11 Janvier à Nantes : Révolte multicolore

Le samedi 11 janvier est un jour d’actions simultanées. Une manifestation régionale à l’appel des Gilets Jaunes est fixée de longue date. Une nouvelle échéance syndicale contre la casse des retraites est aussi programmée. Le tout sur fond de colère sourde, durable, profonde, contre le pouvoir en place.

À partir de 11h, environ 5000 personnes s’élancent derrière les bannières et les camions des syndicats. La manifestation est très encadrée, mais elle se déroule dans une ambiance calme et plutôt joyeuse. Chose rare, on aperçoit même des poussettes et des enfants qui jouent. Ambiance très familiale avec beaucoup de nouvelles têtes, une fanfare, et les premières chasubles fluorescentes qui s’agrègent au cortège. Une partie des manifestants tente de rejoindre la Maison du Peuple, qui subit un siège policier depuis le matin, avec l’impossibilité de sortir ou d’entrer dans le bâtiment sans être fouillé voire arrêté. Fin du premier acte.

À l’heure du déjeuner, sous le soleil, les terrasses du centre ville sont remplies. On entend des chants de lutte sur les terrasses, et les hymnes incontournables du mouvement Gilet Jaune. Chaude ambiance. Les gendarmes, innombrables, sont hués à chaque déplacement. À 14h précise, tout le monde finit son verre, et un gros cortège s’élance à toute vitesse depuis le miroir d’eau, dans un impressionnant nuage multicolore de fumigènes. Ce départ en trombe, quasiment en avance, montre l’impatience des personnes présentes. Mais il empêche les très nombreux retardataires de retrouver la manifestation. Il y a des milliers de personnes sur le Cours Saint Pierre. 15 minutes à peine après le départ, l’avant du défilé est déjà sous les gaz lacrymogène. La préfecture déploie un dispositif toujours plus délirant et violent à chaque date régionale. Trois canons à eau, probablement plus de mille forces de l’ordre, un hélicoptère qui frôle le toit des immeubles, et beaucoup de flics en civil qui tentent de s’infiltrer dans la foule.

Progressivement, la manifestation agrège près de 8000 personnes, dont beaucoup ont fait l’effort de venir de loin, et pour certains découvrent Nantes. Après un temps d’hésitation, un imposant cortège de tête entièrement en noir se forme peu avant la préfecture. Le défilé avance, fonce vers un énorme guet-apens. Comme à chaque manifestation, la manifestation répète le même folklore : quelques échanges de projectiles et de lacrymogènes depuis le jardin du préfet. Un rituel presque immuable. Sauf que cette fois, un dispositif est prévu pour casser la manifestation. Au premier jet, des grenades explosives sont tirées dans la foule. Leur effet de souffle désoriente, blesse, et terrorise. Des lacrymogènes pleuvent de partout, parfois tirés depuis l’autre rive de l’Erdre. La BAC s’apprête à charger, quand un canon à eau coupe la route et scinde définitivement la manifestation en deux, avec une avancée spectaculaire de CRS. Le défilé se désagrège, le piège a fonctionné. Le gros des manifestants reflue vers le point de départ.

À l’angle de la rue de Strasbourg, après un long moment d’hébétude, nouveau pic de tension face à un canon à eau. La voie de tram est dépavée. La manifestation repart, hésite à rentrer dans Bouffay, stagne. L’absence de décision laisse le temps aux gendarmes de lancer de grandes charges. Une barricade est allumée. Le rouleau compresseur répressif avance à toute vitesse, sous des salves de gaz et au son des explosions. Des lacrymogènes sont à nouveau tirés devant la maternité. Le cortège assailli de toutes parts, traverse la Loire ou se disloque le long des routes. Les unités de police partent faire la chasse aux manifestants sur l’île de Nantes. Ça sent la fin.

Mais pendant que toute la répression se concentre en bord de Loire, 2000 manifestants ont repris le centre-ville. Toutes les places de l’hyper centre, cadenassées peu avant, sont investies. Un concert s’improvise place Graslin. Des tags apparaissent dans les rues sanctuarisées de la bourgeoisie. L’hôtel de luxe est atteint de la Place Aristide Briand est atteint. Un moment de joie partagée, qui déborde complètement le scénario policier.

Retour à la croisée des trams sous les gaz. Il y a de plus en plus de monde. Des barricades sont érigées sur la voie de tramway, et ralentissent le canon à eau. Une manifestation sauvage par vers l’ouest. Ce dernier cortège est plus jeune, plus rapide. Des feux sont allumés le long des voies. Du gaz est tiré tout le long du quai de la Fosse. La BAC attaque. Les derniers manifestants sont repoussés à l’ouest de Nantes, au delà de Gare Maritime.

22 personnes ont été arrêtées, dont 9 préventivement, ainsi qu’un médic. La nuit tombe. La résilience des Gilets Jaunes est à toute épreuve : des centaines de personnes sont de retour à la croisée des trams où un feu est allumé. Le trafic reste paralysé. De nouveaux affrontements éclatent. Une arrestation est interrompue par un «ninja» qui éloigne un agent par un saut à pieds joints. Les agents sont à cran. Du gaz rentre dans les bars. Nouvelles charges. Les dernières flammes ne seront éteintes qu’autour de 21h.


Photo : TheoPrn, Suvann, Jah, James

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