Foot et révolte


Derrière la victoire de l’Algérie, la contestation dans les tribunes et les rues


Des supporters de l'équipe de foot d'Algérie, masqués, alimentent la révolte en tribune

Ce vendredi 19 juillet, soir de finale de la Coupe d’Afrique de football. Elle oppose le Sénégal à l’Algérie. Le match voit triompher l’équipe algérienne, et enflamme les rues des deux côtés de la Méditerranée.

À la 30ème minute de la rencontre, les supporters algériens, dont certains déguisés comme les braqueurs de la série «la Casa de Papel» entonnent dans un chant dans les tribunes : «La Casa del Mouradia». Des paroles révolutionnaires. C’est une double référence : «El Mouradia» est le nom du quartier où se situe le Palais présidentiel, l’équivalent de l’Élysée en France. «La Casa», fait écho à la célèbre série espagnole et ses braqueurs habillés en rouge. C’est à la fois une chanson de supporters et l’un des hymnes du mouvement de contestation qui secoue l’Algérie depuis plusieurs mois. Le chant d’un mouvement puissant et massif, qui a obtenu la démission du gouvernement.

Créé en 2018, il décrit et critique le système autoritaire installé dans le pays depuis des décennies, avec le pouvoir sans partage du président Bouteflika : «Le premier [mandat], on dira qu’il est passé, ils nous ont eu avec la décennie [noire]/Au deuxième, l’histoire est devenue claire, la Casa d’El Mouradia/Au troisième, le pays s’est amaigri, la faute aux intérêts personnels /Au quatrième, la poupée est morte et l’affaire suit son cours (…)»

L’hymne est passé des tribunes aux manifestations de rue. L’itinéraire n’est pas exceptionnel. Le foot est un enjeu politique, et les stades sont des arènes où s’expriment parfois des revendications, qui débordent à l’extérieur. Le mouvement de révolte qui a commencé en février en Algérie est emmené par une jeunesse qui exprime depuis longtemps des revendications politiques lors des rencontres de football. D’ailleurs, plusieurs chants des supporteurs des clubs de la capitale sont désormais repris par l’ensemble des manifestants.

EN PREMIÈRE LIGNE

Lors des Révolutions Arabes, qui ont fait tomber plusieurs dictatures, les supporters ont souvent été en première ligne des contestations. Dans les stades, ils ont acquis une expérience d’autodéfense face aux forces de l’ordre et une grande capacité de mobilisation et de réaction. Les ultras d’un grand club de Tunis sont, dès janvier 2011, en tête des manifestations du «printemps tunisien». Plus tard, au Caire, les supporters de la capitale Égyptienne seront très présents pour défendre la place Tahrir, où se retrouvent les manifestants, face à la violence de la police et les milices du pouvoir.

En 2013, un vaste mouvement de révolte met en difficulté le gouvernement d’Erdogan en Turquie. À Istanbul, les supporters des grands clubs de la capitale, d’habitude en conflit, sont présents dans les affrontements pour protéger le parc Gezi. Un espace vert menacé de destruction par le pouvoir, qui devient l’épicentre des contestations. Le football est à chaque fois au cœur des mobilisations.

ET EN FRANCE ?

Au début du mouvement des Gilets Jaunes, à l’automne 2018, un chant très efficace devient l’hymne du mouvement : «Emmanuel Macron, oh tête de con, on vient te chercher chez toi». Il est emprunté au répertoire des stades. Dès le 2 décembre, des centaines de supporters de l’équipe de Marseille hurlent la chanson lors d’un match contre Reims, en brandissant des Gilets Jaunes.

Si en France, le monde des stades est moins remuant et révolutionnaire qu’au Maghreb ou en Turquie – et parfois gangrené par des groupes fascistes –, certaines tribunes continuent à relayer des messages contestataires, notamment contre la répression.

Les autorités sont d’ailleurs en guerre avec les supporters. Des techniques de maintien de l’ordre très dures ont été expérimentées contre les ultras depuis des années, avant d’être appliquées dans les manifs : les nasses, les interdictions de stade, les fouilles systématiques et les contrôles préventifs. Plusieurs supporters ont été mutilés par des tirs de LBD. Notamment un ultra de Montpellier, Casti, qui milite depuis contre les violences policières.

Malgré toutes les réserves contre un monde du foot souvent viriliste et parfois xénophobe, les liens entre les tribunes et la contestation politique sont incontestables. Ces mobilisations en sont l’exemple.


Pour aller plus loin, lire le très bon article de Mickaël Correia «En Algérie, les stades contre le pouvoir».

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