Dimanche 26 octobre 2014, au matin. Les médias répètent en boucle le rapport de la préfecture : «le corps d’un homme a été découvert par les gendarmes» à Sivens, dans le Tarn, sur l’esplanade de terre battue où se situait une forêt dévastée par un projet de barrage.

La veille, samedi 25 octobre, lors d’une manifestation pour la sauvegarde les terres, Rémi, 21 ans, a été tué. Une partie de sa colonne vertébrale a été arrachée par la grenade jetée par un gendarme. Une grenade explosive. Une arme de guerre, lancée dans la nuit, sur un groupe d’écologistes.
Ce jour là, la vie d’un jeune vient d’être volée par le maintien de l’ordre. Le jour de la mort de Rémi, des dizaines de grenades et de balles en caoutchouc ont été tirées sur quelques grappes de manifestants.
À l’époque, les socialistes au pouvoir retiennent leur souffle. Ils anticipent déjà l’onde de choc que produira l’événement. Les communicants entrent en jeu. Il faut produire du bruit pour atténuer le caractère insupportable de la situation, suspendre le temps. Il faut multiplier les insinuations, essayer de salir à titre posthume le défunt, suggérer qu’il est peut-être responsable de sa propre mort. Faire illusion. Dans les jours qui suivent, le gouvernement cherche à épaissir le brouillard, inondant les rues de nuages lacrymogènes.
La mort de Rémi n’est pas une « bavure », ni un accident. Il est presque étonnant que des armes de guerre, utilisées de plus en plus massivement par les forces de l’ordre, n’aient pas ôté des vies plus tôt.
C’est en revanche la première fois qu’un manifestant perd la vie depuis 1986 en France, avec la mort de Malik Oussekine lors d’un mouvement étudiant. Entre 1986 et 2014, il y a une énorme différence. En 1986, plusieurs centaines de milliers de personnes défilent dans les rues de Paris et de plusieurs grandes villes suite à ce crime policier. Un ministre démissionne. Le projet de loi à l’origine de la révolte étudiante est enterré. La brigade responsable des violences est dissoute. C’est un séisme politique.
Ce qui se passe à l’automne 2014 est un tournant historique.Après le décès de Rémi Fraisse et dès les premiers jours de novembre, le gouvernement socialiste lance l’assaut contre celles et ceux qui osent manifester suite à la mort d’un jeune dans une manifestation. Sans complexe, plusieurs villes où se tiennent des manifestations sont mises en état de siège. Les dispositifs policiers sont hors norme. Des villes comme Rennes, Nantes ou Toulouse sont occupées, plusieurs samedis d’affilée, par des dispositifs de centaines d’uniformes, appuyées par des hélicoptères. Les rares manifestations qui s’improvisent sont, de fait, interdites. Le temps où les gouvernants faisaient le dos rond quand ils avaient du sang sur les mains est révolu : aujourd’hui, ils attaquent. Par la suite, le drame de Sivens est même exploité pour renforcer plus encore l’arsenal répressif. Dans les semaines qui suivent, une « Commission d’enquête parlementaire» est ouverte. Par un retournement de situation qu’on croirait sorti de l’imagination d’Orwell, le rapport préconise l’arrestation préventive des individus considérés « suspects », afin de les empêcher de manifester et la généralisation d’armes encore plus puissantes pour la police.
La mort de Rémi il y a 4 ans constitue donc un tournant majeur de l’histoire politique française, et une accélération de l’ensauvagement répressif. En 4 ans, la police a tué, mutilé, arrêté. Les tirs à balles réelles ne sont plus exceptionnels. L’antiterrorisme est devenu un mode de gouvernement, qui a permis d’arrêter des opposants sans autre forme de procès. Et des dizaines de milliers de grenades, lacrymogènes ou explosives, ont été tirées sur des civils.
La famille du défunt attend toujours justice. Et Rémi reste présent dans nos luttes.
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