«Une accoutumance au luxe absolument indécente» pour un député En Marche
Un proche d’Emmanuel Macron se gavait de festins somptueux, et totalement injustifiés, aux frais du contribuable. Mais ce n’est pas tout : il faisait rembourser, deux fois, ses repas gastronomiques par l’argent public ! Des milliers d’euros détournés illégalement. Comme l’affaire De Rugy, il ne s’agit pas d’un cas isolé. Les puissants font frapper, arrêter ou éborgner ceux qui ont l’audace de réclamer un peu de justice sociale, pendant qu’ils se vautrent avec leurs amis dans le luxe le plus décadent.
« Affaire Bridey: le député se faisait rembourser deux fois ses notes de frais
Le député LREM n’a pas seulement profité de frais de bouche exorbitants dans ses fonctions locales. Il s’est aussi fait rembourser deux fois de nombreux repas copieux en 2016 et 2017. L’ancien président de la commission de la défense à l’Assemblée nationale, proche d’Emmanuel Macron, adressait un ticket de caisse à la mairie de Fresnes, et une copie de ce même justificatif à une Société d’économie mixte de Fresnes (la Semaf), qu’il présidait. Le tout aux frais de ses administrés.
Coupes de champagne, huîtres, « king crabe », Saint-Jacques, homard… Mediapart avait déjà mis en lumière le goût de l’actuel député La République en marche (LREM) Jean-Jacques Bridey pour les bons repas payés par la Société d’économie mixte locale d’aménagement de Fresnes (Semaf), qu’il présidait lorsqu’il était maire PS de cette commune du Val-de-Marne – entre 2001 et 2017. On découvre aujourd’hui que plusieurs de ces copieux déjeuners et dîners lui ont été remboursés… deux fois.
Selon notre nouvelle enquête, cet ex-socialiste devenu marcheur de la première heure, l’un des premiers élus à avoir soutenu Emmanuel Macron en 2016, a en effet bénéficié, au moins pour les années 2016 et 2017, d’un double remboursement de certaines de ses notes de frais au restaurant « À la marée », un établissement de Rungis qu’il fréquentait régulièrement. Une fois par la Semaf et une deuxième fois par la mairie de Fresnes. Le tout pour un montant total de 4 807,70 euros – 3 975,90 euros en 2016 et 831,80 euros en 2017. De l’argent public.
La montagne de notes de frais laissée par Jean-Jacques Bridey à son départ de la Semaf avait déjà de quoi surprendre au regard de la taille de cette petite structure, chargée de projets d’aménagement d’une ville de 26 000 habitants et qui ne compte que trois salariés (lire notre première enquête ici). Le fait que le député se soit fait rembourser une partie de ces frais deux fois est encore plus problématique.
Pendant l’été, la Chambre régionale de la Cour des comptes (CRC) a passé au peigne fin la comptabilité de la mairie de Fresnes. Plusieurs factures adressées chaque mois aux services municipaux par le restaurant « À la marée » ont notamment été exhumées. On y décompte 25 repas en 2016 et une petite dizaine pour le premier semestre de 2017 – l’ancien édile ayant quitté ses fonctions locales après sa réélection à l’Assemblée nationale en juin de cette même année.
Jusqu’ici, rien d’anormal. Seulement voilà, les trois quarts de ces justificatifs – les tickets de caisse détaillés – figurent déjà dans les documents comptables… de la Semaf. Avec un petit particularisme : tous les tickets remboursés par la société d’économie mixte comportent la mention « réimprimé ».
En clair : en quittant le restaurant de Rungis, Jean-Jacques Bridey emportait avec lui deux tickets, le premier était adressé aux services de la mairie, le second, « réimprimé », à la petite équipe de la Semaf. Lesquelles procédaient ensuite, chacune de leur côté, au remboursement du repas. Cette pratique a été répétée quasiment tous les mois entre 2016 et 2017.
Interrogé par Mediapart, Jean-Jacques Bridey indique, sans en expliquer la raison, qu’il « demandait un doublon » des tickets adressés à la mairie qu’il « rangeai[t] avec [ses] autres justificatifs de frais ». « Il est alors peut-être arrivé que je transmette ces justificatifs en même temps que les notes de frais Semaf », glisse-t-il. Le député affirme également s’être peut-être trompé sur « quelques doublons », minimisant la pratique. « Quelques doublons » ? Près d’une trentaine sur deux ans tout de même.
