Mort de Romain à Paris : augmentation des tirs policiers à balles réelles

La scène paraît sortie d’une mauvaise série ou d’un roman noir. Paris, dans la nuit du 14 août. Une voiture démarre pour esquiver un contrôle. Suite à cette incivilité banale, plutôt que de relever la plaque d’immatriculation, un policier saute sur le scooter d’un passant pour engager une folle course poursuite dans les rues. Alors que la voiture se retrouve bloquée, le policer sort son arme. Braque le conducteur. Fait feu. Touche sa cible grièvement.

Celui qui vient de tirer sort l’homme agonisant du véhicule. Sans aucune empathie, il l’écrase par terre. Un adolescent témoin décrit : «il l’a secoué contre la voiture, l’a attrapé par les épaules et l’a mis au sol, avant de le menotter. Il l’a écrasé avec son genou, il y avait du sang qui coulait. L’homme a commencé à trembler». Romain, 26 ans, meurt dans les minutes qui suivent. Parce qu’il n’avait pas son permis. Parce qu’un policier à la gâchette facile se prenait pour un cowboy. Parce que la police se considère désormais autorisée à tirer comme aux USA.

Le 3 juillet, un drame comparable avait lieu à Nantes. Le jeune Aboubakar était abattu au volant, d’une balle dans le cou, par un CRS qui dit avoir tiré «par accident». Le 26 janvier déjà, un policier avait vidé son chargeur sur une voiture au milieu de l’autoroute A86, à Villeneuve-La-Garenne. Son conducteur avait reçu deux balles dans le corps, mais avait survécu. Une vidéo de la scène, prise par un automobiliste et diffusée quelques jours plus tard, prouvait l’absence totale de légitime défense. Le policier avait simplement fait un carton sur une voiture roulant à vitesse réduite, pour se soustraire à un contrôle. Le 20 mai 2017, Jérôme, un paysan, était abattu au volant de sa voiture alors qu’il voulait échapper à un contrôle administratif de sa ferme. Quelques années plus tôt, à Carcassonne, un policier avait tiré des coups de feu sur une voiture conduite par une femme de 31 ans, qu’il avait «confondue avec un malfaiteur».

Ces événements sont de plus en plus fréquents. Il est de moins en moins rare de voir les forces de l’ordre sortir leur arme à feu, voire même de tirer sur des véhicules. Comme aux USA. Ce phénomène mortel est la conséquence directe des choix politiques récents.

En 2016, après des manifestations de policiers cagoulés durant l’automne, le gouvernement socialiste de François Hollande avait «assoupli» la légitime défense. Une vieille revendication de l’extrême droite. Alors que l’état d’urgence avait déjà augmenté drastiquement le pouvoir et l’armement de la police, le Parti Socialiste avait choisi d’étendre l’usage des armes à feu en dehors du cadre de la légitime défense. Ainsi, les policiers obtenaient le droit de tirer non seulement pour se défendre, mais aussi pour «défendre un lieu sous leur responsabilité» – on devine les interprétations qui pourraient être faites dans le cas de luttes contre des grands projets –, «lorsqu’ils doivent empêcher un détenu de s’échappe» mais aussi «pour empêcher une voiture de se soustraire à un contrôle». Pour l’occasion, le gouvernement avait diffusé des vidéos «pédagogiques» aux policiers. On y voyait des hommes en uniforme tirer sur un véhicule en fuite.

Depuis deux ans, les tirs policiers sur les voitures se sont multipliés. Les victimes aussi, la plupart du temps non-blanches. Et il n’est plus exclu de brandir un pistolet comme une menace, y compris face à des manifestants.

Ces tirs à balles réelles sont l’illustration de la militarisation du maintien de l’ordre. Depuis plus de 10 ans, la police dispose de tasers, de Flash-Balls et de grenades de plus en plus puissantes pour, selon le discours officiel, ne plus avoir à utiliser de tirs à balles réelles. Dans les faits, chaque année, ce sont des dizaines de milliers de tirs de grenades et de balles en caoutchouc qui sont effectués contre des civils, occasionnant de très nombreux blessés. Mais ces nouvelles armes n’ont pas fait baisser l’usage d’armes à feu, qui a lui aussi augmenté. L’arrivée des armes «non létales» a finalement banalisé le fait de tirer en direction d’individus, l’acte de presser sur la détente. Ce qui était encore un geste rarissime dans les années 1990 n’est plus exceptionnel. Aujourd’hui, l’usage d’armes à feu s’est étendu.

Ainsi, depuis 2016, les tirs à balles réelles par la police ont augmenté de 54%. Une véritable explosion de la violence, qui n’est pas prête de s’arrêter. La mort de Romain le 14 août et celle d’Aboubakar le 3 juillet le rappellent dramatiquement.


Sources :

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