Sarkozy ou Valls pour des modèles de modération et de respect. On se souvient, entre autres humiliations, que Macron a parlé du peuple comme des «illettrés», des «fouteurs de bordel», des «fainéants», des «lâches» ou des «professionnels du désordre». Il y eu aussi cette scène médiatisée d’un ancien combattant, visiblement très à droite qui, serrant la main du président, lui demandait «soyez très ferme avec ces gauchos de la politique qui foutent la merde». Et Macron de répondre avec un sourire carnassier, en pleine grève des cheminots et répression des étudiants : «ne vous inquiétez pas, regardez moi faire». L’humiliation d’un collégien de 14 ans, devant les caméras, le 18 juin, est du même ordre. Macron met à sac ce qui reste du pacte social arraché par la Résistance antifasciste à la Libération : le programme du Conseil National de la Résistance planifiait, dans une France en ruine, un ensemble très ambitieux de lois sociales, notamment la sécurité sociale. Sécurité sociale que le gouvernement compte attaquer dès les prochaines semaines. Macron, ou l’anti-résistance.
ÉCRASER LES CONTESTATIONS
Organiser l’impuissance et pacifier les provinces de l’Empire. Alors que le gouvernement répétait qu’il «n’y a pas d’argent magique» et qu’il fallait faire des économies, il dépensait au mois d’avril plus de 5 millions d’euros pour envoyer des blindés, des hélicoptères et des milliers de gendarmes pour détruire des cabanes sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. «L’État de droit a un coût mais il n’a pas de prix» déclarait alors la préfète de Nantes, Nicole Klein. En période d’austérité généralisée, il y a toujours de l’argent pour mater les contestations. Après avoir divisé les occupants de la ZAD et envoyé les militaires sur la zone, le gouvernement compte céder les terres qui restent au Conseil Départemental de Loire-Atlantique. Les négociations organisées sur fond d’offensive de la gendarmerie étaient donc un grand leurre. Les rares projets «régularisés» ne le sont que pour quelques mois, et risquent d’être attaqués de nouveau. Ce gouvernement ne négocie pas, il agresse, par tous les moyens. Les «partenaires sociaux» – les syndicats – bichonnés par les gouvernements précédents pour canaliser les grèves sont aujourd’hui méprisés et renvoyés à leur inutilité par Macron. L’époque a changée, on ne s’embarrasse même plus de simulacre de dialogue. Nous avons vu à l’œuvre au printemps, sur la ZAD comme dans les rues et les universités, une véritable opération contre-insurrectionnelle, stratégique, qui a su tirer partie de la communication médiatique, des divisions et de la brutalité inédite de la force policière. Dans l’antiquité, les généraux auréolés de gloire, à Rome, revenaient après avoir maté les provinces «barbares» des confins du territoire. Aujourd’hui, les médias et la classe politique ont chaudement félicité la préfète de Nantes, qui vient de pacifier les provinces de l’Ouest, ou les ministres qui ont “déminé” les mouvement sociaux.
«La première condition de la paix sociale est que les pauvres aient le sentiment de leur impuissance», écrivait le politicien d’extrême droite Maurice Barrès il y a cent ans. Une réflexion qui pourrait résumer à elle seule le programme politique du gouvernement Macron. La mise en garde à vue de plus de 100 jeunes qui voulaient organiser une simple réunion dans un lycée parisien à la fin du mois de mai illustre parfaitement cette séquence où plus aucune expression contestataire, même la plus anodine, n’est tolérée.
Macron est donc l’incarnation d’un capitalisme violent et autoritaire mêlé d’influences monarchiques, sur fond d’anéantissement des contre-pouvoirs. Avant la prochaine offensive du gouvernement, il sera important d’avoir su analyser cette nouvelle situation politique et la teneur de l’ennemi pour organiser les ripostes appropriées. Macron et son monde ne reculeront que par la force.