Pour ne prendre que l’exemple de mars 2016, la mairie de Fresnes et la Semaf ont toutes deux remboursé 724,20 euros – soit 1 448,40 euros in fine – pour un déjeuner (le 14 mars, trois couverts, 303,80 euros) et deux dîners (le 2 mars, trois couverts, 215,60 euros et le 23 mars, deux couverts, 204,80 euros). Le détail des repas laisse entrevoir un rituel gustatif immuable : quelques coupes de champagne (14 euros l’unité) en guise d’entrée en matière, suivies d’huîtres, de gambas, de Saint-Jacques, de poissons fins… Le tout souvent accompagné d’une bouteille ou de plusieurs verres de vin.
La plupart du temps, Jean-Jacques Bridey partage son repas avec une ou deux personnes, plus exceptionnellement quatre ou sept. Interrogé une première fois par Mediapart, en octobre 2018, au sujet des notes de frais remboursées par la Semaf, le député avait été incapable de se rappeler avec qui il se trouvait alors. Y compris lorsqu’il s’agissait de dîners tardifs. Y compris lorsque les rendez-vous étaient pris dans les restaurants les plus chics de Paris, pour des notes pouvant atteindre 712 euros pour deux personnes, comme le 6 juillet 2017, au restaurant du Park Hyatt. Y compris lorsque des crus exceptionnels y avaient été dégustés.
« Vous me précisez des trucs, je ne sais pas. Si je l’ai pris [une bouteille de Meursault à 250 euros – ndlr], c’est que ça se justifie. Après vous pouvez dire, non ça ne se justifie pas… Si je l’ai fait, c’est que ça se justifie », s’était-il contenté de répondre, en restant toutefois catégorique sur un point : toutes ces dépenses étaient « en lien avec la Semaf », qui les a donc remboursées… avant que la mairie ne s’en occupe à son tour.
Après la réception de nos questions sur les « doublons », Jean-Jacques Bridey a annoncé son intention d’adresser, dès ce lundi 9 septembre, un « courrier à la Semaf pour demander à ce que ses services se rapprochent de ceux de la mairie pour vérifier vos investigations » (voir ledit courrier sous l’onglet “Prolonger”). « Si elles s’avéraient, je rembourserais à la Semaf tout naturellement les sommes correspondantes », ajoute-t-il, affaiblissant de facto ses justifications d’octobre 2018 sur le « lien » entre tous les dîners et la société d’économie mixte.
Également interrogé, le directeur général de la Semaf, Branko Borikic, n’a pas souhaité répondre à nos questions. Il a simplement estimé, par mail, qu’il n’avait « pas à contrôler les frais de représentation de [sa] hiérarchie ».
La maire PS de Fresnes, Marie Chavanon, qui a pris la succession de Jean-Jacques Bridey à la présidence de la Semaf, avait quant à elle dénoncé, le 1er novembre 2018, dans un post Facebook, que les « sommes dépensées en réceptions et restaurants [étaient] trop importantes compte tenu des activités et des enjeux locaux ». « Le détail des notes de restaurant révélé par la presse montre de la part du Député une accoutumance au luxe absolument indécente », écrivait-elle alors. Le 25 février suivant, l’association Anticor saisissait le procureur de la République de Créteil.
Avant que Mediapart ne révèle les folles dépenses du député, ainsi que le double remboursement dont il a bénéficié pour une partie d’entre elles, ce dernier était déjà soupçonné d’avoir cumulé les indemnités de ses différents mandats au-delà des plafonds autorisés par la loi. Il aurait ainsi indûment touché 100 000 euros (lire notre enquête sur le sujet ici).
Fin 2017, le parquet de Créteil avait ouvert une enquête préliminaire pour de possibles faits de concussion – à savoir la perception illicite par un agent public de sommes indues – à la suite d’un signalement de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui est notamment chargée du contrôle du patrimoine des élus. Selon nos informations, le dossier est désormais entre les mains du Parquet national financier (PNF).
Entre-temps, Jean-Jacques Bridey a perdu un poste qui lui tenait très à cœur : la présidence de la commission de la défense nationale et des forces armées à l’Assemblée, qu’il occupait depuis son élection en juin 2017. Il est le seul président de commission à ne pas avoir été reconduit lors des élections de mi-mandat, qui se sont tenues le 24 juillet, en pleine affaire François de Rugy, au Palais-Bourbon. Au dire de plusieurs membres de la majorité, les affaires n’expliquent pas à elles seules son éviction, ses relations avec ses commissaires étant pour le moins tendues. Mais de l’aveu de tous, les ennuis judiciaires du marcheur n’ont pas arrangé les choses. »