Alors que des lycéens sont éborgnés, des grands-mères matraquées, que des personnes en fauteuil sont gazées, jamais un gouvernement n’a été autant dans le déni.
Dans l’affaire de Geneviève Legay, retraitée gravement blessée par une charge des forces de l’ordre à Nice, c’est la gendarmerie qui fait voler en éclat la version de la police !
L’article complet de Médiapart :
“Affaire Legay: la gendarmerie a refusé d’obéir au commissaire de Nice
La charge au cours de laquelle Geneviève Legay a été blessée était « disproportionnée ». Ce constat est celui de gendarmes dans un rapport du 25 mars qui ont refusé de participer aux opérations le 23 mars à Nice. Mediapart publie des extraits de ce document, preuve de violences policières.
Sans doute sera-t-il compliqué pour le ministre de l’intérieur Christophe Castaner de nier l’existence de violences policières survenues le 23 mars, à Nice, et ayant grièvement blessé la militante pacifiste Geneviève Legay. Ce sont les gendarmes, ses propres hommes, qui en apportent la preuve. Dans un rapport dont Mediapart a pu prendre connaissance, leur constat est aussi évident qu’accablant : « Ordres reçus disproportionnés face à la menace (foule calme) ».
Il s’agit d’un compte-rendu d’opérations de maintien de l’ordre transmis le 25 mars à l’ensemble de la hiérarchie et jusqu’à la Direction générale de la gendarmerie nationale, ayant pour mention : « Observations sur la mission confiée ».
Y sont consignées des divergences sur le dispositif de manœuvre, incompatibilités qui ont conduit le capitaine de gendarmerie à ne pas engager son escadron (près de 70 hommes) dans la charge décidée par le commissaire Rabah Souchi, responsable des opérations, et dont le comportement avait déjà fait l’objet de critiques émanant de syndicats de police.
Lorsque l’ordre est donné d’utiliser la force pour évacuer la place Garibaldi, le samedi 23 mars, les manifestants ne présentent aucun signe d’hostilité envers les forces de l’ordre et par ailleurs aucune violence ni dégradation n’est à déplorer, selon le rapport des gendarmes, qui fait état d’« une foule calme ». Compte tenu de la physionomie des lieux, de la nature et de l’attitude des manifestants, les ordres reçus sont donc jugés « disproportionnés », et il n’y a pas de « nécessité absolue d’utiliser les armes pour charger cette foule ».
Comme nous l’a expliqué un officier de police chargé du maintien de l’ordre, face à pareille situation, une vague de refoulement suffit. À la différence d’une charge, les forces de l’ordre n’utilisent alors aucune arme. Les matraques sont rangées et les boucliers mis en position « latérale », c’est-à-dire de côté. Les casques peuvent également ne pas être portés.
« Il s’agit d’une phase lors de laquelle le dialogue est privilégié car possible si la menace en face est faible. Le but du maintien de l’ordre en France est de ne pas être au contact physique, ce qui est, d’ailleurs, en train d’être remis en question aujourd’hui. L’usage de la force doit répondre entre autres aux principes de nécessité absolue, de proportionnalité et de gradation », précise ce même officier de police, qui a préféré garder l’anonymat.
À Nice, le capitaine commandant l’escadron a décidé, fait particulièrement exceptionnel, de ne pas engager ses hommes dans une opération impliquant l’usage de la force.
Contacté par Mediapart, le général de gendarmerie Bertrand Cavallier, ancien commandant du Centre national d’entraînement des forces de gendarmerie de Saint-Astier, tient à préciser qu’« on est dans un cas peu fréquent qui mérite toute notre attention ».
« Il faut toujours garder en tête que le contact avec les manifestants et le recours à la force sont l’ultime réponse. Il existe des dispositions du code pénal et du code de la sécurité intérieure qui encadrent l’usage de la force. Et si cet emploi n’est pas justifié, il est illégal », explique le général, avant de rappeler que « le libre arbitre est primordial et c’est la raison pour laquelle il existe le devoir de désobéir ».
Le code de déontologie de la police et de la gendarmerie précise que ce devoir peut être exercé « dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public ».
Cette règle a d’ailleurs été rappelée par le directeur général de la gendarmerie nationale Richard Lizurey, sur son blog, en octobre 2017, dans un billet intitulé Du devoir de désobéir. Il y écrit que les gendarmes sont « des soldats de la loi, et comme tout soldat sur un théâtre d’opérations, le discernement doit être [leur] première exigence et [leur] première qualité ».
« À Nice, ce devoir de désobéir a été exercé par le capitaine qui commandait l’escadron malgré la pression, commente le général Cavallier. Il a fait preuve de courage intellectuel et d’esprit de responsabilité en ne participant pas aux opérations décidées par le commissaire. Cette décision a été fondée puisque, hélas, cet usage de la force s’est avéré disproportionné, puisque la charge a causé des blessures graves sur une manifestante qui n’était pas du tout agressive. »
La conclusion du compte-rendu des opérations du samedi 23 mars de l’escadron de gendarmerie est donc la suivante : « Munition : 00. LBD [lanceur de balles de défense] : 00. Blessé GM [gendarmerie mobile] : Néant. »
De sources proches de l’enquête, le constat d’une foule calme est également rapporté par le commissaire Rabah Souchi lui-même, qui décrit sur la place Garibaldi « la présence d’un groupe d’une cinquantaine de personnes en attente » et « discutant dans le calme ». Cela rend sa décision de charger d’autant plus incompréhensible.
Aux enquêteurs, en revanche, si le commissaire signale avoir donné des instructions au capitaine de gendarmerie, il se garde bien de leur préciser que celui-ci a refusé de les suivre. Tout comme les « brimades » et la « désobligeance » dont il a fait preuve à l’égard de l’escadron, attitude reportée dans le compte-rendu des gendarmes.
Entachée d’erreurs, l’enquête préliminaire, conduite par le procureur de la République de Nice Jean-Michel Prêtre, avait été confiée à la commissaire divisionnaire Hélène Pedoya, qui non seulement est la compagne du commissaire Rabah Souchi, mais, qui plus est, a participé aux opérations de maintien de l’ordre dirigées par son conjoint, le 23 mars.
Dès le lundi 25 mars, le procureur avait affirmé qu’aucun heurt ne s’était produit entre les policiers et Geneviève Legay, information qu’il avait dû démentir le 29 mars, avant de confier l’enquête à trois juges d’instructions. Maître Arié Alimi, l’avocat de Geneviève Legay, a demandé le dépaysement du dossier, requête qui sera examinée le 10 juillet par la Cour de cassation.
Le 11 avril, le procureur général de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, Robert Gelli, a émis un avis positif, estimant que « le parquet de Nice s’était positionné dans les médias en faveur des forces de l’ordre. […] Les faits reprochés ne résultent pas d’un acte isolé mais s’inscrivent dans une opération de maintien de l’ordre […] à laquelle ont participé plusieurs policiers, dont certains sont en relations habituelles avec les magistrats de la juridiction ».
À ce jour, aucun gendarme, à notre connaissance, n’a été auditionné dans le cadre de l’instruction. Ce nouvel élément devrait convaincre les enquêteurs de le faire. Contacté par Mediapart, Arié Alimi se dit « surpris d’apprendre l’existence d’un tel document ». « J’ai pourtant eu accès au dossier, ajoute-t-il, mais vous m’en apprenez l’existence, ce qui implique qu’il n’a pas été porté à la connaissance des juges d’instruction, alors qu’il est la preuve évidente d’une violence policière illégitime sur Geneviève Legay. »”